Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’elle était revenue et la brunette prenait confiance sur ce navire militaire. Il y avait une étrange impression de déjà vu, doublée d’une nouveauté rafraîchissante. Ce n’était pas la première fois qu’elle montait à bord de ce genre de bâtiment, ses classes ayant imposé un séjour sur un tel engin. Elle avait hésité, d’ailleurs, à s’engager dans le corps naval de l’armée plutôt que celui qui l’envoyait sur le terrain, mais sa volonté de demeurer aux côtés de son frère l’avait poussée dans une direction qui avait eu la finalité tragique que l’on connaissait.

C’était étrange, de revenir ici, après tout ce qu’elle avait pu vivre sur cette île que l’on devinait parfois au loin, depuis la piste d’atterrissage, quand la météo se faisait plus clémente et déchargeait l’humidité de l’air. Ses cervicales s’en souvenaient autant que son crâne mais ce n’était pas cela qui l’avait encouragée à revenir. Ce sentiment d’être utile et d’être à sa place, voilà ce qui avait encouragé Lorna à accepter l’entretien et passer les tests. Elle n’avait pas réellement changé, elle. La maturité acquise, la rapprochant de la trentaine, se lisait sur ses traits et ses cheveux avaient été coupés, par souci de praticité. Pour le reste, elle demeurait la même Lorna quoique davantage rayonnante par le sourire qui pouvait se plaquer sur ses lèvres, moins timide, plus franc. Et plus vrai. Elle avait chassé ses démons et avait rendu à la vie ce que la vie lui accordait comme seconde chance, essayant de donner un sens à son existence toute entière. Et aujourd’hui, son existence la menait ici.

Elle avait construit une routine, comme beaucoup d’autres à bord. Les arrivées étaient incessantes ces derniers temps, le personnel n’ayant pas embarqué depuis les Etats-Unis se retrouvant héliporté jour après jour à bord. Elle ignorait combien de personnes avaient pu être recrutés mais elle avait déjà su reconnaître quelques visages, certains étant plus surprenants que d’autres. Shaw était là, demeurant chef de l’équipe d’intervention dans laquelle elle avait été placée. Ils ne se connaissaient pas beaucoup, finalement, mais elle connaissait son sérieux sur le terrain… Et son relâchement hors de celui-ci. Pour le reste, elle avait espéré revoir quelques visages familiers et espérait toujours la surprise, jour après jour.

Quittant la salle de sport, sa serviette autour de ses épaules, elle se dirigea vers son dortoir, désireuse de trouver les vêtements nécessaires pour se changer après sa douche. S’avançant jusqu’à la bonne porte, elle cilla quand, depuis l’encadrement, elle remarqua une silhouette qui s’affairait avec l’armoire qui lui était attribuée. Visiblement, elle avait finalement un camarade de lit sous le sien. « Salut. » Elle ne s’était pas vraiment attardé sur le nouveau venu, sa propre mission actuelle étant de faire en sorte de se débarrasser de l’odeur de transpiration qui lui collait à la peau. Seulement, son regard fut attiré par l’arme qui se trouvait sur le lit. Haussant les sourcils, tant surprise de la voir là que d’en mesurer la taille, elle lâcha un petit sifflement impressionné. « Bel engin… Et sacrée lunette. C’est drôle, il ressemble à celui de… » Mais non ! Impossible ! Improbable ! Cillant, elle interrompit sa phrase pour mieux relever ses yeux verts sur le brun, le dévisageant plus longuement avant de le reconnaître. « Merde alors… Booker ? »

Booker. De tous ses anciens camarades, il n’était pas celui sur lequel elle aurait parié quant à un retour probable. Et pourtant… Elle ne se souvenait que trop bien de leur premier échange, de cette manière qu’il avait eu de lui répondre qu’elle se ferait manger, faute de pouvoir utiliser une arme létale dans la mesure du raisonnable alors qu’elle questionnait son supérieur hiérarchique sur la hauteur de la limite dans leur emploi. Ce jour-là, elle avait fait équipe avec lui, découvrant les eaux froides et peu ragoutantes de la rivière dans laquelle elle avait terminé sa course. De fil en aiguille, le bougre avait fini par lui rendre visite, la soutenir alors qu’elle remettait en cause son état médical à la salle de sport et puis, lui sauver la vie quand il fut pris au piège dans l’innovation center. Ils avaient bon nombre d’aventure commune et pourtant, à chaque fois, il avait semblé à Lorna que l’homme n’était pas là dans le but de faire revivre cet endroit. Ses motivations étaient troubles et si elle ne les remettait pas en cause, elle découvrait qu’elles étaient suffisamment solides pour qu’il en revienne, une nouvelle fois, sur ce terrain.

Forbes. Comme on se retrouve. Le sourire de Lorna s’étira en coin. « T’as pas changé d’un pouce… Enfin à trois rides près. » Parce que le temps avec posé son œuvre sur chacun d’entre eux, à sa manière. Pour autant, le retrouver lui faisait plus plaisir qu’elle n’osait l’admettre. « Et je vois que lui aussi, il a pris quelques rides. » Elle désigna le fusil longue portée d’un hochement de menton, les bras croisés sur sa poitrine couverte de sa brassière, sa serviette sur son épaule. « Par contre, je ne te conseille pas de dormir avec. Les lits ne sont pas inconfortables, mais avec cet engin dans un coin, je pense que c’est le torticolis assuré. » Il devait être de passage dans le coin simplement pour déposer ses affaires. « T’as pu faire le tour, déjà ? Rassure-moi, tu ne ronfles pas, hein ? Parce que je suis pas sûre de survivre si je passe de mauvaises nuits… » La taquinerie avait toujours eu bonne place dans l’équipe de sécurité de Jurassic World et Lorna avait su se faire à celle-ci. Surtout quand elle était en confiance. « Alors, tu as fait quoi ces dernières années ? » Se hissant sur son propre lit avec une certaine agilité, elle le regarda en haussant les sourcils, la chose l'intéressant réellement.

Si ce n’est que ça, tout va bien alors. Il n’avait pas tort. Ils auraient pu changer autrement, que ce soit en malmenant leur corps ou bien dans leur esprit. Lorna, en réalité, savait qu’elle avait changé, s’étant prise en main, ayant su affronter les changements dans sa vie pour mieux apprivoiser les démons qui l’empêchaient d’exister. Elle n’était plus hantée par la culpabilité, ayant appris à vivre avec elle. Elle n’était plus portée sur la noirceur, ayant laissé la lumière l’étreindre. Un pas après l’autre.

Orientant la conversation vers l’arme qu’il avait amené jusqu’ici, elle laissa ses lèvres s’étirer en coin quand il souligna qu’ils vieilliraient ensemble. Puis, elle pouffa quand il poussa le vice jusqu’à désirer être enterré avec son jouet. « Si il n’y a que ça, je serais là pour le rappeler en temps et en heure. » Parce qu’elle était plus jeune que lui et que la logique voulait qu’elle enterre tout le monde ou presque ici. Mais la vie, parfois, était un paramètre trop aléatoire, surtout quand on jouait avec elle en se mettant en danger comme ils le faisaient actuellement. Demain, peut-être, elle serait celle qu’on mettrait dans une boîte.

Mon doudou. Levant les yeux au ciel avec insolence, la jeune femme ne répondit pas. Le règlement était clair sur les armes à bord et aucune n’avait sa place dans les dortoirs. Logique. Ils craignaient peut-être que certains se flinguent ? Ou bien qu’un incident survienne. Elle n’avait pas trop à se penser à ce genre de chose, elle, n’ayant pas de favoritisme développé pour une arme ou une autre. Après tout, elle n’était pas une adoratrice de ce genre d’engin, n’ayant pas grandi avec cette culture américaine qui prônait parfois le port excessif de matériel de défense.

Non, je viens d’arriver. Bon, il aurait certainement droit à la visite guidée façon Disneyland d’ici peu de temps. Ce qui ne leur en laissait pas beaucoup pour discuter mais, finalement, ce n’était pas plus mal puisqu’elle avait toujours en tête d’aller se laver. Et pour le ronflement, tu le découvriras bien assez tôt. Elle haussa les sourcils, légèrement surprise, avant de plisser le regard. « Serait-ce une menace, agent Booker ? Parce que si tu ronfles trop, j’te jure que je peux tenter de t’étouffer avec mon oreiller. » Et ce ne serait que justice, non ? Après tout, il aurait tué son sommeil alors une mort pour une autre…

Prenant place sur son lit, elle haussa les épaules. Ça l’intéressait, oui, de savoir ce qui avait bien pu le préoccuper durant ce temps. Ils n’étaient pas du genre à trop partager sur leur vie privée mais c’était une lacune qu’elle avait eu en tête de creuser légèrement. Et puis, quand on s’est quitté autant de temps, n’est-ce pas naturel de s’enquérir des activités ayant occupé leur temps sur cette période. « Peut-être bien que oui. » Au lieu de lui répondre, cependant, il chercha à savoir si ces retrouvailles étaient une surprise. Pas trop déçue ? A nouveau elle haussa les épaules. « Je ne m’attendais pas à grand-chose, tu sais… Pendant un temps, je me suis même dit que personne n’était assez cinglé pour revenir dans le coin. Et après je me suis rappelée qu’on était déjà tous un peu fou d’être venus, au départ. » Elle ricana légèrement. C’est vrai qu’il fallait être sacrément à côté de ses pompes pour faire ce qu’ils faisaient. « J’ai cru apercevoir Blake hier matin, à la salle. Ça, pour le coup, c’était une surprise. J’pensais bien qu’on ne le reverrait jamais. Quant à toi… Ce n’est pas une mauvaise surprise. Mon partenaire de canoé préféré m’aurait manqué si un Suchomimus s’en était pris à moi à nouveau… » A nouveau, elle sourit en coin. Déçue, non, elle ne l’était pas car Booker n’était pas un mauvais élément, quand bien même il n’était pas le plus loquace.

Me voilà rassuré. Elle rit doucement, levant les yeux au ciel devant de tels mots. Booker n’avait donc pas de famille pour accomplir ses dernières volontés ? S’il s’en remettait à Lorna, quand bien même elle en ferait part à qui de droit, c’est qu’il ne devait lui rester que très peu de monde, finalement… L’arme ne resterait pas là, pour le coup, c’était une certitude car les règles étaient les règles et s’il y a bien une chose que ce cher Agent Miller en chef a épinglé partout, ce sont les règles et leur respect. Et ce n’était pas plus mal.

Tenter c’est le bon mot à employer. Lui adressant un air désabusé, elle lui tira un sourire en coin. « Méfie-toi… Ce n’est pas parce que je fais la moitié de ta taille que j’ai la force d’une mouche ! » Bon, en l’occurrence, la force brute n’était pas son point fort. Lorna avait un gabarit plus léger, se basant sur l’agilité et autres joyeusetés. Elle avait travaillé pour cela, se rendant compte comme il pouvait lui être plus utile d’utiliser son corps que de s’employer à frapper fort et aller vite. En l’occurrence, si on lui demandait d’étouffer un homme de cette manière, elle aurait peut-être plus de chances d’y arriver en jouant de sa position sur la victime et la répartition de son propre poids. Mais c’était une boutade et évidemment que non, elle n’allait pas assassiner l’agent Booker dans son sommeil… Sauf s’il se décidait réellement à imiter une machine à vapeur lancée à vive allure.

Il semblait peu convaincu de l’intérêt qu’elle portait à son parcours sur ces dernières années. En même temps, elle pouvait bien le comprendre. Leur vie n’était-elle pas devenue soudainement terriblement banale ? Quand vous pouvez vous vanter de travailler sur un site occupé par des individus venant d’une ère qui n’a su voir l’Homme vivre, vous avez l’intérêt de tous. Et soudain, vous redevenez l’un d’eux, Moldu parmi les Moldus. Une poisse certaine qu’elle avait cru ne pas pouvoir dépasser mais, fort heureusement pour elle, Lorna avait su s’armer contre la banalité de son existence en la livrant au service des autres. A sa manière.

On évitera à l’occasion que tu deviennes l’appât pour les parties de pêche. « Une fois, pas deux ! Quoique, ce n’était pas le pire… Le pire a été quand ce reptile m’a pris pour une quille. » Elle avait terriblement manqué de chance, son crâne venant heurter une pierre. Pour sûr, les casques deviendraient désormais obligatoire sur le terrain, elle était prête à mettre sa main à couper… Très bien, j’étais chez les Marines. A l’Ouest, rien de nouveau, comme le dit le roman. Finalement, les choses avaient suivi leur cours et le retour de Lance Booker dans son bataillon militaire n’était que très peu étonnant. Hochant la tête face à cette déclaration, elle fut presque surprise de l’entendre lui retourner la question. D’ordinaire, il n’était pas très enclin à la conversation, préférant l’action aux mots. Mais comme il le lui demandait… « J’ai aidé dans la bataille contre le Covid. L’armée était en sous nombre et ça, on a bien voulu me déployer sur de la logistique de ce genre. Et après ça bah… Je suis partie à droite et à gauche, faire une mission ou deux pour de l’humanitaire. Ca permet de se rendre compte qu’on peut être utile autrement… Même si je crois que le terrain me manquait suffisamment pour que je revienne ici. »

Techniquement, si tu fais la moitié de ma taille, tu as sans doute la moitié de ma force. Toujours pas suffisant. Elle pouffa légèrement, levant les yeux au ciel avec une insolence certaine. « Doucement, Godzilla. Je viens en paix, promis, pas de mort dans ton sommeil. » Elle avait levé les mains en signe de reddition, laissant Lance penser qu’il avait gagné cette joute verbale. Elle aurait bien des occasions de se rattraper, maintenant qu’ils partageraient le même quotidien.

J’espère que t’as conscience que le pire peut toujours arriver. C’était une vérité inébranlable. Lorna avait beau être emplie de bonnes intentions et d’espérances nouvelles, elle savait que le danger rôdait toujours dès lors que l’on signait pour une entreprise avec un nom pareil. Ce qu’elle avait vécu était déjà traumatisant et elle comprenait que beaucoup puisse être surpris de la voir rempiler. Seulement, dans le cas de Lorna, un traumatisme crânien et quelques cervicales malmenées ne pouvaient pas être une raison valable pour un arrêt de travail permanent. Après tout, elle avait déjà vécu l’Enfer de la guerre et malgré tout ce que ça avait pu lui coûter, elle avait voulu y retourner. « C’est parce que c’était pas si terrible que j’ai rempilé, peut être ! J’attends de voir ce que le pire me réserve. » Parce que pour bosser ici, nécessairement, il fallait être à demi-suicidaire.

Entre combattre des germes et apporter de l'eau en Afrique, tu as tout de même opté pour revenir casser des têtes d'écailles ? Elle haussa les épaules, comprenant bien que pour un homme d’action tel que lui qui avait nécessité de se jeter la tête la première dans les missions et les interventions, ce qu’elle avait fait pendant tout ce temps puisse sembler mortellement ennuyeux. Mais ça avait été la manière pour elle de redonner du sens à sa vie, faute de mieux. « Mes compatriotes de l’armée n’ont rien trouvé de mieux pour moi. Je resterais inapte au terrain jusqu’à la fin de ma vie, tu sais. Donc à choisir entre la logistique pour le restant de mes jours et le terrain ici… J’pense que finalement, c’est plus logique de me voir ici. » Soupirant légèrement, elle le gratifia d’un léger sourire. « Et puis j’ai une revanche à prendre sur les têtes d’écailles… J’aurais besoin de toi pour couvrir mes arrières, du coup. » Les lèvres s’étirèrent en un coin. Après tous, ils avaient formé un bon duo, le peu de temps qu’ils aient pu l’expérimenter.

Ici, tu seras tout sauf inapte. Un sourire rayonnant s’était étiré sur ses lippes rosées, l’enthousiasme transpirant de la jeune femme se faisant dès lors ressentir plus encore. Il savait probablement quel poids pouvaient avoir ces mots cruels. A une époque, les entendre lui donnait envie de frapper tout ce qui se trouvait sous ses doigts, de maudire la moindre personne qui pouvait les prononcer. Elle ne pouvait pas être inapte. Elle ne pouvait pas être écartée du terrain définitivement, pas après la revanche qu’elle avait à y prendre. Les funérailles de son frère n’avait fait que nourrir plus encore cette volonté et elle avait tout tenté pour que les ordres changent. Je suis désolé, Forbes. Toute la médecine du monde ne peut rien pour te soigner miraculeusement le corps et l’âme. Elle se foutait d’être soignée. Elle voulait simplement être opérationnelle. Les brûlures sur son bras avaient cicatrisé autant que ses os et elle se battait pour retrouver ses forces. Mais sa psyché avait su donner aux médecins de l’âme la possibilité de la recaler définitivement, invoquant un stress post traumatique, et une vengeance personnelle qui pouvait lui nuire. Lorna avait songé à sa propre fin, noyant ses maux dans le Whisky, s’interrogeant sur la douleur qu’une balle pouvait provoquer quand elle se logeait dans un crâne. Et puis, il y avait eu cette lumière, au bout du tunnel. Jurassic World. On l’y avait recommandée et malgré la politique de l’entreprise à l’époque, elle avait su y entrer, sa discipline et son obéissance étant plus qu’appréciés. Manque de bol, il n’avait fallu qu’une mission pour la replacer sur le banc de touche. Elle devait être maudite, certainement. Revenir ici était sa seule possibilité d’accéder au terrain. Revenir ici, c’était pouvoir se rappeler, comme le disait son coéquipier, qu’elle n’était pas inapte. « Je compte bien le prouver comme il le faut. »

Si tu promets d’en laisser un peu pour moi. Elle ricana, hochant la tête. « Vu le bordel que ça doit être… Je pense qu’on aura largement de quoi faire. » Parce que cette île était devenue sauvage. Peut-être auraient-ils mieux fait de tout bombarder, finalement, afin que l’on puisse reprendre les choses sur de nouvelles bases. Le prix de ces animaux précieux devait vraiment être énorme pour qu’on en vienne à de telles finalités, plongeant l’homme il y a 65 millions d’années sans la moindre garantie de survie plutôt qu’envisager de recréer ce miracle dans des conditions plus sécuritaires. Soupirant doucement, Lorna finit par sauter de son lit. « Bon ! Tu veux que je te fasse visiter le principal ? Je devais aller prendre ma douche mais tant qu’on y est, miux vaut moi que je ne sais quel membre d’équipage qui sera plus bavard que jamais, non ? » Elle savait comme les grandes phrases pouvait le rendre doucement grognon et avait pris soin de toujours se montrer assez franche et directe avec lui. Après tout, pourquoi chercher à gratter sous une carapace aussi solide que la sienne ? Elle détestait que l’on s’emploie à faire de même sur elle.

Le principal suffira effectivement. Lorna avait souri, opinant du chef pour signifier qu’elle avait bien compris à quoi s’attendre. Le principal. Dormir. Manger. Se laver. S’entraîner. Ah et peut-être lui indiquer la buanderie, tout de même, parce qu’elle n’avait pas l’intention de jouer à être sa mère en allant faire laver ses caleçons sales. Il ne fallait pas déconner non plus. Avisant l’arme favorite de son camarade et la désignant du menton, elle grimaça. « Embarque donc ton précieux joyaux, on va pouvoir en profiter pour aller le déposer dans sa chambre cinq étoiles, lui aussi. » Mieux valait le présenter comme ça que devoir faire face à une conversation plus musclée avec un responsable du navire qui n’aurait peut être pas le tact nécessaire pour que les choses se passent en douceur. Et puis, Booker pourrait finalement disposer à sa convenance de son jouet, sur les aires dédiées alors, tout le monde finirait par être content, non ?

Posant ses mains sur ses hanches, elle attendit qu’il s’exécute avant d’ouvrir la marche. « Bon, je ne te fais pas le topo habituel : Extinction des feux à 21h, réveil à 8h maximum. Globalement, les journées s’articulent autour de tour de gardes sur la piste d’atterrissage – Ils craignent visiblement qu’on se prenne des visiteurs volants – des entrainements et des tests réguliers pour suivre nos aptitudes. J’ai entendu dire qu’on allait avoir droit à des entrainements sur terrain réel mais… Je n’en sais pas plus pour le moment, tu connais Shaw, il en dit trop et pas assez en même temps. » Il avait déjà été son chef d’équipe par le passé, même s’il n’avait pas été présent sur le terrain avec elle puisqu’elle avait tôt fait de se retrouver sur le banc de touche. L’homme était parfois roublard mais, sur le terrain, il savait rester d’un professionnalisme qu’elle appréciait. « Le but, pour le moment, c’est clairement nous retaper physiquement. Certains n’ont pas fait grand-chose sur ce plan là ces dernières années… J’m’inclus dedans, même si j’avais bien gardé mon abonnement à la salle. » Mais ce n’était pas pareil que ce qu’ils faisaient ici. Elle avait la stature, il lui manquait la pratique.

Longeant les différentes portes de dortoir, elle désigna un autre couloir. « Les cabines privées sont là mais à moins que tu ne décroches une promotion, on s’en fout. Là-bas t’as une partie des sanitaires, les autres sont de l’autre côté. » Elle désignait des portes de ses doigts tendus, essayant de se montrer concise et efficace. Poursuivant le chemin qui les menaient tous deux vers la cantine, elle lui sourit. « T’auras pas de mal à prendre des marques. Ca doit être comme sur un bateau des Marines, non ? Et puis en vrai, il y a tellement de zones qui ne nous concernent pas directement qu’il faut juste faire le tri. » Parce qu’elle se doutait bien que l’emmener faire l’état des lieux des machineries n’allait pas l’enchanter des masses.

Ca tombe bien, j’adore le tir au pigeon. Le sourire de Lorna s’était élargi. Chez elle, c’était plus qu’une tradition familiale : C’était un sport compétitif dans lequel toute sa famille cherchait à excellait plus que de raison. L’aristocratie écossaise ne coupait pas aux vieilles pratiques et si elle était aussi à l’aise à cheval qu’avec un fusil de chasse entre les mains, elle se garda de souligner ce genre de choses, ne souhaitant pas être vue autrement qu’en tant que Lorna Forbes entre ces murs.

Elle essayait d’être concise, ne sachant que trop bien comme Booker n’aimait pas des masses s’encombrer des mots. Pour Noël, elle lui offrirait un dictionnaire afin qu’il puisse élargir son vocabulaire. Hm. Oui, voilà. Un gros dictionnaire. Elle évoqua les différentes choses qu’elle avait pu apprendre en arrivant parmi les premiers, se dirigeant vers la cantine. L’idée lui vint également que l’environnement devait être assez familier à l’homme qui la suivait, de part sa formation. Je ne serai pas étonné d’apprendre que ce bâtiment ait été jadis dans les forces navales. Lorna grimaça légèrement. « Eh bah… je crois que c’est français, mais oui c’est l’idée. Masrani a décidément un sacré carnet d’adresses. Et il faut croire que revenir à la vie donne aux gens envie de rendre service. » Elle n’avait rien contre la PDG de l’entreprise, au contraire : elle lui donnait un semblant de travail qui s’apparentait à quelque chose qu’elle affectionnait, elle devrait même l’en remercier. A dire vrai, si Lorna l’avait voulu, elle aurait pu fréquenter les mêmes sphères que la milliardaire et la rencontrer autrement. Mais finalement, cette place de subalterne lui convenait très bien. Et si la grande patronne avait des contacts aussi utiles, elle avait le sentiment que les choses deviendraient dès lors plus faciles.

Progressant dans les couloirs, elle lui expliqua rapidement que le personnel était divisé en deux : ceux qui étaient là pour l’île et les dinosaures, et ceux qui étaient là pour faciliter la vie des premiers en se trouvant à bord. Elle mentionna la sympathie d’un des cuisiniers, celui qui n’hésitait pas à donner un peu de rab si on lui faisait un gentil sourire – autrement dit, il y avait peu de chance pour Lance d’espérer une louche de pâtes supplémentaire – ainsi que la discrétion de la plupart des membres affectés au navire. Il fallait bien que cet hôtel, comme il le désignait lui-même, puisse être opérationnel. « Il y a des horaires à suivre un peu partout, même si, en soi, vu qu’on est pas encore en état d’alerte dans l’idée de débarquer, ça reste assez cool dans l’ensemble. Retiens juste qu’il y a extinction des feux à 21h afin que les choses tendent vers le calme. » Ils avaient fait le tour du pont inférieur et Lorna l’emmena rapidement dans les niveaux plus bas. « Par-là, t’as la buanderie. Et de ce côté-là, tu as le stand de tir et l’armurerie. De quoi offrir un nid douillet à ton meilleur ami. » Le guidant jusqu’au lieu-dit, elle finit par déboucher sur une pièce assez imposante, étant donné le lieu dans lequel ils se trouvaient.

Cela ne change pas de d’habitude. Le contraire l’aurait étonné. L’armée était l’armée et les règles que le Responsable de la Sécurité semblait avoir instauré ici s’inspirait grandement de tout ceci. Elle ne connaissait pas le passé de l’homme mais Lorna aurait volontiers parié sur une carrière de ce type. Comment était-il arrivé à la position de garde du corps, ça, c’est une tout autre chose. En tous cas, elle était curieuse de voir comment les choses se développeraient sur le long terme. Et elle serait véritablement ravie quand ils pourraient à nouveau fouler la terre ferme avec un minimum de sécurité.

Les pas de la jeune femme menèrent Booker jusqu’à l’armurerie où elle le laissa gérer seul le dépôt de son arme. Le pas de tir était à côté et déjà résonnaient les bruits familiers des coups de feu. Tous avaient pour mission de savoir se servir d’une arme, létale ou non. C’était étrange de se dire que même les médecins avaient accès à ces salles mais, finalement, c’était peut-être pour le mieux. Si tous les hommes de la sécurité finissaient à terre, alors on pourrait joyeusement compter sur les autres, dans l’espoir que l’un d’eux ait assez de sang froid pour ajuster son tir convenablement. L’obligation était rassurante, la pratique était effrayante.

Lance achevant de laisser son bébé à une baby-sitter qui reçut le regard le plus sombre de son existence, Lorna sourit. « Bon, eh bien… Je crois qu’on a fait le tour. Manger, dormir, travailler, c’est tout ce qu’on nous demande, finalement. Et puis j’imagine que tu ne seras pas du genre à fréquenter tant que ça la salle commune et sa table de billard… » Elle avait haussé les sourcils en croisant les bras. Non, ce n’était probablement pas le genre de Booker. « Ah, et je suis au regret de t’annoncer que tu ne commenceras à bosser que sérieusement que dans 36h. On nous laisse une bonne journée pour nous acclimater. Merci masrani. » Elle était prête à parier qu’il n’allait pas vraiment la remercier, lui. Son coéquipier était un ours et mieux valait s’aventurer dans sa grotte avec un pot de miel pour espérer en sortir en vie…

Ca dépend, qui sait. Elle haussa les sourcils, un sourire en coin s’étirant sur ses lèvres, amusé. « Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait l’agent Booker ? Si c’est ça, j’demande à être là pour mesurer tes compétences sur une table de billard. » Pour l’alcool, elle passerait son tour, ayant fait le nécessaire pour ne pas plonger dans cette merde à nouveau, ayant reçu son badge des cinq cents jours de sobriété peu de temps avant d’embarquer sur le Renaissance.

Exprimant son ressenti sur les conditions liées au début du travail imposées par Masrani, elle ne fut pas surprise de l’entendre répondre que la PDG cherchait à se faire bien voir. Lorna était partagée sur la question. D’un côté, après tout ce qu’il s’était passé, il semblait évident que la jeune femme à la tête de cette entreprise cherche à manger dans la main de ceux qui étaient les seuls capables de reprendre cette île à ses envahisseurs… Enfin, envahisseurs, c’était vite dit. Et d’un autre côté, elle avait le sentiment que la patronne essayait vraiment de mieux faire. Les conséquences des échecs précédents avaient été lourdes, tant pour les employés que pour elle et elle tentait certainement de se montrer plus juste, plus réfléchie sur tout cela.

J’imagine que ça doit bien te convenir, non ? Elle fronça soudainement les sourcils, le regardant de travers. « T’es en train d’insinuer que je suis une tire-au-flanc ou c’est moi ? Me fais pas regretter d’être venue te sortir des décombres de la première explosion, ce jour-là hein ? » Si elle savait que l’homme pouvait être d’un tempérament assez direct et froid, elle avait bien l’intention de ne pas se laisser marcher dessus. Elle n’était plus la bleue qui débarquait et qui doutait de mille choses. Elle avait énormément travaillé sur elle pour en arriver à celle qu’elle était à présent et elle n’hésiterait plus à montrer les crocs face à ses pairs. « Ca me convient, si c’est pour mieux nous éviter de nous mettre inutilement en danger sur le terrain. Le reste, je m’en fous. Je suis là depuis plus de trente-six heures alors je compte bien faire mon boulot comme on me le demande. »