Julian s'était levé aussi tôt que le personnel missionné ce jour là. Si ces derniers avaient regagné leur bateau pour rejoindre l'île, il avait pris un autre engin pour se rendre sur le second navire. Une part de lui était soulagée de ne pas faire partie de l'escouade débarquée sur le port aujourd'hui, il n'était clairement pas prêt. Une autre en revanche suintait de jalousie à l'idée d'être laissé sur la touche. Au fond de lui, les voix insidieuses résonnaient encore, déblatérant qu'il n'était tout simplement pas à la hauteur et qu'il aurait déjà dû crever.
La brise marine lui fouettait le visage et chassait ses idées sombres. Depuis son retour après l'entraînement terrain et malgré toute sa bonne volonté, le manque d'antidépresseurs se faisait sentir. Parfois un peu trop, comme ce matin.

Il s'était entraîné au tir, parcours et combat, cherchant inlassablement à se remettre à niveau, pourtant, l'infâme sentiment de stagner persistait. Un long soupir s'échappa de sa bouche et il ferma les yeux un instant.
Ça va Blake ? T'es un peu pâle.
Juste à côté, un épais sac sur le dos, Hannah le regardait un léger voile d'inquiétude passant sur ses pupilles.
Il hocha la tête et se força à sourire.
- Ouais, j'ai encore un peu de mal avec la mer.
Elle ricana. Ça serait con que tu gerbes sur le matériel.
- Ou bien sur toi, se moqua-t-il à son tour.
Le visage de la jeune femme se tordit d'une grimace dégoûtée avant de lui faire un clin d'œil. Elle s'éloigna dans la foulée.
Le second navire se dessina rapidement sur l'horizon. Moins imposant que le Renaissance, il demeurait toutefois impressionnant.

Lorsqu'il avait entendu parler d'une mission parallèle moins prisée comme l'étaient souvent les missions de logistique, il s'était proposé avec l'envie furieuse de se rendre utile.
Peu lui importait de devoir déplacer des caissons trop lourd, d'attacher des cordes et de vérifier le bon fonctionnement du matos, il fallait bien quelqu'un pour le faire et cela assurait aussi la sécurité de ses collègues sur l'île.
L'engin amphibien s'arrima sur le navire de marchandises et le petit groupe débarqua tranquillement. Ils y passeraient la journée.
C'était plaisant de voir qu'enfin, tout se mettait en branle. Il savait que d'ici peu, il passerait des nuits sur l'île à tenir des postes de sécurité ou à explorer.
On lui expliqua rapidement ce que l'on attendait de lui pour les trois prochaines heures : vérifier le bon fonctionnement des batteries solaires et les fixer solidement aux énormes projecteurs qui devraient être disponibles avant la tombée de la nuit. On ignorait encore dans quel état serait retrouvé le matériel laissé sur place durant quatre années, alors il fallait palier à toutes les possibilités de remplacement.
Un premier bateau avait été affrété avec le nécessaire pour le début de la mission du port.
Julian faisait partie du groupe qui devait préparer le second batch.
Hannah avait disparu et après un rapide coup d'œil, il se rendit compte qu'il ne connaissait personne ici. Ce n'était pas un problème, il savait bosser même avec des inconnus. Les process étaient les mêmes pour tout le monde pas vrai ?

Assis sur un caisson, il commença à vérifier une première batterie. Parfait, elle devait encore se recharger. Il ouvrit la large cantine en métal et la fixa sur son socle à l'intérieur avant de lever les yeux au ciel. Le temps au moins était clément avec eux aujourd'hui, c'était de bon augure.
Il vérifia un projecteur ainsi que le mat sur lequel il devait être glissé en se demandant si c'était une bonne idée, cette lumière sur l'île. Est-ce que cela n'attirerait pas les plus gros prédateurs ?
On ne pouvait cependant pas rester dans le noir.
Tandis qu'il était entrain de fermer un boîtier, un mouvement attira son attention et au loin, il aperçut Laura.
La surprise fut telle, qu'il se coinca la peau de son doigt dans le mécanisme de fermeture.
- Merde putain ! grogna-t-il, déjà agacé.
Que faisait-elle ici ? Il porta son doigt à sa bouche comme si cela pouvait endormir le pincement. Son regard ne pouvait se détacher d'elle et déjà, son cœur s'emballait.

« Tu es sûre de toi, Laura ? Isla Peña n’est pas la plus tranquille des îles de l’archipel… C’est pas comme si tu pouvais te faire construire un château sur n’importe laquelle d’entre elles… » Laura avait levé les yeux au ciel, son téléphone portable contre sa joue. Damian ne manquait pas d’air. « Je n’ai jamais été aussi sûre. Et puis… J’ai besoin d’un lieu de résidence, moi aussi. » Les propriétés Masrani avaient été mises en vente, pour la plupart. L’appartement de New-York, celui de Paris… Finalement, il ne restait à Laura que la grande maison familiale qui se trouvait à New-Dehli. Et depuis qu’elle était revenue à la vie, tout en elle lui soufflait de trouver un refuge, un lieu dans lequel elle serait aussi tranquille qu’épanouie. Alors, quoi de mieux qu’une île entière pour la quête de tout ceci ? Elle ferait bâtir quelque chose de simple. Une cabane suffirait, non ? « Je dois y aller. » « Je croise les doigts pour ce grand jour ! Tiens-moi au courant. » Elle raccrocha alors que sa marche la guida finalement jusqu’à la salle des opérations. On vérifiait que tout était en fonction et que rien ne puisse être laissé au hasard. Désireuse de ne pas se faire remarquer, Laura s’était engouffrée dans le fond de la salle, écoutant les retransmissions radio, les ordres de Miller… Tout semblait fonctionner. Et pourtant, elle se sentait encore affreusement inutile.

Sa présence finit par être remarquée par le responsable de la Sécurité qui mit momentanément les choses en suspens pour mieux venir la voir, l’attrapant doucement par le coude, il l’invita à sortir. « Tu ne peux pas me tenir à l’écart, John. Pas aujourd’hui. » Et pourtant, si, il le pouvait. Laura n’était pas encore suffisamment forte et stable mentalement pour encaisser ce qui pourrait se passer lors de cet abordage. Des incidents. Des blessés. Des morts. Elle ne pouvait assister à cela. Lui rappelant la promesse qu’elle avait fait de ne pas se montrer aussi bornée à tout contrôler, il finit par lui arracher un soupir et une reddition. « D’accord… Mais il est hors de question que je reste là, à attendre en sirotant des cocktails. C’est fini, ce temps-là. » Alors, Miller évoqua l’aspect annexe que cette mission engendrait et la maintenance qui allait commencer sur le second navire de matériel. Elle ne serait pas en danger. Elle ne serait pas inutile. Et elle n’aurait pas à affronter les éventuelles problématiques à venir. Un compromis qui semblait raisonnable.

On prévint Martinez d’un décollage imminent pour l’autre navire et, en moins de temps qu’il ne fallut pour le dire, Laura fut dépêchée sur place. L’hélicoptère ne resta pas, la PDG pouvant rentrer avec le navire amphibie utilisé par l’équipe de volontaire qui l’avait devancée. Et puis, voler n’était toujours pas une partie de plaisir, pour elle, même si cette peur était devenue moindre face à d’autres. S’adressant au chef d’équipe en place, on lui expliqua les manœuvres, les besoins, et la liste du matériel attendu. Laura était peut-être une ex-mannequin, elle savait désormais aussi bien ce qu’étaient des stilettos que des cages-trappes à appât aussi, elle retroussa métaphoriquement ses manches pour aider et réaliser sa part de travail. Habillée simplement, ses cheveux accrochés en un chignon réalisé à la hâte, elle mit la main à la pâte, désireuse de faire taire son inquiétude quant à ce qu’il pouvait se passer là-bas, sur l’île.

Elle ne prêta que peu attention à ceux qui l’entouraient, répondant aux salutations de certains avec politesse, demeurant silencieuse sinon. Laura était surtout là pour des choses relativement simples, en réalité. Au-delà de superviser les choses, elle était surtout là pour réaliser des nœuds, chose qui ne demandait, en réalité, pas d’effort surhumain. Deux démonstrations furent nécessaires et Laura enchaîna les paquetages qui devaient être, ensuite, ramassés par une grue et placés sur le bateau qui aura pour but de livrer tout ça. Le rythme fut rapidement trouvé par la jeune femme.

Laura était là, à une quinzaine de mètres. Il en était encore stupéfait. Le doigt dans la bouche pour étouffer le pincement, il ne pouvait détacher ses yeux d'elle et déjà, les questions se bousculaient dans sa tête.
Pourquoi était-elle ici ? Que faisait-elle ? Qu'avait dit Miller ? Bordel, c'était si improbable de la croiser ici, il n'en revenait pas. Ralentissant le mouvement de son activité, il observait la sienne. Ses cheveux relevés en un chignon imparfait, sa tenue simple et pratique et son attitude concentrée.
Elle voulait aider. Il venait tout juste de le comprendre. Évidemment qu'elle voulait aider. Aujourd'hui marquait le retour sur l'île, elle n'allait pas attendre dans sa cabine que tous fassent le boulot pour elle.
Un sourire de fierté étira ses lèvres. Il se redressa et s'interrogea sur la marche à suivre. Devait-il aller la voir ? Non, ça c'était une mauvaise idée. Pas après la façon dont ils s'étaient quittés sur le pont. Devait-il rester là à l'observer ? Ça lui convenait bien.
Il aurait pu faire ça toute la journée en réalité.

- Hey Blake ! Arrête de rêvasser ! clama Hannah en se moquant gentiment.
Il était sur le point de répliquer en se redressant lorsqu'une autre voix gueula : Attention!!
Dans la foulée, il y eu un bruit sec comme un claquement qui fouetta l'air. Hannah et lui se retournèrent en même temps pour voir une cantine militaire suspendue à trois mètres du sol par un système de poulie, dont une des attaches venait de lâcher ne laissant qu'une corde pendante jusqu'au sol. Un brouhaha ambiant s'éleva, surpris par cet incident, les employés s'agitaient. La jeune femme se précipita pour attraper la corde qui pendait de la caisse en métal et ainsi la diriger vers une zone libre avant qu'elle ne s'écrase. Mais emportée par le poids de la cantine en mouvement, elle glissa et se retrouva en mauvaise posture, juste en dessous ou presque. Il y eu un nouveau craquement et Julian se précipita à son tour. Il saisit la corde à deux mains et usant de toute sa force, fit dévier la lourde caisse avant qu'elle ne touche le sol et sa collègue.

- Ça va ? demanda-t-il en s'accroupissant à côté de la jeune femme dès qu'il eut lâché la corde.
- Ouais, répondit-elle encore sous l'effet de la surprise. Je pensais pas que c'était si lourd.
- C'est pour ça qu'on utilise une poulie, se moqua-t-il doucement avant de lui tendre la main.
Elle la saisit et lui donna un coup de poing dans l'épaule pour toute réponse dès qu'elle fut sur ses jambes.
- Ça va te vante pas !

Il n'attendait pas de remerciements, et se contenta d'un sourire arrogant. N'importe qui aurait fait la même chose. Ici, il fallait se serrer les coudes. Il y eu quelques murmures puis chacun reprit son travail en prenant soin de vérifier les attaches. Julian se proposa pour déplacer la cantine qui effectivement pesait un âne mort. Et sans réfléchir, il se tourna dans la direction de Laura, attiré comme un aimant.

(jet de dés force réussite : 6/12)

Affairée à la tâche, Laura faisait fi du monde qui l’entourait. Plus rien d’autre que les cordages qu’elle nouait avec soin ne pouvaient la captiver, malgré le brouhaha ambiant causé par des voix diverses qui s’entremêlaient. La mine froncée, sa concentration était décuplée pour mieux écraser les inquiétudes parasites qui l’animait quand elle songeait rapidement au reste de cette journée et à cette mission en cours pour tenter de remettre un pied sur son île. Attention ! Le cri, pourtant, la tira de son activité avec brusquerie, l’instinct de survie poussant Laura à sursauter en focalisant son attention sur ce qu’il se passait. Si elle ne s’était pas retenue, ses jambes se seraient fléchies pour mieux l’encourager à s’accroupir derrière une caisse. Mais elle ne pouvait être en danger à ce point. Non, tout ne pouvait pas être orienté contre elle de cette manière.

Les gens, autour d’elle, s’agitèrent ou commentèrent la scène tandis qu’une jeune femme tenta de s’emparer de la corde pendue pour tenter d’éviter un drame plus grand. Seulement, sa force n’était pas suffisante et elle fut emportée par le poids de l’objet qui menaça de s’écraser sur sa tête. Laura observa la scène, les yeux écarquillés, incapable de bouger, quand un autre agent se manifesta, empoignant à son tour la corde pour mieux tirer dessus avec force, l’éloignant de la pauvre jeune femme avant qu’elle ne finisse aplatie comme une misérable galette. On siffla, et applaudit le héros du moment et Laura n’eut aucun mal à l’identifier. Julian… Elle en eut un mouvement de recul, mesurant à la fois la chance qu’ils venaient d’avoir dans cet incident et la présence de l’homme à bord de ce bateau bien trop petit pour eux deux, finalement. L’avait-il vue ? Savait-il qu’elle était là ? Peut-être pas… Peut-être pouvait-elle encore… Quoi ? Filer à l’anglaise ? Ce n’était pas son truc à lui, normalement ?

Ne manquant rien des interactions qui se déroulaient sous ses yeux, elle fronça les sourcils face à la frappe de la jeune femme contre l’épaule de l’agent d’intervention. Qu’était-ce, là, qui brûlait dans le creux de son ventre ? Une forme de jalousie ? Pinçant légèrement les lèvres, on intima tout le monde à se remettre au travail, l’œil étant porté plus encore sur les attaches à réaliser. Merde, ce n’était pas sa faute, tout de même ? Si ? Les questions demeuraient sans réponse alors que l’agitation redescendait dans la norme. Le regard sombre de Laura, lui demeurait figé sur cet homme qui finit par relever le regard… Vers elle.

Transpercée par ce dernier, elle dévia ses yeux immédiatement, cherchant une activité soudaine pour occuper ses mains, son regard et ses nerfs. Alors, elle s’en retourna à ses attaches, s’agaçant sur les cordages. « Wow… Si vous continuez comme ça, on va faire tomber plus d’une grosse malle… » Celui qui était en charge de cette partie de la mission semblait vouloir se moquer d’elle bien qu’au fond, elle se doutait que la sécurité de tous était probablement sa plus grande préoccupation. « Je… Désolée. » Il maugréa entre ses dents et Laura devina aisément qu’il jugeait lourdement sa présence entre ses pattes. « Laissez, quelqu’un d’autre va s’en charger. Vous devriez… Fin, essayez de ne pas nous gêner, surtout. » Elle aurait pu le remettre à sa place. Ou le virer de sa place. Seulement, il avait en partie raison et Laura était bien trop contrariée pour retrouver sa capacité à l’incendier à coup de punchline. S’écartant, elle battit en retraite, laissant ses employés reprendre le contrôle de la situation. Elle était inutile. Elle avait toujours été inutile. Un boulet. A cette pensée, son regard chercha Julian qui soulevait cette cantine militaire avec quelqu’un d’autre. N’apprenait-elle jamais ? A cet instant, elle se maudit surtout d’avoir renvoyé Martinez et l’hélicoptère, ayant coupé sa propre possibilité de retraite.

Leurs regards se croisèrent. Ce fut bref, déjà Laura déviait le sien. Pouvait-il en être sur ? Ils étaient assez loin l'un de l'autre mais...oui, elle l'avait vu. Elle l'avait regardé lui.
Il reporta son attention sur la cantine militaire et le collègue qui peinait à la déplacer malgré leurs efforts. Dans sa tête pourtant, tous ses sens étaient tournés vers Laura.
Avait-elle assisté à l'incident ? L'avait-elle vu protéger Hannah ? Qu'avait-elle ressenti à ce moment là ? De la fierté ? Était-elle seulement heureuse de le voir ? Après lui avoir demandé de se tirer sur le pont pour mieux rejoindre Ronan, il jugea qu'elle ne devait pas l'être.
Lui avait été surpris de la voir, et hésitait toujours sur la marche à suivre.
Elle l'avait regardé et avait baissé les yeux. Pourquoi ? Était-elle gênée ? Avait-elle honte ?
Naturellement, il se tourna à nouveau dans la direction de Laura. Un des responsables de mission était entrain de lui parler mais de là où il se situait, il ne pouvait pas vraiment voir l'expression de son visage.

Ce qu'il remarqua en revanche, c'est que Laura s'était éloignée, seule, debout devant un conteneur. A nouveau, leurs regards se croisèrent et ce fut son tour de baisser les yeux.
Il acheva de placer la cantine comme convenu et hocha la tête aux remerciements du type face à lui.
Un responsable gueula que c'était l'heure de la pause repas et Julian profita de l'effervescence pour se rapprocher de Laura. Il franchit la distance qui les séparait l'air de rien, se forçant à ne pas se focaliser sur elle et à chaque pas, il avait l'impression que son rythme cardiaque accélérait.
Lorsqu'il fut face à elle, il bifurqua et s'addossa sur le conteneur juste derrière, se plaçant presque à côté de Laura. Il croisa les bras sur sa poitrine.

- Salut, commença-t-il avant de marquer une courte pause, ne sachant pas du tout quoi lui dire. Tu ne vas pas manger ?
Malgré sa nonchalance, une pointe d'inquiétude irradiait de sa voix car il savait que Laura perdait facilement l'appétit.
Mais avant même que Laura ne put répondre, la voix d'Hannah arriva jusqu'à eux en même temps qu'elle.
- Hey Blake, c'est l'heure de manger ! (Elle remarqua Laura) Oh tu nous présentes ? C’est vrai que tous les deux vous avez…enfin Blake était votre superviseur c’est ça ? C’est marrant de vous voir ici, vous venez donner un coup de main ?

Julian manqua de s'asphyxier sur le début de sa phrase lorsqu'elle évoqua leur relation à deux quand bien même il savait que Hannah ne pouvait pas connaître la vérité. Cette peur ne le quitterait donc jamais. Il regarda Laura pour tenter de jauger sa réaction et enchaîna d'une voix traînante :

- Laura Masrani, PDG de Jurassic World, Hannah Fahlo, agent d’intervention. C’est bon ?

- Oh fais pas ton rabat-joie, enchantée mademoiselle Masrani, lança-t-elle en lui tendant la main. On allait justement manger avec les collègues, vous voulez vous joindre à nous ?
- Personnellement je t’ai assez vu pour la matinée, se moqua Julian. Mais si Mademoiselle Masrani veut se joindre à vous...

Hannah le toisa puis leva les yeux au ciel avant d'observer la décision de Laura.

Soutenir un regard était difficile pour elle. Soutenir celui de Julian l’était plus encore. Elle aurait aimé pouvoir faire mine de reprendre le travail mais sa tâche lui avait été subtilisée, la reléguant sur le banc de touche où elle essayait, comme l’avait demandé l’autre, de ne pas déranger ceux qui étaient au cœur de l’action. Fort heureusement, Julian, tout comme elle, n’était pas capable de rester là à la fixer des heures. Les regards se croisaient et se décroisaient alors que lui travaillait et qu’elle tentait tant bien que mal de faire mine de consulter des choses sur son téléphone.

Finalement, on annonça une pause pour déjeuner, poussant Laura à soupirer tandis que les volontaires se regroupaient, s’orientant un peu plus loin où leur ration serait servie. Laura, elle, resta en retrait, peu encline, finalement, à se mêler au reste des présents, n’ayant que plus peur encore d’être mal jugée. Mais c’était sans compter sur Julian. Sa présence se matérialisa à ses côtés sans qu’elle ne puisse réellement s’y préparer. Les bras croisés sur sa poitrine, il la toisait légèrement avant de la saluer. Les yeux noirs de Laura croisèrent à nouveau les siens avant de les fuir. « Salut… » Sa voix était plus proche du murmure que de la salutation enjouée mais au moins, elle y avait répondu. Tu ne vas pas manger ? Il força son regard à se relever vers lui. Il semblait vouloir mener une conversation banale et pourtant, dans son regard, elle sut que ses mots n’étaient pas anodins. Qu’elle mange, en toutes circonstances, avait toujours été l’une de ses priorités. Soupirant doucement, elle jeta un œil vers l’attroupement qui se formait autour de la zone transformée momentanément en cantine. « Je ne suis pas sûre que… » Elle n’eut pas le temps d’achever sa phrase qu’une autre voix se fit entendre, alpaguant Julian, forçant l’attention des deux présents à se tourner vers elle.

Laura n’eut aucun mal à reconnaître le minois de celle qu’elle avait aperçu, quelques instants plus tôt, auprès du jeune homme et qui avait sue faire naître en l’Indienne une pointe de jalousie par sa gestuelle de camaraderie un peu trop marquée. Oh, tu nous présentes ? C’est que tous les deux vous avez… Quoi ? La peur se fit sentir dans le cœur de Laura, un instant, prête à bondir sur Julian pour lui faire savoir qu’elle n’avait jamais divulgué leur secret à quiconque, elle… Enfin, Blake était votre superviseur, c’est ça ? Elle expira doucement, se parant d’un sourire à toute épreuve, tâchant de faire disparaître le malaise momentané. Elle aurait pu, elle en aurait certainement ri. « Le terme exact serait bourreau. Mon corps ne se souvient que trop bien de… Nos sessions d’entraînement. » Et pas que, en réalité. Mais puisque tout ça était révolu, elle pouvait volontiers faire ce qu’elle souhaitait de ces mots épineux, non ? C’est marrant de vous voir ici, vous venez donner un coup de main ? Elle grimaça légèrement. « D’autres diraient que je tente de vous faire tuer… » Elle avisa rapidement l’homme qui l’avait rabaissée, au loin, s’assurant qu’il ne puisse pas réellement l’entendre.

Laura Masrani, PDG de Jurassic World. Et ex-petite amie secrète. Hannah Fahlo, agent d’intervention. Et future raison de larguer Marika ? Laura renifla légèrement, tâchant de garder masquées ses pensées acides tandis que la jeune femme s’était tournée vers son coéquipier, avant de lui faire part de son enchantement à la rencontrer. Laura sourit mollement, serrant cette main tendue avec une raideur notable, tant parce qu’elle n’appréciait pas l’intrusion de cette jeune femme dans l’interaction qu’elle aurait pu mener avec Julian que parce qu’elle n’avait que très peu offert de contacts physiques à quiconque depuis son retour parmi les vivants. On allait justement manger avec les collègues, vous voulez vous joindre à nous ? C’était un complot pour qu’elle mange, c’est ça ? Elle sourit poliment, ne sachant trop si son souhait était bien de manger en compagnie de personnes qui ne souhaitaient certainement pas la sienne, ou devoir affronter Julian et son entêtement à la vor mettre quelque chose dans sa bouche. Personnellement, je t’ai assez vu pour la matinée, mais si mademoiselle Masrani veut se joindre à vous… Elle l’observa un instant, essayant de comprendre quel était son but. Au loin, on les observait, certains appelant la jeune Hannah pour mieux l’inviter à les rejoindre. « Je… » Dieu qu’il était complexe d’analyser tous les paramètres d’une situation. Pourquoi était-ce si difficile, d’ailleurs ? « Allez-y… Je verrais ce qu’il reste… Vous en avez plus besoin de que moi. » Et surtout, elle espérait bien que sa part soit mangée par ses soins dans un coin où on pourrait l’oublier et où les interactions sociales ne seraient pas une obligation.

Attendant qu’Hannah s’évapore aussi vivement qu’elle était arrivée, Laura regarda hâtivement Julian. « Tu devrais aller manger, toi aussi… Tu as beaucoup donné, ce matin. » Car elle n’avait rien manqué du spectacle et essayait bien de le lui faire savoir. De son côté, Hannah avait certainement fait part de la situation aux autres car une voix s’éleva un peu plus loin. « Allez, Masrani ! Ce n’est pas du champagne et du caviar mais promis, vous allez pouvoir manger aussi. » Elle demeura interdite un instant, son attention oscillant entre l’équipe qui semblait frappée par un instant d’allégresse, et Julian. Ce qu’elle ignorait, en revanche, c’est que certains étaient plus renseignés que d’autres sur son vécu des quatre dernières années, et tendaient à parier entre eux de l’état de Laura si elle devait se retrouver enfermée dans la cale… Ou l’un des containers. Tant qu’on ignorait qui avait pu fermer la porte, finalement… Ils ne risquaient rien, non ? Les bizutages pouvaient être fréquents, quand la camaraderie résidait et pour eux, il n’y avait aucun mal à malmener un peu celle qui avait voulu être des leurs.

Il avait essayé de paraître normal, de faire comme si sa relation avec Laura n'avait jamais été aussi intense, comme s'ils n'avaient pas partagé plus que des entraînements, comme s'il n'avait pas vécu l'enfer avec son absence et...merde. Rien n'y faisait. Il avait beau chercher à l'ignorer, si elle se trouvait dans son champ de vision, il était foutu.
Alors pour ne pas rendre la situation encre plus bizarre, il était venu lui parler. Et pendant qu'il marchait, il savait déjà que c'était une idée à la con et qu'il le regretterait amèrement plus tard. Pourquoi s'accrochait-il encore ? Pourquoi ne la laissait-il pas tranquille ?
Parce qu'elle était devenue son centre de gravité.
Il l'avait perdue durant quatre années et à présent, il avait la sensation de pouvoir vivre seulement quand elle était là. Il s'était promis de ne pas interférer, de simplement venir accomplir sa mission, il l'avait même promis à Miller. Et pourtant, il était là, à lui demander si elle comptait manger comme s'il s'adressait à un camarade de corvée. C'était pathétique.

Elle n'eut pas le temps de répondre, Hannah était de retour. Julian aurait pu parier que la prochaine tornade ou cyclone porterait ce nom tant cette femme avait le don de débarquer quand on l'y attendait le moins pour tout chambouler.
Lorsque cette dernière évoqua leur lien, il remarqua à travers sa propre crainte, que Laura n'en menait pas large. Elle expira profondément, soulagée, lorsque la jeune femme mentionna sa supervision.
Il ne s'était pas attendu à une telle réponse de la part de Laura néanmoins. Bourreau ? Certes, il ne l'avait pas ménagée mais elle l'avait voulu. C'était leur accord après tout. Il haussa les sourcils prêts à se défendre lorsque Laura mentionna les sessions d'entraînements. Un sourire discret étira ses lèvres et il détourna le visage pour qu'aucune des deux femmes ne le remarque.
Il s'agissait souvent d'excuses auprès de Miller pour un autre type d'entraînement. À nouveau, il jeta un coup d'œil furtif à Laura alors qu'une douce chaleur réchauffait son corps.
Surpris, il ne prit pas garde au rire de Hannah et se demanda vaguement ce qu'il lui arrivait. Il connaissait cette sensation, c'était comme une vieille amie qui se pointait à domicile après une longue absence. Une étreinte réconfortante qui soulignait que tout irait bien.
Cependant, Laura avisa dans la foulée le responsable avec qui visiblement cela se passait mal, il chercha à savoir s'il le connaissait. Sa tête ne lui disait rien. Jouait-il les gros bras pour la rabaisser volontairement ? Ce n'était pas très malin.
Cela ne lui plaisait pas, mais alors pas du tout.

Hannah les invita à manger et suite à son refus, il observa la réaction de Laura. Irait-elle sociabiliser ? Ce pouvait être un bon moyen pour se rapprocher des employés et éviter la solitude. Ou juste l'éviter lui.
Une petite voix lui murmurait qu'elle n'oserait pas. Aussi, lorsqu'elle refusa de manière détournée, un nouveau sourire lui échappa. Il la connaissait toujours aussi bien. Cette idée lui traversant l'esprit simplement et il la regarda à nouveau alors que Hannah retrouvait les autres. Pouvait-il faire autrement ? À sa grande satisfaction, elle leva ses yeux sur lui et lui conseilla d'aller manger pour compenser son énergie dépensée.
Elle l'avait vu ce matin, lors de l'incident avorté. Le visage toujours tourné vers elle, une certaine fierté illumina ses traits. C'était de l'orgueil, il le savait. Pourtant, il n'avait pas envie de s'en débarrasser. Au fond, n'était ce pas un semblant de preuve, même infime qu'il avait sa place ici ?
Il cherchait une petite réplique bien tournée à lui lancer, les bras toujours croisées sur sa poitrine quand la voix d'un homme s'éleva plus loin.
« Allez, Masrani ! Ce n’est pas du champagne et du caviar mais promis, vous allez pouvoir manger aussi. »

Julian fronça ses sourcils, le visage immédiatement assombris par ces propos. Masrani ? À qui croyait-il parler ?
Dans les groupes qui s'étaient formés pour manger plus loin, certains rigolaient de ce qu'ils considéraient certainement comme un trait d'esprit.
La mâchoire légèrement crispée, Julian ne quittait plus le type des yeux.

- Miller est venu avec toi ? Demanda-t-il soudain à Laura. Je vais aller nous chercher à manger...

Il pensait connaître la réponse, si Miller avait été là, il serait déjà intervenu. N'avait-il pas promis qu'il ne s'approcherait pas de Laura ? Et voilà qu'il ne tenait pas sa promesse. Il ne le pouvait pas en réalité. Son centre de gravité, son boulet qui le maintenait dans la réalité, c'était elle.
Sans attendre, il se détacha du container sur lequel il était appuyé et s'avança tout droit vers l'agent qui mangeait assis sur une caisse tout en se faisant mousser auprès des autres.
S'arrêtant à son niveau, il mit les mains dans ses poches pour éviter de montrer ses poings serrés. Une façon pour se contraindre aussi à ne pas le toucher au risque de faire dégénérer les choses.

- Tu t'adresses à ta patronne je te rappelle, lui lâcha-t-il platement. C'est encore elle qui paye ta solde, alors ferme la ou trouve toi un autre moyen de te la raconter.
- Putain mais tu te prends pour qui, t'es son père ou quoi ? Répliqua l'autre avant de ricaner en essayant de prendre les autres à partie.
- C'est l'ancien responsable, grinça un agent à côté. Alors si j'étais toi je la ramènerais pas trop.
L'autre aboya presque, captant l'attention de tout le groupe présent pour se donner en spectacle. Cela arrivait souvent, les individus issus de l'armée obéissaient bien aux ordres mais quelques fois, certains tentaient de se rendre populaires par ce genre d'attitude. Un peu amusante et un peu téméraire, pour montrer qu'ils en avaient dans le froc.
- Ancien responsable hein ? T'as pas été relevé de tes fonctions ? T'as rien à me dire mon pote.
La colère s'engouffra dans chaque cellule de Julian et sans attendre, il se pencha vers lui dans un mouvement sûr. Ses mains restaient dans ses poches, crispées. Quiconque le connaissait pourrait voir à travers les muscles tendus de sa mâchoire qu'il était énervé.
- Prend plutôt garde à ce que je ne reprenne pas du grade, tu serais le premier sur ma liste...mon pote.

Il s'éloigna alors vers la distribution de plateaux, ignorant les rires ou les réactions plus menaçantes. Ils avaient une mission et s'ils étaient assez stupides pour se la jouer au lieu de se serrer les coudes, c'est qu'ils n'avaient rien compris. Ces gars là n'avaient certainement jamais vu un dinosaure de leur vie, ils seraient les premiers à se chier dessus face à un suchomimus ou un carnotaurus.
La rage grondait en lui, il aurait bien eu besoin de frapper quelques coups mais se força à respirer plusieurs fois, profondément pour calmer le feu qui courrait dans ses veines. Il tira les mains de ses poches et fit jouer ses phalanges à plusieurs reprise, serrant et desserrant les doigts, presque soulagé d'avoir pu se contenir quand tout son corps ne cherchait qu'à exploser. Il avait oublié comment les hommes, même en milieu hostile avaient besoin de leader et de jouer au plus fort ou au plus malin.
Même si ça ne lui avait pas manqué, il devait reconnaître que ce genre de situation l'énervait autant qu'il le rendait vivant.

Plus loin, derrière une cage immense et des cantines empilées, on servait les repas. Il prit le temps de récupérer un plateau chargé de deux gamelles et de deux bouteilles d'eau. Il prit surtout le temps de calmer ses ardeurs pour ne pas que Laura en fasse les frais. On lui proposa du thé pour la fin de repas, il précisa qu'il reviendrait les chercher et décida de retrouver l'indienne. Manger ensemble, c'était un acte anodin n'est-ce pas ?

Miller est venu avec toi ? Elle releva ses yeux sombre vers lui, les lèvres doucement pincées. Forcément, la question était légitime puisque le responsable de Sécurité avait eu cette fonction de farde du corps, jadis, et continuait à la paterner avec une attention toute particulière qui pouvait échapper à certains ou être mal interprétée par d’autres. Laura savait qu’il avait nourri une culpabilité certaine, qu’il avait tout mis en œuvre pour faire partie de cette équipe de sauvetage parce qu’il souhaitait se racheter auprès d’elle. Durant des années, le regard aussi douloureux que désolé de l’homme l’avait hanté alors que Banks la poussait hors de son bureau, loin de ceux qu’elle avait pu connaître. « Il a d’autres choses à superviser… L’accostage sur Isla Nublar, en l’occurrence… Il n’y a que moi. » Moi qu’il a envoyé ici pour ne pas avoir à me supporter dans ses pattes. Elle croisa les bras, à nouveau, baissant à nouveau le regard avant que Julian ne reprenne la parole. Je vais aller nous chercher à manger… Ouvrant la bouche, elle haussa les sourcils en l’observant de nouveau. « Julian, je t’assure, ce n’est pas la peine de… » Elle n’eut pas l’occasion de terminer sa phrase que, déjà, il s’éloignait.

Humectant ses lèvres, elle l’observa, libre de le faire sans craindre un regard transversal qui lui prêterait des intentions qu’elle n’avait plus. Qu’elle ne pouvait plus avoir. Depuis Melbourne, il s’était reforgé en partie, ses muscles se redéveloppant sous son T-shirt, lui qui avait alors fondu pendant tout ce temps. Ses cheveux avaient été recoupés, comme dans les derniers souvenirs qu’elle avait de lui. Il n’avait que trop changé et pas tant que cela, en même temps. Elle le savait car, à chaque fois que ses prunelles se relevaient vers les siennes, son cœur ressentait ce pincement qui, jadis, lui avait donné envie de s’aventurer jusqu’à goûter ses lèvres avec tendresse et passion. Laura, peu à peu, se rendait à l’évidence : Elle l’aimait toujours comme si son enlèvement s’était produit la veille.

De loin, elle remarqua qu’il s’aventura, non pas au point de rationnement, mais jusqu’à celui qui s’était montré fort contrariant pour elle. La mine soucieuse, elle chercha à capter les interactions de cet échange, sans en entendre le propos exact. La teneur semblait cause de tension et elle ne voulait pas être la source de problèmes. Bordel, mais que dirait-elle à John si une rixe éclatait à bord à cause de son fait ? Et si elle impliquait Julian… ? Il savait. Il avait su ce qui animait les deux jeunes gens et avait laissé faire les choses sans s’y opposer, sans aller rapporter cela à ses supérieurs. Je n’ai pas à juger de la teneur de votre vie privée. C’était vrai et c’était parce qu’il avait su rester à sa place que Laura avait fini par l’apprécier un peu plus. De cela, la confiance mutuelle s’était doucement façonnée.

Laura ne savait que faire. Intervenir ? Au risque de blesser l’ego de Julian ? Ou bien ne rien faire ? Après tout, elle ignorait si on parlait seulement d’elle… Elle préféra s’en tenir à cette seconde idée, espérant que rien ne vienne faire exploser l’un des deux partis. Alors elle s’effaça, cherchant à reprendre son calme et ses esprits. Elle était venue ici pour se rendre utile, pour espérer pouvoir mettre la main à la patte. Il s’avérait qu’on ne la ménageait pas et, finalement, c’était peut-être mieux ainsi, non ? Elle pianota sur son téléphone, essayant de capter des nouvelles de Miller, se questionnant sur la conduite à adopter. Des gens risquaient leur vie, actuellement, pour elle et pour ce projet qu’elle portait. Elle ne pouvait pas distraire celui qui coordonnait tout cela.

Se hissant sur une caisse, elle y prit assise, attendant le retour de Julian qui avait momentanément disparu de son champ de vision. Avait-elle faim ? Oui, et non. Cette facette était devenue complexe pour celle qui avait vécu un véritable rationnement pendant plusieurs années. A sa libération, elle avait cru pouvoir engloutir un camion entier de nourriture et pourtant, la réalité était bien différente, son corps n’étant plus habitué à l’ingestion de cette même nourriture. Et pourtant, Dieu sait qu’elle avait besoin de ces calories pour survivre… Aujourd’hui, tout semblait calculé pour lui permettre d’avoir des apports plus que suffisants. Son assiette était maîtrisée et surveillée et Laura avait également été largement encouragée à reprendre le contrôle de ce pan de son existence en mettant la main à la pâte, littéralement. Elle qui n’avait que suivi que quelques recettes à la lettre par le passé, s’était retrouvée derrière des fourneaux, à se faire cuire des pâtes et à nourrir ses proches, pour leur plus grande surprise. Si Miller l’avait envoyée ici sans régime spécial, c’était qu’il savait que ce qu’on lui donnerait serait ce qu’il lui fallait. Devait-elle vraiment faire tant de manières ?

Finalement, Julian revint dans son champ de vision et elle prit une profonde inspiration. De quoi devraient-ils parler, finalement ? De la mission ? des entraînements ? De cette blonde qu’il avait laissée derrière lui ? Elle expira aussi longuement avant de se mordiller la lèvre inférieure. Pourquoi tout devait-il être compliqué ? Quand il fut de retour près d’elle, elle lui offrit un demi-sourire. « T’étais pas obligé… » Elle resta suffisamment vague pour qu’il interprète cela à sa manière, que ce soit concernant le repas ou bien l’intervention auprès de celui qui dirigeait momentanément les opérations. « J’aurais pensé que tu ne serais pas sur ce bateau mais plutôt en train de débarquer de l’autre côté… » N’avait-il pas toujours été sur tous les fronts ?

C'était une idée de merde. Il le savait pourtant, il plongeait dedans tête baissée. Évidemment que Miller ne savait pas et évidemment que Julian n'avait pas laissé à Laura l'espace pour achever sa phrase. Il savait déjà ce qu'elle s'apprêtait à dire. Tu n'es pas obligé qui aurait pu se transformer en "occupe toi de tes affaires et fiche moi la paix." C'était plus fort que lui, il voulait qu'elle mange, il avait toujours souhaité prendre soin d'elle et il avait échoué. Aujourd'hui, il ne voulait plus faire les mêmes erreurs quand bien même elle jugeait qu'il n'avait plus son mot à dire.
Est-ce que Peter lui donnait des pancakes ? Lui cuisinait-il des plats bons pour sa santé ? Et elle, avait-elle cuisiné pour lui ? L'espace d'un instant, il songea à ce pot d'épices. Attendait-il toujours dans les logements des employés ? Julian était parti sans rien demandé, il n'avait touché à rien dans l'appartement de Laura puisqu'il n'était pas sensé s'y rendre.

Il soupira en saisissant le plateau puis inspira profondément avant de quitter l'endroit. Miller n'était pas là et puis même, pouvait-il le virer en apprenant qu'ils avaient mangés ensemble ?
Naturellement, il la chercha du regard et l'aperçu, hissée sur une caisse. À quoi pouvait-elle bien penser ? Qu'il était un gros con ? Peut-être. Depuis qu'elle lui avait demandé de se tirer sur les pistes, il s'était juré de la laisser tranquille mais, force était de constater qu'il n'y arrivait pas. Alors pour éviter de faire des vagues et de laisser paraître sa souffrance, il essayait d'agir avec une normalité aussi chiante que possible. Mais il souffrait. Rester à ses côtés, la regarder alors que chaque fibre de son être lui hurlait de la toucher, c'était de la torture.
Peut-être qu'avec le temps, ça passerait. Peut-être qu'un matin il se réveilerait et ça serait fini.
Il avait du mal à y croire, même sa prétendue mort n'avait pas réussi à effacer ça.

L'air de rien, comme s'il n'était pas aux prises avec ses pensées qui le tiraillaient, il retrouva Laura.
T’étais pas obligé…
Il releva son regard vers elle et déposa le plateau avant de hausser les épaules.
- J'étais pas obligé non, mais c'est un gros con, voilà tout.

Il s'abstint de dire qu'il aurait pu lui mettre son poing dans la gueule, ça aurait été mérité.
À la place, il cessa de parler et la laissa prendre sa gamelle et ses couverts.
Il fit de même et s'adossa au container, une jambe repliée de manière à caler sa plante de pied contre le métal. Du bout de sa fourchette, il remua le contenu. Mieux valait manger que parler.
La remarque de Laura lui donnait foutrement raison.
Tentant de camoufler une légère grimace, il porta son regard vers les équipes qui déjeunaient plus loin.

- Ouais et bien, il faut croire que je n'ai pas le niveau pour cette mission. J'ai pas reçu de convocation.
Putain que ça faisait mal à admettre.
- La logistique c'est bien aussi, je suis dans l'équipe de réassort du début d'aprem pour emmener sur l'île tout ce qu'on a préparé ce matin. Et puis je me suis porté volontaire pour tenir l'avant poste au port, une fois qu'il sera repris.

On se consolait comme on pouvait. Il n'avait pas encore eu la réponse mais il espérait vivement qu'elle soit positive. Ça voudrait dire moins de temps sur le bateau, moins de temps pour la voir elle. Et à cette idée, il reporta son regard sur l'indienne.

J’étais pas obligé, non, mais c’est un gros con, voilà tout. Elle eut du mal à faire taire le sourire tant amusé que reconnaissant sur ses lèvres, déviant le regard vers le plateau qu’il avait posé non loin d’elle. Un gros con. Oui, c’était cela. Un autre mâle alpha à l’égo si grand qu’il était complexe pour elle de s’affirmer, même en temps que PDG de sa propre entreprise tant elle ne se sentait pas légitime dans cette interaction. Depuis qu’elle était revenue à la vie, Laura avait bien dû mal à faire valoir la légitimité de sa présence, de sa survie aussi, elle avait renoncé à prendre ce taureau par les cornes… pour le moment. Elle ne doutait pas qu’à un moment donné, son tempérament la pousserait à se relever et à faire entendre sa voix pour mieux écraser ceux qui, jusque-là, se sentaient supérieurs à elle, d’une manière ou d’une autre.

Doucement, elle se saisit de la gamelle que Julian lui avait ramené, ration correcte pour mieux reprendre de l’énergie. Le silence retomba entre eux et Laura, comme Julian, joua un moment avec sa nourriture, du bout de sa fourchette. Et puis, finalement, chassant l’ange qui était passé entre eux, elle l’interrogea sur sa non-présence sur l’autre bateau. Enfin, elle évoqua davantage sa surprise à ne pas le savoir là-bas et à le découvrir plutôt ici. Les grands yeux noirs de l’Indienne, alors, avaient quitté son plat pour mieux se concentrer sur lui, percevant cette grimace qu’il tenta visiblement de masquer. Il faut croire que je n’ai pas le niveau pour cette mission. J’ai pas reçu de convocation. Elle releva les sourcils, s’interrogeant sur cette possibilité. Et puis, elle se rappela de sa corpulence, quand ils s’étaient retrouvés à Melbourne, de l’homme svelte qu’il était devenu, ses muscles ayant fondu après toutes ces années loin de son statut d’agent d’intervention. Finalement, à distance, il semblait avoir partagé son fardeau… Non, impossible. Julian passait des jours heureux avec cette psychologue blonde à la mine charmante… Comment aurait-il pu partager sa souffrance ?

La logistique, c’est bien aussi. Qui êtes vous et qu’avez-vous fait à Julian Blake ? Un sourire amusé se dessina sur les lèvres de Laura alors qu’elle le regardait essayer de se convaincre lui-même de cette idée. Et puis je me suis porté volontaire pour tenir l’avant-poste au port, une fois qu’il sera repris. « Ah ! Là, je te reconnais un peu plus ! » L’enthousiasme de cette phrase la désarçonna elle-même et elle eut un instant de doute quant à cette situation toute entière, rougissant légèrement sous son teint hâlé, humectant ses lèvres en détournant le regard. « Enfin… Je veux dire… Disons que tu étais du genre à te ruer là où il y avait du danger… » Et combien d’heures avait-elle attendu son retour, espéré pour sa survie… Le souvenir de ce retour de mission où il avait été blessé lui revint et les émotions qui avaient accompagné cet instant aussi. Cherchant à noyer le trouble qui la dévorait, elle enfourna une bouchée, mâchonnant en grimaçant légèrement. « Ils ont raison… Ca ne vaut pas du champagne et du caviar… Même si pou le second, j’ai un doute, je crois que je ne sais plus quel goût cela peut avoir… » Des sens amoindris en plus d’un corps affaibli. Avait-elle le droit de se plaindre, pourtant, elle qui était encore en vie ?

Soupirant doucement, elle glissa son regard vers l’équipe qui discutait, plus loin. « Miller m’a envoyée ici… Il ne voulait pas m’avoir dans les pattes pendant tout ça et… Il a cru que je pourrais être utile, mais c’était bête, pas vrai ? » A nouveau, elle joua avec sa nourriture du bout de sa fourchette, soupirant doucement. « Et je n’ai pas la moindre idée de pourquoi je te raconte tout ça… C’est plutôt le docteur Lane qui chercherait à savoir ce que je ressens et qui m’inviterait à le lui partager… » Se vengeant sur une nouvelle fourchette, elle se retint de rire. Toute cette situation était étrange non ?

D'un point de vue extérieur, la scène pouvait paraître banale : un homme et une femme mangeant simplement ensemble. Cette normalité cependant était effrayante aux yeux de Julian. Où étaient passées ces quatre années ? En regardant Laura comme en ce moment, il avait le sentiment que rien n'avait changé, qu'ils étaient encore là, tous deux, à donner le change à leur environnement pour mieux camoufler ce qui les liait vraiment.
Tout semblait différent et pourtant, pourtant quelque chose demeurait comme avant.
Les bateaux avaient remplacé l'île mais plus pour longtemps, Miller l'avait remplacé lui à la direction de la sécurité et c'était probablement pour le mieux. Julian n'était plus que l'ombre de lui-même et s'il faisait des efforts pour redevenir cet agent fiable et forte, la présence de Laura à ses côtés lui rappelait à la fois ses échecs et à la fois des moments d'intense bonheur partagé à deux.

Il ne pouvait lui en vouloir pour ça, comment l'aurait-il pu ? Alors il s'en voulait à lui, d'avoir tout gâché.
Quatre années s'étaient écoulées, cependant, dès lors qu'il la regardait comme en ce moment, il lui semblait que c'était la veille qu'elle avait quitté sa chambre. Et en même temps, son cerveau avait du mal à croire, qu'elle était bien vivante.
C'était un peu comme vivre un rêve éveillé. Serait-elle là encore demain ? Et les jours d'après ?

Il ne pouvait s'empêcher de l'observer même quand il lui racontait des banalités sur la vie qu'il essayait de reconstruire ou de celle dont il cherchait à se convaincre. La logistique...lui qui s'était toujours vu comme un homme de terrain...Pourquoi souriait-elle ? Son enthousiasme rompit ses pensées et il la regarda les yeux légèrement arrondis, la fourchette en suspens dans les airs.
Son morceau de viande retomba dans sa sauce et il fronça doucement les sourcils avant de laisser son propre sourire étirer légèrement ses lèvres.

- Ouais, concéda-t-il parce qu’elle était la mieux placée pour connaître son addiction à l'adrénaline. Mais quel danger peut-il y avoir sur une île remplie de dinosaures ? En fait, il n'y a du danger que si on se fait croquer. Le reste du temps c'est une petite promenade de santé au chaud et à l'humidité, un spa à ciel ouvert non ?

Il haussa les épaules, amusé par ce trait d'ironie. Lui en voulait-elle d'être du genre à se ruer vers le danger ? Elle ne le lui avait jamais dit, il songeait même que c'était ce côté aventurier qui l'avait séduite à l'époque. Cet homme téméraire et borné, prêt à tout pour ses projets à elle.

Reprenant une bouché, il sourit à nouveau à sa comparaison avec le champagne et le caviar. Il aurait pu lui demander si ça lui manquait, mais il la connaissait suffisamment pour savoir que non. Laura aimait les choses simples, comme de simples pâtes aux légumes, de la cuisine maison et de la convivialité.
Il posa son assiette et prit à la place la bouteille d'eau pour se désaltérer, son regard suivant celui de Laura vers les équipes plus loin.

Miller m’a envoyée ici… Il ne voulait pas m’avoir dans les pattes pendant tout ça et… Il a cru que je pourrais être utile, mais c’était bête, pas vrai ?

Elle soupirait beaucoup, ce qu'il interpréta non pas comme de l'ennui mais du tracas.
Et je n’ai pas la moindre idée de pourquoi je te raconte tout ça… C’est plutôt le docteur Lane qui chercherait à savoir ce que je ressens et qui m’inviterait à le lui partager…


Son regard se porta à nouveau sur elle, en silence. Il n'était pas très doué avec les belles paroles, le genre de choses qu'on pouvait dire pour remonter le moral à quelqu'un. Julian était franc et parlait la plupart du temps sans filtre.

- J'en ai pas la moindre idée, reprit-il en regardant à nouveau les équipes. C'est vrai que je ne t'ai pas invitée à me partager tout ça.
Un court silence s'imposa avant qu'il ne revienne à elle.

- Mais je suis content que tu l'ais fait, même si moi non plus je ne comprends pas pourquoi, avoua-t-il à mi-voix.

Pourquoi ne pas en parler à Peter plutôt ? Ou à Miller ? Ou à n'importe qui d'autre si elle ne voulait plus qu'il l'approche ? Il persistait à s'accrocher malgré les promesses qu'il se faisait à lui même, comme s'il pouvait se convaincre que tous deux n'avaient plus rien à partager. Et si, de son côté elle faisait de même ? Non, c'était ridicule.
Il se râcla la gorge et ajouta en reprenant son assiette pour terminer.

- Quoiqu'il en soit, t'es loin d'être inutile. Ta simple présence est utile. Elle montre que tout ça...c'est pas juste un caprice et que tu es suffisamment courageuse pour l'affronter sans te cacher.

Que pouvait-il ajouter d'autre ? Rien, il se sentait déjà stupide à essayer de faire comme si de rien n'était. Comme s'ils n'avaient jamais franchit la limite entre un instructeur et son élève, entre une patronne et son employé.

Mais quel danger peut-il y avoir sur une île remplie de dinosaures ? En fait, il n’y a du danger que si on se fait croquer. Le reste du temps, c’est une petite promenade de santé au chaud et à l’humidité, un spa à ciel ouvert non ? Elle ricana légèrement, hochant la tête de droite à gauche. « Rappelle-moi de t’emmener découvrir ce qu’est un vrai spa… » Pourquoi ? Pourquoi devait-elle penser moins vite que ses mots ? Quatre années plus tôt, tout ceci aurait eu bien du sens mais à présent… Comment pouvait-elle tenir des propos aussi incohérents, aussi peu réalistes ? Elle toussota machinalement, se mordant la lèvre inférieure avant de tenter de donner le change. « Mais oui… Une promenade de santé… D’ailleurs, tout ça, c’est juste parce que j’avais pas envie de m’ennuyer toute seule sur cette île… » Parce que si tout était si simple, elle serait bien évidemment en première ligne, à se précipiter vers le nord d’Isla Nublar pour des raisons plus personnelles que le projet en lui-même. Son regard se releva vers Julian. S’en souvenait-il ? Oui… Ne l’avait-il pas vaguement mentionné à Melbourne ? Ou bien avait-elle voulu qu’il puisse se rappeler de tout cela, de sa promesse de l’emmener jusqu’à la gigantesque volière et ses ruines ?

Noyant son trouble dans son plat, elle enchaîna quelques fourchettes assez remplies avant de, finalement, lui exprimer comme le responsable de la sécurité en place avait tenté de l’évincer de ses responsabilités pour mieux affronter cette journée. Il avait pourtant été bien optimiste de penser qu’elle puisse se débrouiller toute seule tout comme il apparaissait évident qu’il n’avait su prendre la peine de vérifier qui était embrigadé dans cette partie de la mission sans quoi, il aurait certainement su éviter un nouveau conflit d’intérêt. Julian sembla aussi gêné qu’elle alors qu’elle laissait les mots sortir sans son réel consentement de sa bouche. J’en ai pas la moindre idée. N’était-ce pas la nouvelle manière de dire « tu me fais chier à me raconter ta vie » ? C’est vrai que je ne t’ai pas invitée à me partager tout ça. Plus ça allait, plus ça manquait cruellement de tact, cette histoire… Laura aurait préféré disparaître six pieds sous terre ou, en l’occurrence, au fond de l’océan. Elle soupira, évidemment, évitant autant que possible le regard de Julian qui se posait sur elle.

Mais je suis content que tu l’aies fait, même si moi non plus je ne comprends pas pourquoi. Elle souffla dans ses narines, amusée par cette situation plutôt ridicule. Ainsi donc, il y avait bien des sujets qu’ils pouvaient aborder et d’autres non, sans que ça ne devienne étrange entre eux. Machinalement, elle agita ses jambes dans un balancier régulier, retenant ses talons pour ne pas qu’ils viennent heurter la caisse, mâchonnant sa dernière bouchée avec plus de temps que les précédentes, digérant les mots de son voisin. Quoiqu’il en soit, t’es loin d’être inutile. Machinalement, elle releva les yeux vers lui, son regard s’offrant au sien tandis qu’il cherchait à la rassurer. Ta simple présence est utile. Elle montre que tout ça… C’est pas juste un caprice et que tu es suffisamment courageuse pour l’affronter sans te cacher. Doucement, elle avait laissé ses lèvres s’étirer avant de baisser à nouveau le regard. « Aussi ironique cela puisse être… Ca demande bien moins de courage que d’affronter la vie tout court… » Certains tabloïds l’avaient pointé du doigt. Laura Masrani : Se cacher pour mieux renaître. Car la réalité était effrayante. Car ce monde qu’elle avait manqué n’était plus le sien, de bien des manières, et elle paniquait davantage quand elle devait faire mine que tout allait bien au sein de cette société plutôt qu’ici. Déposant sa gamelle à côté d’elle, elle soupira en empoignant sa bouteille d’eau. « Je crois plutôt qu’ici… C’est bien là où je me cache, tu sais ? » Elle posa le goulot contre ses lèvres, buvant quelques gorgées avant de poursuivre. « Quant au courage… J’en sais rien, je crois que j’ai du mal à l’entrevoir… Par contre, le caprice existe, mais il ne sera pas sur Isla Nublar… » A cette pensée, son sourire s’étira doucement en coin, son regard se faisant bien mystérieux.

À la mention du spa, Julian s'était légèrement raidi. La proposition aurait eu du sens quelques années plus tôt mais aujourd'hui ? Il avait beau se dire que ses mots avaient franchi les lèvres de Laura de manière naturelle, sans arrière pensée aucune, il ne pouvait s'empêcher d'y voir un sens caché.
Était-ce parce que tous deux avaient passé une année entière à parler et en comprenant entre les lignes ? Pour pouvoir se donner des rendez-vous ou bien des tenir des allusions qu'ils étaient les seuls à comprendre ?
C'était une douce torture de pouvoir se remémorer ça et il déglutit en replongeant son nez dans sa gamelle.
Comme elle toussotait, il l'observa du coin de l'œil, à la dérobée. Elle se mordait la lèvre inférieure avant de clôturer le sujet. Il n'ajouta rien, ayant compris à ce simple geste qu'elle était gênée.

Suite à quoi, elle s'était ouverte à lui et avait partagé ses pensées sans réellement comprendre pourquoi elle le faisait. Il n'en avait pas la moindre idée et avait répondu en ce sens. Un espoir cependant ou peut-être une simple envie naquit alors quelque part en lui. Peut-être que leur alchimie se reconstruisait naturellement.
Il n'osait se faire trop d'espoir et préféra repousser l'idée. Fermement.
Avec maladresse, il avait tenté de lui montrer qu'elle était loin d'être inutile alors et que sa présence avait du sens. Certes, ses mots jusqu'à la manière dont il s'exprimait ne donnaient nullement l'impression qu'il la soutenait et pourtant, pourtant, il était peut-être le mieux placé pour savoir à quel point ce parc, ces dinosaures et cette volière avaient de l'importance aux yeux de l'Indienne.

Un sourire apparut sur les lèvres de la jeune femme et il fut rassuré de constater qu'il n'avait pas encore tout foutu en l'air.
Est-ce que ce serait cela leur quotidien désormais ? Discuter de manière maladroite en prenant soin de conserver une distance respectable ?
C'était un peu triste mais si elle le souhaitait, il s'y plierait sans moufter.
C'était le moins qu'il lui devait.

Aussi ironique cela puisse être… Ca demande bien moins de courage que d’affronter la vie tout court…
Instinctivement, il tourna son visage dans sa direction, les sourcils très légèrement froncés car il n'était pas certain de comprendre. Était-ce si difficile de revenir d'entre les morts ? Lorsqu'ils avaient évoqué cette particularité à Melbourne, elle ne lui avait pas semblée si ennuyée. Je crois plutôt qu’ici… C’est bien là où je me cache, tu sais ?
Il l'observa tandis qu'elle buvait, réfléchissant à ses paroles. Sa venue sur Isla Nulbar était-elle une fuite en avant ? Le moyen de se cacher de la société ? C'était possible oui. Bizarrement, il en eu un pincement au cœur. Lui n'avait pas hésité une seule seconde à revenir, juste pour elle. L'inverse n'était évidemment pas vrai et même s'il le savait et s'il le comprenait, une minuscule part de lui-même attendait encore qu'elle fasse un pas vers lui.
Combien de fois devrait-il se prendre des murs pour qu'il abandonne ?
Beaucoup, certainement. Car quand il la voyait comme aujourd'hui, quand il pouvait se permettre de passer un peu de temps en sa compagnie, tout ce qu'ils avaient vécu lui revenait en pleine gueule. Comme l'assaut inlassable des vagues sur un rivage.
Elle ajouta quelques mots qu'il ne comprit définitivement pas. Le sourire qu'elle afficha alors lui sembla énigmatique. Intrigué, il reposa toutes ses affaires et toujours adossé au métal, croisa les bras sur sa poitrine. À son tour, il sourit et lui dit :
- Là en revanche, tu m'as perdu je crois. Je ne te suis pas, Laura Masrani serait de nature capricieuse et pas pour une île de milliards de dollars ?

Ses paroles transpiraient l'ironie qui s'acheva par un petit rire. Avisant leurs deux gamelles, il ajouta :
- Tu as fini ? Je vais ramener ça et achever les préparatifs avant que...
- BLAKE ! C'est bientôt l'heure, cria Hannah au loin.
- ... que l'alarme sonne ? On dirait bien que je vais quand même pouvoir poser les pieds sur Isla Nublar aujourd'hui, annonça-t-il.
Cette perspective le rendait profondément heureux et anxieux aussi. Il ne ferait que déposer du matériel sur le quai, cependant, la symbolique derrière était puissante.
- J'arrive! cria-t-il à l'intention de sa collègue avant de se tourner à nouveau vers Laura.
C'était sympa de manger ensemble et de discuter un peu. J'étais pas certain qu'on y arrive encore à vrai dire...J'espère qu'on aura d'autres occasions.

Il était visiblement gêné de le dire à voix haute, mal à l'aise. Cependant, le point positif dans la perte de la femme qu'on aimait de manière soudaine, c'est qu'après l'avoir vécu une fois et si on avait la chance de la retrouver, on hésitait moins à livrer des choses qu'on aurait pas dit auparavant.
La peur de manquer de temps, que le moment passe et que ce soit trop tard. Il ne voulait plus revivre ça et regretter jusqu'à vouloir mourir.

Le sourire complice qu’ils échangèrent valait toutes les richesses de l’Univers. Laura n’avait survécu que pour cela, pouvoir sourire aux côtés de celui pour qui son cœur s’emballait à chaque fois qu’ils semblaient respirer le même air. Là, en revanche, tu m’as perdu je crois. C’était là tout l’intérêt de cette phrase aux allures mystiques. Des surprises, elle en avait encore en réserve et les dévoiler était encore prématuré quand on savait que ces idées n’étaient encore là que sous forme de projets, plus ou moins viables. Je ne te suis pas, Laura Masrani serait de nature capricieuse et pas pour une île de milliards de dollars. Elle plissa son regard sombre pour le regarder d’un air désabusé avant de lever les yeux au ciel. « Tu sais très bien que les îles sont ma passion première et que mes milliards ne servent qu’à céder à mes caprices… » Douce ironie pourtant pas si loin de la réalité. Evidemment, le projet de Laura ne coûtait pas des milliards, bien au contraire, quoique le plus pénible financièrement parlant serait bien de faire venir les matières premières des quatre coin du monde jusqu’à cette fameuse île désignée, sans le savoir, par Julian.

Tu as fini ? Je vais ramener ça et achever les préparatifs avant que… BLAKE ! Elle sursaute face au cri poussé par la jeune femme, destiné à son voisin, lui annonçant le dur retour à la tâche. Bon Dieu, elle avait presque momentanément oublié l’existence de cette tempétueuse Hannah. On dirait bien que je vais quand même pouvoir poser les pieds sur Isla Nublar aujourd’hui. Etait-elle envieuse d’une telle chose ? Etait-ce cela, cette boule au creux de son ventre ? Ou bien… « Sois prudent… » Un voile d’inquiétude concernée passa dans ses yeux sombres, encore tourmentés, avant qu’elle ne dérobe son regard, un sourire gêné sur les lèvres. « Je préférerai remplir de la paperasse concernant des soucis majeurs le plus tard possible… » Oui, mieux valait justifier ça de cette manière.

C’était sympa de manger ensemble et de discuter un peu. J’étais pas certain qu’on y arrive encore à vrai dire… J’espère qu’on aura d’autres occasions. A nouveau, elle afficha un demi sourire, bien plus artificiel que celui qu’ils partageaient encore l’instant d’avant. « Ouai… Moi aussi… » Et puis, il reparti, embarquant les restes de leur repas partagé pour mieux lui éviter de débarrasser les choses, probablement. Laura eut un léger sourire pour Hannah, comme pour mieux la saluer, à moins que ce ne soit pour la congédier. Et puis, ce départ marquant l’heure de la reprise, elle s’en retourna vers le chef des opérations, l’interrogeant sur les tâches qu’elle pouvait accomplir, insistant pour faire valoir sa légitimité en ces lieux. Son ton autoritaire fit mouche chez deux curieux qui échangèrent un regard complice. « Vous pouvez venir avec nous, mademoiselle Masrani. On a un container à vérifier. »

Était-ce de la naïveté, ou sa volonté de prouver son utilité qui la poussa à les suivre bêtement ? Elle ne remarqua pas les regards emplis d’excitation, comme celle que l’on ressent quand on s’approche du danger, comme lorsque l’on joue avec le feu. L’un était plus hésitant que l’autre mais, dans le fond, qu’était-ce à part un léger bizutage ? Ils étaient tous passés par des étapes similaires et, finalement, c’était bien gentillet de la pousser dans un piège tel que celui-là qui ne la mettrait pas en danger, qui ne ferait que jouer avec sa patience. L’un d’eux ouvrit le container, l’autre invitant Laura à entrer. Il fallut quelques pas à Laura avant de froncer les sourcils devant le manque évident de matériel dans l’habitacle vide. « Je crois que vous vous êtes… Eh ! » La porte grinça derrière elle et la noirceur gagna du terrain avant de l’envelopper toute entière dans un claquement de métal. Se précipitant en avant, elle ne peina pas avant de sentir la lourde porte sous ses mains, poussant le métal de toutes ses forces. « Le prenez pas mal, mademoiselle Masrani ! On est tous passés par là ! Bienvenue à Jurassic World ! » Ils ricanèrent comme deux hyènes, Laura écarquillant les yeux un moment.

JET DE DE « Adrénaline » - REUSSITE (2/7)

Elle souffla longuement, refusant de laisser la panique l’emporter, avant de déglutir avec force. « Ah ah ah ! Très drôle ! Allez, laissez-moi sortir de là, on a du travail qui nous attend… » Mais seul le silence lui répondit. Ses yeux, dans le noir, étaient incapables de s’accrocher quelque part, roulant dans leur orbite avec inquiétude. « Eh oh ? » Seuls les grincements métalliques et réguliers lui parvenaient de la structure dans laquelle elle se trouvait. Reste calme, Laura. Ce n’est pas comme… Là-bas. Ça n’a rien à voir. Mais ça risquait de devenir au moins aussi anxiogène si le temps s’égrainait encore et encore sans qu’on ne vienne la libérer. Appliquant les méthodes de relaxation enseignées par le docteur Lane, elle laissa son dos rencontrer la paroi métallique adjacente à la porte, se laissant glisser contre cette dernière pour mieux s’asseoir. On allait venir la chercher. Forcément. Quelqu’un allait finir par venir…

Ces pensées, elle les avait eues aussi, les premiers temps. Et puis, elle avait fini par se persuader du contraire. Dans la gestion de son stress post-traumatique, elle tenta de demeurer lucide, de ne pas se faire happer par ses démons. Quelque chose la gênait, au niveau de sa taille. Elle étendit ses jambes avant de comprendre de quoi il s’agissait. Son téléphone ! Ses mains s’empressèrent de venir se saisir de l’appareil, la lumière aveuglante qu’il offrit lui ravivant d’autres souvenirs terribles autant qu’elle était bienvenue. « Allez, ça va le faire… » Machinalement, ses doigts cherchèrent le contact le plus légitime. Miller ? Il était occupé. Damian ? Il était à l’autre bout du monde. « Merde. » Qui ? Qui devait-elle essayer de contacter ? Réfléchis, vite. La panique n’était jamais loin. Et alors, elle resongea à Julian, à leur repas. Il était à bord, il pouvait intervenir…

Le cœur battant, elle déroula sa maigre liste de contact jusqu’à lui, lançant machinalement l’appel. Mais… Que lui dire ? Et sa voix, dans ce noir si profond… Elle douta. Une sonnerie se fit entendre avant qu’elle ne flanche, raccrochant hâtivement, se mordant la langue. Non, c’était trop la honte, elle ne pouvait pas lui parler, d’autant plus qu’elle risquait de dissocier et de soudainement replonger dans une impression terrible de déjà-vu. Soupirant longuement, elle finit par agiter ses doigts sur son clavier, lançant un premier message d’alerte à celui qui était momentanément le plus disponible pour jouer aux héros.

Julian avait souri au trait d'humour de Laura. Les îles n'étaient peut-être pas sa passion première, en revanche, une île en particulier la hantait depuis des années. Il était bien placé pour le savoir. Quant à ses caprices...il n'en connaissait aucun. À moins que tenir une relation discrète avec un agent de sécurité en eut été un ? La Laura qu'il connaissait avait sacrifié beaucoup d'elle-même pour les projecteurs. La Laura qu'il connaissait n'avait pas vécu entièrement pour elle-même en étant la proie des photographes et des tabloïds. Toujours à devoir garder la face, toujours à devoir aller de l’avant pour conserver cette image lisse. Il avait essayé de lui apporter au moins ça : Un refuge entre ses bras, un endroit connu  d'elle seule où elle pouvait se réfugier quand elle en éprouvait le besoin. Ce temps était révolu mais il ne regrettait pas ce qu'ils avaient vécu avant le drame. Les ombres lui allaient bien, garder ce secret pour eux seuls lui convenait.
Julian n'avait pas eu besoin d'être aux côtés de Laura pour un ego flatté ou pour quoique ce soit. Il s'était toujours senti chanceux d'avoir été choisi. Chanceux d’avoir pu respirer son odeur et le même air qu'elle, chanceux d’avoir pu la découvrir chaque jour un peu plus.

Hannah les interrompit et il annonça son départ à venir.
Sois prudent…
Son cœur manqua un battement et il demeura un instant immobile à simplement observer l'inquiétude qui passait sur les traits de la jeune femme, jusqu'à ses yeux sombres. Il ne voulait plus qu'elle s'inquiète pour lui, il le lui avait dit. Comme il lui offrait un sourire de façade, elle ajouta en détournant le regard qu'elle n'avait pas envie de s'embêter avec de la paperasse.
Un petit rire étouffé parvint jusqu'à ses lèvres avant de répondre à Hannah qu'il arrivait.
Mais sur le départ, il avait voulu lui dire qu'il avait apprécié ce moment en tête à tête, contre toute attente.
Bizarrement, il la sentit moins convaincue par ces mots-là. Peut-être qu'il se trompait, encore ?

Il rejoignit les autres après avoir déposé les reliefs du repas. Hannah lui faisait la discussion, de fait, il se dirigea vers le bateau sans même se retourner. Même s'il avait envie de voir si Laura le regardait, il n'avait pas envie de savoir qu'elle ne le faisait pas.
Quelques sacs supplémentaires furent chargés, puis tout le monde embarqua. Une dernière fois, on vérifia que tout était bien arrimé avant de partir en mer et une fois la confirmation effective, les moteurs s'activèrent.
Julian s'était installé à l'avant mais il dut très vite changer de place. Tous les nouveaux qui n'avaient jamais mis un pied sur l'île se regroupaient à ce niveau là. Il prit le parti de se mettre à l'arrière puis croisa les bras en s'adossant à la rambarde. Une vibration attira son attention dans sa poche. Il en sortit son téléphone et reconnut le numéro instantanément.
SOS ? Naturellement, il se tourna et observa le navire de marchandise. Tout paraissait calme. Il répondit en montrant son incompréhension.
S'en suivit un échange de messages quelque peu mystérieux jusqu'à ce qu'il comprenne que Laura était enfermée dans un container. Comment avait-elle fait son compte ? Et pourquoi n'appelait-elle pas au secours ? N'y avait-il personne pour lui ouvrir ?
Il était tellement concentré à lui répondre et à essayer de comprendre ce qu'il se passait, qu'il ne vit pas l'île approcher et encore moins Hannah.

- À qui t'envoies des mots doux ? demanda-t-elle avec nonchalance.
- Personne, répondit-il du tac au tac en rangeant le mobile.
Elle l'observa un moment, un vague sourire affiché sur les lèvres.
Il se demanda ce qu'elle avait bien pu lire sur l'écran et se félicita intérieurement d'avoir eu l'idée de supprimer le contact de Laura quelques jours plus tôt.
Inspirant profondément, il reporta son attention sur l'île qui n'était plus très loin; ses pensées divaguant doucement vers une Laura enfermée quelque part avec une mauvaise sensation de déjà vu.
- T'étais pas célibataire ?
- Tu comptes me gonfler encore longtemps ? Tu préfères pas aller voir l'accostage sur l'île comme nos petits camarades ?
Elle éclata d'un rire franc et il ne put retenir un sourire. C'était comme ça que ça fonctionnait entre eux. Julian appréciait sincèrement Hannah mais parfois, il avait besoin de respirer et qu'elle ne se mêle surtout pas de ses affaires.

Comme elle s'éloignait après lui avoir lancé un regard entendu, il inclina doucement la tête en voyant l'île devenir ce géant monstrueux. Une certaine appréhension le gagna doublée d'une impatience latente. Quatre ans qu'il était parti et voilà qu'il allait reposer les pieds sur ce territoire.
Une part de lui était émue en voyant les arbres se dresser, le quai mal en point après quatre années d’abandon. Une autre, s'inquiétait des messages de Laura.
Les équipes sur place s'agitaient, rangeaient, vaquaient à leur mission. Le ballet était charmant à regarder mais savoir Laura enfermée lui gâchait son plaisir. Dès que le bateau fut amarré, il s'activa pour aller au plus vite.
Jamais les cantines et autres caisses ne furent déchargées aussi rapidement. Et si les autres faisaient un peu traîner pour continuer à admirer l'île avec la ferme intention de vouloir donner un coup de main pour faire un tour, Julian rappelait inlassablement l'ordre de mission et les poussait à regagner le bateau.
Heureusement, le supérieur qui les accompagnait appuya ses propos. Aussi, il passa plus pour un emmerdeur qu'un petit chef.
Le trajet lui sembla durer un siècle et à mi-chemin, il envoya un message à Laura pour la tenir informée. Hannah lui parlait et il donnait le change mais intérieurement, son inquiétude grimpait et il espérait que quelqu'un ait retrouvé Laura en attendant son retour.

Lorsque le bâtiment fut regagné, il fut le premier à sortir et se mit à chercher Laura. Très vite, il se rendit compte que ça allait être aussi compliqué que de trouver une aiguille dans une botte de foin. Il ne pouvait tout simplement pas faire tous les containers mais demander si quelqu'un avait vu Laura Masrani aurait semblé bizarre.
Il se sentit pris au piège comme un lion en cage et cherchait du regard le moindre indice tout en avançant. Il retourna là où ils avaient mangé, là où il l'avait vu effectuer ses tâches durant la matinée mais rien ne lui donnait d'indice et Laura ne réapparaissait pas.
La panique commençait à le gagner, nourrie par la colère de se sentir si impuissant, comme ce fameux jour où elle avait disparu.
Une impulsion lui fit sortir son téléphone, il déverrouilla l'écran et l'appela.

- Blake ! On nous demande pour un inventaire...
- Tu as vu Laura Masrani ? La coupa-t-il d’une voix forte en passant devant deux types qui se mirent à pouffer dans leur barbe.
- Euh...non, tu veux que je t’aide à la trouver ? Elle doit pas être bien loin, je veux dire…c’est un bateau, proposa Hannah en s'approchant.
Julian avait toujours son téléphone en main et s'était arrêté net à proximité des deux types. Pourquoi rigolaient-ils ? Il les regarda avec suspicion et fit un geste envers Hannah qui s'apprêtait à parler.

- Pourquoi vous riez ? Demanda-t-il aux deux agents.
- Pour rien.
Ces deux là ne lui inspiraient pas grand chose mais il n’allait pas les torturer. Il les contourna et commença à ouvrir le premier container. Tant pis s’il devait y passer l’après-midi, il ouvrirait ces foutus containers un à un mais il la retrouverait, il le devait.
La tension montait en lui à chacun de ses pas, son souffle se faisait plus court, son angoisse exacerbant son humeur et chaque geste qu'il réalisait. Il avait failli à sa mission de la retrouver quatre années en arrière, il ne pouvait pas échouer aujourd'hui aussi.

Après un temps qui lui sembla incroyablement long, Hannah arriva jusqu’à lui.
- Elle est dans un container, lâcha-t-elle.
- Je sais putain ! s’emporta-t-il avant de se reprendre.
Il marqua une pause, la dévisageant soudain.
- Mais toi, comment tu le sais ?
- Les deux types de tout à l’heure me l’ont dit. Ils ont voulu lui faire une plaisanterie, genre vanne de bizutage et…Julian !
Il n’avait pas écouté la suite et avait fait demi-tour vers les deux agents qui ricanaient encore, jusqu’à ce qu’ils le voient arriver.
Sans réfléchir, il fondit sur le premier des deux et l’empoigna par le col avec force, le secouant un peu au passage.
- Elle est où ?
- Hé ça va calme toi!
- Julian, arrête, tu vas attirer l’attention de tout le monde là, annonça Hannah quelque peu mal à l'aise.
Mais c’était trop tard, Julian avait déjà perdu le contrôle et son impulsivité prit le dessus. Son poing s’écrasa sur le visage du type qu’il tenait dans un bruit sourd.
- Hey, beugla l’autre mais t’es malade ? C’était juste une plaisanterie ! Pour lui montrer qu’elle fait partie du groupe, une petite plaisanterie de bienvenue quoi !
Il relâcha le premier qui se tenait le visage endolori en maugréant. une marque était déjà entrain d'apparaître et sa pommette saignait.
- Et vous vous êtes pas dit qu’enfermer dans le noir une personne qui a été séquestrée 4 ans dans les mêmes conditions c’était une idée à la con ?
Il y eut un moment de flottement, comme s'ils ne savaient plus quoi dire. Rangeant son téléphone, il demanda en soupirant, soudainement soulagé de pouvoir mettre un terme à tout ça :
- Elle est où ?
- Le container de la troisième rangée là-bas, le D-17.

Sans hésiter, il se hâta dans la direction indiquée, Hannah sur ses talons, et s'arrêta devant le container en question. Il observa un moment le chiffre et ouvrit la porte, offrant une lumière certainement bienvenue dans la caisse en métal.

- Laura ? Appela-t-il en entrant, ses yeux ayant du mal à s'acclimater à l'obscurité soudaine.

SOS. Elle n’avait pas trouvé mieux que ces trois lettres, signalant sa détresse. En même temps, il lui semblait compliqué de faire une entrée en matière plus explicative façon « Hey Julia, deux de tes collègues se sont dit que c’était marrant de m’enfermer dans une boîte de conserve géante mais je peux pas en sortir, un coup de main ? ». Non, vraiment, c’aurait été n’importe quoi. Soupirant longuement, elle chercha à faire le vide au fond d’elle-même, à garder son calme autant qu’elle le pouvait. Pourtant, à mesure que les secondes passaient, son regard demeurait accroché à cette seule source lumineuse, à ce seul lien vers le monde extérieur. Réponds… Par pitié, réponds… Mordant sa lèvre inférieure avec force, elle sentit un poids s’envoler face à ce simple point d’interrogation. « Yes ! » Cherchant la solution plutôt que présentant le problème, elle enchaîna, tapotant sur son écran tactile à un rythme soutenu. Pourtant quand il lui répondit ne plus être à bord… « Bordel… Non, non, non ! » Machinalement, elle tapa à plusieurs reprises l’arrière de sa tête contre la paroi métallique. Elle était foutue. Il partait pour Isla Nublar ne reviendrait plus jamais. Reste calme. Ça va aller…

Elle ne sut pas réellement quoi lui répondre, momentanément, essayant de se persuader elle-même que tout irait bien, l’ironie empoisonnant rapidement son esprit et ce fut avec cette mentalité qu’elle finit par mentionner la possibilité d’une chasse au trésor. Mais pour quelle foutue raison Julian se lancerait-il dans une quête pour mieux la retrouver, elle ? Il avait bien d’autres choses à faire, non ? Au moins, il pourrait bien prévenir quelqu’un en conséquence, non ? Qu’est-ce qu’il se passe Laura ? A plusieurs reprises, elle tapota son écran, cherchant à trouver la meilleure formulation pour lui exposer la situation. Elle ne souhaitait pas passer pour une andouille. Elle ne voulait pas non plus qu’il puisse s’agacer contre ses congénères mais elle n’avait d’autre choix que d’exposer les choses. Tu te fous de moi ? Bien malgré elle, un sourire vint étirer ses lèvres face à ses mots. Quatre années après et toujours cette même suite de mots pour mieux exprimer comme elle pouvait l’agacer parfois… Prenant une grande inspiration, elle essaya de recentrer les choses, de ramener l’essentiel et les priorités dans la situation du moment, pinçant les lèvres dès qu’elle appuyait sur la flèche d’envoi des messages. Au moins, elle avait cela. Au moins, elle pouvait se raccrocher à quelque chose à l’extérieur de cette boîte de conserve.

Est-ce que ça ira d’ici là ? Quoi répondre à ça ? Elle ne pouvait le garantir mais elle essaierait de garder le cap, au mieux. Elle n’eut que le temps de répondre avant que son téléphone ne vienne lui faire comprendre que ce joker là n’était plus disponible. Laura n’avait pas prêté attention au niveau de batterie de l’appareil et quand la noirceur s’empara des lieux, il n’y avait plus qu’elle pour affronter les ténèbres. « Non ! Non ! Par pitié, rallume-toi ! Allez… Ne me laisse pas… » Mais c’était peine perdue et la brèche vers un retour en Enfer venait de s’ouvrir sous ses pieds. Le cœur battant plus rapidement, ses yeux s’ouvrant sur la nuit interminable, elle sentit son souffle se faire plus court. « Calme toi… Ce n’est rien… Ca va aller… Tu es sortie, Laura… » Elle tentait de se convaincre par les mots, de se conditionner seule dans une bulle de tranquillité mais elle n’en était plus capable. Dehors, une sirène retentit, annonçant une rotation de postes. Une sirène. Stridente. Violente.

Laura plaqua les mains sur ses oreilles, replongeant dans le cauchemar éveillé qu’était son passé. A chaque fois qu’elle n’obéissait pas, cette punition résonnait, à lui briser les oreilles, à la rendre à moitié folle. « Pitié, arrêtez ! Je ferais tout ce que vous voudrez ! » Parce que c’était bien les seuls mots qui pouvaient apaiser les cris stridents et métalliques de la sirène automatique. Gémissant, recroquevillée, elle plongea son visage dans ses genoux, essayant de respirer, toujours. « Julian va venir… Il va venir… » Le temps ne s’égrainait plus de la même manière dès lors qu’elle fut privée de ses repères. La lumière blanche qui tranchait avec la noirceur lui revint en mémoire, ainsi que la voix énonçant le minuteur. Était-ce ce calvaire qu’elle allait à nouveau subir ? Laura… Non, pas ces voix… Pas ces fantômes venant s’amuser d’elle, tentant de la persuader que tout irait mieux demain, que les choses allaient s’améliorer. La voix de son père résonnait dans ses oreilles et elle secoua la tête. « Tu n’es pas réel… Juste une voix dans ma tête… » Elle murmurait plus qu’elle ne parlait, sa gorge serrée ne lui permettant plus que cela. Son corps se crispait, peu à peu, recroquevillée avec force tel l’animal prostré dans le fond de sa cage. Combien de temps ? « Il va venir… Julian va venir… Il a dit qu’il viendrait… » Vraiment ? Il n’avait rien dit de tel, en réalité. Il n’avait rien dit, à travers ce talkie, alors que Banks la poussait à crier pour bien montrer comme il avait su remporter la manche. Banks. Le traitre. La taupe. Le coup de feu. Et puis le vide. Gémissant, Laura se transporta mentalement dans un retour terrible dans ce qui devint une réalité. Et si elle n’était jamais sortie ? Et si ces derniers mois n’étaient que le fruit de son imagination ?

Tu es seule, Laura. Le cauchemar continuait. Il n’avait jamais pris fin. Elle avait cru pouvoir s’extraire mais la réalité était bien plus affreuse. Elle ne sortirait jamais d’ici.

Dans un grondement métallique, la porte s’ouvrit, la lumière jaillissant dans les ténèbres, aveuglante. Le minuteur… Trente minutes avant extinction. N’était-ce pas ce que la voix allait dire ? N’était-ce pas comme cela que les choses fonctionnaient ? Laura ? Julian… Lui aussi n’était qu’un fantôme. « Pas réel… Juste une voix dans ma tête… Pas réel… Juste une voix dans ma tête… » Elle répétait cette litanie inlassablement dans un murmure, les paupières fermées avec force, ses bras maintenant ses genoux contre lesquels elle avait posé son front qu’elle tapait avec régularité contre elle-même.

La lumière s'engouffra dans l'espace clos du container en une figure géométrique étirée, un rai de lumière qui s'échoua sur le mur perpendiculaire de l'ouverture.
Julian avait appelé, en suivant du regard la lumière pour ne tomber que sur du vide.
Il s'était attendu à ce que Laura soit juste derrière la porte en réalité, patientant qu'on vienne lui ouvrir. Mais où était-elle ?
Son regard clair balaya la pièce de métal à la recherche du moindre mouvement. Pourquoi ne venait-elle pas à lui ? Pourquoi n'avait-elle pas tambouriné à la porte en hurlant, depuis tout ce temps ?
Il ne comprenait pas la situation qui se jouait devant lui et l'inquiétude commença à affluer en lui. Etait-elle vraiment là ?
Il poussa la porte qui s'ouvrit en grand dans un grincement mettalique laissant une nouvelle trainée de lumière plus épaisse et plus longue, qui atteignit une partie du fond.
Alors il la vit enfin, créature recroquevillée dans un coin de la boîte en métal.

Ses sourcils se froncèrent et son coeur explosa.

- Fais venir l'hélico pour un rapatriement, préviens Miller, ordonna-t-il à Hannah d'une voix étonamment calme.
Elle hocha simplement la tête et disparu. Il n'était pas son supérieur mais elle respectait suffisament Julian pour lui obéir quand il le fallait.

À son tour, il s'avança dans le container d'un pas rapide, puis en courant.
Le regard rivé sur la jeune femme, son coeur, gonflé par la crainte qu'il ne se soit passé autre chose, cognait fort dans sa poitrine.
Pourquoi ne relevait-elle pas la tête ? Pourquoi restait-elle ainsi ? Etait-elle blessée ? Assistait-il à un nouvel échec ?
Ce n'est qu'en étant proche qu'il ralentit le pas, remarquant dans la pénombre qu'elle bougeait bel et bien, la tête venant rencontrer ses genoux dans un mouvement répétitif.
Il s'accroupit d'abord, puis posa un genou à terre pour plus de stabilité.
Elle parlait, non, elle murmurait des mots qu'il ne comprenait pas.
Son coeur lui donnait l'impression d'être dans un étau, comprimé, en découvrant alors ce qu'il avait craint : que le traumatisme avait été plus grand que ce qu'il avait imaginé, que Laura était brisée et qu'il en était en partie responsable.
Devait-il attendre Miller ? Non, l'idée le traversa de manière fugace parce qu'au fond de lui sa promesse était bien ancrée. Il avait promis de ne plus s'approcher d'elle.
Et pourtant...
Pourtant, voilà où il se trouvait à ce moment précis. Depuis qu'il avait embarqué il faisait tout pour l'éviter mais tels des aimants, ils finissaient toujours par se retrouver d'une manière ou d'une autre. Dans le cas présent, il aurait préféré une autre.

- Laura...murmura-t-il en venant doucement poser une main sur son épaule.
Il s'attendait à tout : qu'elle l'attaque, qu'elle l'ignore, il n'avait pas la moindre idée de la manière dont elle pourrait réagir. La tête de l'indienne continuait son mouvement, agrémenté de parole incompréhensibles. Voix...tête...
Julian devait faire quelque chose, il était hors de question de la laisser ainsi dans un cauchemar éveillé alors que le danger n'était plus.
- Laura, Laura...regarde moi. On va sortir d'ici d'accord ? Ça va aller. Tout ira bien, tu verras.

La main sur son épaule dévia doucement, venant caresser les cheveux de la jeune femme. Il n'avait pas songé une seule minute qu'elle ne voulait plus qu'il la touche, ne comptait que l'instant présent et la détresse qu'elle affichait.

« Pas réel… Juste une voix dans ma tête… Pas réel… Juste une voix dans ma tête… » La lumière irradiait l’habitacle dans lequel elle était enfermé mais Laura ne le regardait pas. Les paupières closes, elle revivait l’Enfer, plongée dans des souvenirs qui étaient redevenus sa réalité. Il n’y avait plus ce container, simplement cette pièce lugubre et terrible dans laquelle elle devait survivre. Et cette immense solitude qui se comblait par les murmures séduisants de ces spectres qui la hantaient. Dans la cacophonie de ces souffles, elle entendit la voix de son père, celle de sa mère, celle de Julian… Laura. Elle se débattait avec ces monstres cachés sous le lit, avec cette culpabilité énorme de n’avoir pas pu les sauver. Un instant, Laura sut se convaincre que ce qu’elle avait vécu ces derniers mois n’avait été qu’un doux rêve, une nouvelle manière de quitter la terrible réalité de sa prison ténébreuse. Miller n’était jamais venu. Damian n’avait jamais essayé de la chercher. Julian était mort.

Un murmure plus fort se fit entendre, accompagné par un contact sur son bras. Une autre hallucination ? Jamais pourtant son esprit avait su s’effondrer à ce point. Elle tressaillit, une plainte échappant à sa gorge, venant étrangler la litanie qu’elle avait su réciter jusqu’alors, l’interrompant brusquement. Que lui voulait-on ? Allait-on lui faire du mal ? L’amener ailleurs ? La force de la poigne n’exista pas, caresse délicate qui signifiait simplement sa présence à ses côtés. Alors, quittant l’intérieur de ses bras, elle releva son visage. Plissant les yeux avec force, elle leva une main vers la lumière aveuglante de ce milieu d’après-midi. Son regard, machinalement, se posa sur cette main qui se trouvait contre son épaule, la quittant pour venir retrouver ses cheveux. Il parla à nouveau, la faisant sursauter, le regard sombre de l’Indienne se posant sur lui avec un mélange de crainte et de stupeur. On va sortir d’ici d’accord ? Ca va aller. Les larmes zébraient ses joues sans qu’elle n’ait pu se rendre compte avoir pleuré dans l’angoisse du moment. A travers l’ombre que donnait ses doigts face à l’astre brulant, elle entrevit le visage familier de ce fantôme plus persistant que les autres. « Julian… » Elle hocha machinalement la tête de droite à gauche. « Non… Non, tu n’es pas là… Ce n'est pas toi… » Et pourtant… Pourtant son regard retomba sur cette main dont elle s’était défaite l’instant précédent, la regardant sans comprendre. Elle l’avait senti. Elle avait pu percevoir le contact de sa caresse sur ses longs cheveux noirs…

Elle releva le regard vers lui, cillant un peu plus pour mieux encaisser la luminosité. Avec lenteur, alors, elle releva ses doigts vers le visage de l’homme qui se tenait là. Du bout de la pulpe, elle vint effleurer sa joue, son regard s’écarquillant en prenant conscience de ce geste, de ce contact qui se réalisait. « Julian… ? » Avec plus de conviction, ses doigts se posèrent contre le visage de Julian, redessinant les traits de ce dernier. Des traits différents de ceux qui l’avaient hantée jadis. « Je… Tu es là… » Elle revivait ce jour étrange où on l’avait tiré du fond de ce puits. Comme elle aurait aimé que les choses puissent se passer de cette manière, retrouvant l’homme qu’elle aimait dans la douceur, dans le désir de mieux renaître. Elle laissa échapper un soupir, la réalité la rattrapant à mesure qu’elle redécouvrait l’espace dans lequel elle était. La paroi métallique différait grandement de celle, matelassée, de sa cellule. Le container… Les messages… Son regard se posa un instant sur le téléphone qui se trouvait là, à ses côtés, son écran noir témoignant de l’extinction de celui-ci. Reposant le regard vers Julian, elle reprit peu à peu pied dans cette réalité. « Julian, je… Merci… » Sans réfléchir davantage, alors, elle se laissa aller contre lui, trop heureuse de réaliser qu’elle n’était pas plongée dans ce cauchemar sans fin. L’étreignant avec force, elle se raccrocha à lui comme on peut s’accrocher à une bouée de sauvetage dans un océan couvrant l’horizon. « Sors-moi de là… Je t’en prie… » Elle voulait respirer. Elle voulait la garantie d’être libre, d’être hors de la noirceur et de la nuit sans fin.

Julian avait voulu être rassurant. Que pouvait-il lui offrir d'autre de toute façon ? À présent que de nouvelles limites s'étaient imposées entre eux, il n'était plus vraiment sûr de ce qu'il pouvait ou ne pouvait pas faire. Face à sa détresse cependant, il n'y pensa plus. Rien d'autre ne comptait hormis elle dans le moment présent.
Elle releva un visage strié de larmes vers lui, son regard affichant une expression qu'il ne comprit pas. Incrédulité ? Peur ? Il fronça doucement les sourcils, incapable de la déchiffrer. Et puis, elle secoua la tête clamant soudainement qu'il ne pouvait pas être là, que ce n'était pas lui qui lui faisait face.
Cela ajouta à son trouble et il ne sut quoi répondre, se contentant de l'observer en silence, la main toujours en contact.
Revivait-elle un moment en particulier ? L'angoisse d'être enfermée avait-elle réveillé autre chose ?
Il n'en avait pas la moindre idée et ce trouble, son incapacité à comprendre le frustrait et l'agaçait.

Et puis soudain, elle le regarda à nouveau et ce fut son tour d'être surpris lorsqu'elle approcha ses doigts vers son visage, comme pour s'assurer qu'il était bien réel.
Julian… ?
Ce contact qui n'avait fait que l'effleurer se renforça alors qu'elle dessinait les lignes de son visage avec un ravissement presque inquiétant. Il déglutit lentement dans l'incompréhension la plus totale.
Laura agissait comme si elle avait perdu la mémoire, comme si elle le retrouvait pour la première fois depuis quatre ans.
Sa gorge se noua, incapable d'ajouter quoique ce soit.
Était-ce la femme qu'elle était devenue ? Victime de ses propres tourments ? Et tout ça par sa faute ?

Pourtant, elle soupira et sembla peu à peu prendre pied dans la réalité, avisant le container dans lequel ils se trouvaient.
Julian, je… Merci…
Ce remerciement l'acheva définitivement. Pourquoi ? Pourquoi le remercier quand il ne faisait que récolter les conséquences de ces échecs ?
Sa mâchoire se crispa tandis qu'il était sur le point de détourner le regard, le poing le maintenant ancré sur le sol, serré.
Aussi, lorsqu'elle se laissa aller contre lui, il n'eut d'autre réflexe que de l'accueillir dans ses bras, refermant sur elle cette main qui caressait sa chevelure l'instant d'avant.

Submergé par des sensations qu'il pensait avoir oubliées, il du se faire violence pour ne pas la repousser. Parce qu'il n'avait plus le droit d'être si proche, parce qu'il l'avait promis, parce qu'il ne la méritait plus.
Elle s'aggripait à lui avec la force du désespoir, comme s'il était sa dernière chance.
Sors-moi de là… Je t’en prie…
C'était si facile d'accéder à sa requête, si simple en réalité de simplement l'amener à l'extérieur. Pourtant, la chaleur qui émanait d'elle tout contre lui, l'odeur de son parfum, la douceur de ses cheveux ne lui donnaient qu'une seule envie : celle de rester ici pour toujours, comme ça. Ce serait suffisant. La façon dont elle persistait à se raccrocher à lui, laissait penser qu'il s'agissait d'une épreuve insurmontable pour elle et lui ôta toute envie égoïste.

- Oui, on va sortir. Attrape ton téléphone

Il attendit qu'elle récupère l'objet et sans la consulter la hissa contre lui, glissant un bras derrière son dos et l'autre derrière ses genoux. Alors il se redressa, presque surpris de pouvoir la soulever aussi facilement. Assurant sa prise, il se dirigea vers la porte, une étrange sensation remuant ses tripes. C'est lorsqu'il se retrouva à l'air libre et en tombant sur Hannah qui patientait à l'extérieur du container qu'il comprit.
Tous ces agents, toutes ces personnes allaient les voir si proches et il n'était pas certain de pouvoir assumer ça.
Heureusement, Hanna le ramena à la réalité.
- Miller est en chemin, annonça-t-elle en lui lançant un regard inquiet dans la direction de Laura.
- Merci.
Un bruit de moteur lui parvint au même moment. Le responsable n'avait pas traîné et Julian se surprit à esquisser un sourire en coin. Comment aurait-il pu en être autrement, lui qui veillait Laura comme le lait sur le feu.
Sans se préoccuper des regards ou de ce qui pourrait être dit, il se contenta d'avancer jusqu'à la piste qui accueillerait l'hélicoptère, Laura dans ses bras, Hannah sur ses talons.

L'air balayé par les pales se fit de plus en plus violent à mesure que le véhicule militaire s'approchait et le son devint de plus en plus fort. La porte s'ouvrit en glissant sur le côté, avant même que l'appareil ne soit posé et il découvrit Miller. Leurs regards s'accrochèrent le temps que le véhicule soit suffisamment bas et dès que ce fut le cas, Julian y transféra Laura.

L’étreinte était réelle. Ses bras ne s’étaient pas refermés que sur une simple idée, le simple fruit de son imagination. Julian était réellement là, à ses côtés, et tout repris peu à peu du sens. Le container. La noirceur. Les messages… Oui, on va sortir. Attrape ton téléphone. Elle lui aurait volontiers souligné comme elle n’en avait rien à foutre de cet objet au lieu de quoi, enfant soudainement docile, elle s’empara avec empressement de l’engin avant de se blottir à nouveau contre lui. Son corps se rappelait. Il se rappelait la peine qu’elle avait pu avoir à se redresser, à marcher. Il se rappelait toutes ces choses qui la maintenaient, malgré elle, sur cette corde tendue entre réalité et souvenirs, menaçant de la faire vaciller d’un côté plus que l’autre.

Sa carcasse quitta le sol, soulevée avec aisance par les bras forts et protecteurs de la seule personne capable de l’aider à quitter ce mauvais pas. « Tu es là… Tu es venu… » Elle s’agrippait à lui comme on peut s’accrocher à la vie, le visage blottit contre son épaule alors que les pas de l’agent de sécurité le menaient peu à peu vers l’extérieur, vers la lumière face à laquelle elle ferma les paupières avec force, ne se rappelant que trop bien de la brulure douloureuse que l’astre avait su causer à ses yeux fragiles quand elle avait tenté de l’affronter, quelques jours après son hospitalisation. Son hospitalisation… Était-ce un rêve, ou bien… ? Miller est en chemin. Elle tenta de rouvrir les yeux, dévisageant Hannah avec de nombreuses interrogations dans l’esprit. Aurait-elle pu façonner entièrement une personne ? Non. Tout était réel. Le bruit de l’eau et du ressac, le cri des mouettes, les grincements métalliques du navire. « Je suis dehors… Je suis en vie… » Miller ne tarderait pas à lui chanter cette litanie, assurément, mais faute de pouvoir l’entendre d’une autre fois, elle la verbalisa de la sienne, son air hagard glissant doucement sur le reste du décor, comme le redécouvrant dans son intégralité, comme cherchant les quelques défauts à cette toile parfaite pour se convaincre que rien n’était vrai, construction de son imagination débordante et mise à contribution à bien des égards durant les dernières années. Pourtant, il lui suffisait de relever ses yeux sombres vers Julian pour se convaincre que rien de tout cela ne relevait de l’onirique.

Le bruit de l’hélicoptère se fit alors entendre de plus en plus. Miller est en chemin. Avait-il véritablement laissé de côté la mission et la priorité de celle-ci pour mieux venir jouer es chevaliers servants ? A moins que tout ceci ne soit déjà terminé ? Était-ce seulement vraiment Miller ? Une autre scène, réellement vécue, se superposa à la panique de Laura, son cœur s’emballant à nouveau alors qu’elle reprenait place sur les hauteurs de l’Innovation Center, les mains liées, Banks tirant sans ménagement sur ses bras pour mieux la retenir contre lui. « Je… Je ne veux pas… Non… » Elle s’agitait légèrement dans les bras de Julian, ses yeux cherchant à trouver l’ancre idéale pour ne pas perdre pied. Mais c’était bien complexe et la seule chose qui semblait avoir du sens dans ce sentiment de réalité, c’était Julian.

L’air vint remuer ses mèches noires, alors qu’ils se rapprochaient de l’engin qui était destiné à la ramener à bon port. Ou à l’emmener très loin ? La porte s’ouvrit sur le responsable de la sécurité qui toisa un instant la situation tout entière. Que lui avait-on dit ? Quelles seraient les conséquences ? Et alors, elle sentit son propre poids être porté vers l’avant et l’étreinte de Julian se défaire. « Non… ! » Instinctivement, elle tendit une main pour mieux rattraper la sienne, lui adressant un regard terriblement terrorisé. La voix féminine de Lane mentionna le nom d’un sédatif et Miller vint délicatement créer un étau autour du corps de Laura, lui murmurant les douces paroles qui étaient supposées l’aider à reprendre pied. Elle lutta un instant, se raccrochant autant que possible à Julian, la volonté de ne pas le voir partir devenant plus forte. Alors, elle sentit la piqûre glisser dans son bras et, quelques secondes plus tard, sa prise se relâcha, Miller invitant délicatement son corps à s’étendre sur le sol de l’appareil.