Shaw la regardait longuement sans rien dire. Il n’était pas dans les habitudes de la brunette de faire des vagues, moins encore de tenter de saper l’autorité de son supérieur hiérarchique aussi, il savait fondamentalement que ce n’était pas lui, la cause de son souhait, mais bien probablement quelque chose qui s’était déroulé pendant l’entraînement. Evidemment, il eut beau tenter de la cuisiner à toutes les sauces, la droiture de Lorna demeura intangible malgré la douleur lancinante qui semblait la parcourir à chaque fois qu’elle prenait une grande inspiration. Après tout, elle ne lui demandait pas le diable…

Elle avait mûrement pris le temps de réfléchir à tout ceci. Cela faisait cinq jours qu’elle était sortie de son séjour prolongé à l’infirmerie, ne s’y rendant que pour faire un point avec le médecin sur son état général. Faute de radio, ils ne pouvaient que se baser sur les ressentis de la jeune femme et ses douleurs s’amoindrissaient à mesure que le temps passait. Les nuits en dortoir étaient peut-être le plus dur, calée tant bien que mal dans une position qui n’était pas sa favorite mais qui aurait au moins mérite de la maintenir autant que possible sans douleur. Le paracétamol devenait suffisant pour que s’estompe la douleur, lui permettant au moins un sommeil davantage réparateur. C’était d’ailleurs parce qu’elle dormait mieux qu’elle savait que sa décision était la bonne, pas uniquement prise sur le coup de la colère, la rancœur et la douleur. Depuis ses débuts dans l’armée, on lui avait servi à bien des reprises l’idée même de s’engager pour faire confiance à ses frères et sœurs d’arme. Si cette confiance se brisait, comment pouvait-elle seulement continuer correctement la mission pour laquelle on l’affecterait ? Elle ne mentionna pas une fois le nom de Gordon à son chef d’équipe, se contentant d’évoquer des désaccords et des divergences de point de vue qui risquaient, à long terme, de porter préjudice à l’ensemble de l’équipe. Si l’autre n’était pas venu voir Shaw pour demander son retrait, c’est que c’était bien à elle de se montrer plus mature et le faire.

Il soupira mais finit par hocher la tête, lui expliquant que la décision finale ne lui appartenait pas mais qu’ils s’éviteraient bien de la paperasse en organisant un rendez-vous plus formel : il demanderait lui-même son transfert, invoquant un souci d’équilibrage des équipes. Lorna lui avait adressé un léger sourire désolé, hochant la tête. « Merci, pour votre compréhension. Evidemment, cela ne voulait pas dire qu’ils ne se recroiseraient jamais plus sur le terrain, certaines mission se faisant sur la base du volontariat. Mais elle n’était théoriquement plus sous ses ordres directs. Ils échangèrent hâtivement quelques banalités au suet de la convalescence de la jeune femme et cette dernière put s’en retourner vers d’autres lieux, soupirant de soulagement. Elle n’avait pas encore le nom de l’équipe dans laquelle elle serait affectée mais, au moins, elle n’aurait pu à subir les enfantillages créés par Gordon et à l’origine même de sa perte de confiance récente.

S’avançant jusqu’au pont, elle huma le bon air extérieur, saturé d’iode et d’humidité, profitant un peu plus de son congé médical pour ralentir la cadence, prendre le temps de se reposer et d’admirer un peu plus le contexte dans lequel elle se trouvait. Peinant dans les escaliers, elle gagna la zone la plus haute du pont supérieur, surplombant les pistes sur lesquelles les hélicoptères étaient posés. Elle resta là de longues minutes avant qu’un membre de cet équipage plus particulier ne retienne son attention. D’ordinaire, elle croisait Booker dans le dortoir, quand venait l’heure du couvre-feu. Récemment, leurs discussions s’étaient grandement écourtées, tant parce qu’elle avait besoin de repos que lui œuvrait à ses exercices et missions quotidiennes. Mais il allait bien falloir lui annoncer la nouvelle, d’une manière ou d’une autre. Au mieux, il s’en foutrait, au pire, il la jugerait. Glissant ses doigts dans sa bouche, elle souffla pour mieux faire siffler l’ensemble, cherchant à capter l’attention du soldat. Un sourire sur les lèvres.

Elle le toisa un instant tandis qu’il cherchait à trouver l’origine même de ce son strident qu’elle avait su façonner entre ses doigts et sa langue. Et puis, finalement, elle devina avoir capté son attention, lui adressant un léger signe de main, son sourire s’étirant doucement en le voyant s’approcher, tirant sur sa cigarette fraîchement allumée. Te voilà plus encline à te balader. Il sourit et elle retint le douloureux rire qui menaçait de quitter sa gorge, hochant légèrement la tête avec une mine doucement désabusée. Ca me paraît bon signe. Comment va ? « Je survie. Le pire est passé. Tu me connais, j’ai tendance à pleurer deux minutes, serrer les dents pendant 3h et après, on y retourne comme si de rien n’était… » Lorna était une force de la nature et rien ne semblait être capable de l’empêcher de poursuivre ses rêves, surtout quand il s’agissait de son travail. « Quant à la balade… Je pense suggérer à la direction de nous ajouter quelques hobbies parce qu’on se fait vite chier à bord, quand on devient inutile… Je me demande à quoi s’occupe le personnel de bord quand ils ont fini les tâches… Même une bibliothèque ne ferait pas de mal. » Il était vrai que le circuit fermé du navire n’était pas propice aux découvertes et que sa condition l’empêchait de bien des mouvements. Exit les fléchettes et autre billard qui demandaient de lever les bras, les tendre, de se pencher en avant et autre. Le docteur avait été formel : si elle espérait retourner rapidement sur le terrain, elle devait se montrer sérieuse dans sa guérison.

Soupirant doucement, elle reposa ses yeux verdâtres sur lui. « J’ai cru comprendre que la première tentative de débarquement aurait lieu la semaine prochaine ? Tu en seras ? » Booker était de ceux qui fonçaient tête baissée et qui affectionnaient le terrain, un peu comme Blake, même si ce dernier n’avait su le lui montrer que modérément dans ses souvenirs, autrefois également forcé de quelques tâches plus administratives et stratégique par le poste qu’il occupait. Il ne serait pas étonnant de les voir tous les deux sur le pont quand il s’agirait de retourner sur Isla Nublar. « Je pense que tu te doutes que dans mon état, c’est mort pour moi. Même si je suis plus en forme pour me balader et prendre l’air sans avoir l’air totalement con avec ma béquille. »

Une bibliothèque ? Tu ne crois pas qu’il n’y a pas déjà assez de salles inutiles sur ce rafiot ? Elle haussa les sourcils, cillant un instant avant de sourire avec sarcasme. « Inutile ? J’me disais bien qu’il te manquait quelques cases, comme tous les gros bras, mais la culture, ça n’a rien d’inutile, t’sais ? Mais pour ça faut déjà savoir lire… » Elle lui adressa un léger coup de coude taquin, un demi sourire moqueur s’étirant sur ses lèvres. Mieux valait amener un peu de légèreté vu que la suite risquait de se faire sur un ton plus grave…

Alors, elle réorienta les choses sur les affaires en cours, sur leur profession. Accoster sur Isla Nublar promettait quelques rebondissements et elle aurait aimé faire partie de ce premier cru, bien qu’il fallait admettre que l’inconnu attendait les braves qui s’étaient engagés sur cette mission. Qu’elle soit couronnée de succès ou non, j’aurais presque envie qu’on me laisse là-bas plutôt que de revenir ici. Elle ricana, grimaçant légèrement car le rire vint réveiller légèrement la douleur de son flanc, sa main venant soutenir les os fissurés avec douceur, la poussant à se calmer légèrement en soufflant profondément. « Je crois qu’on a tous envie de quitter ce foutu navire, pour des raisons variées. J’ai hâte de pouvoir débarquer aussi et faire ce que j’ai à faire. » Se rompre des os ? Se fracasser le crâne ? Non, vraiment, Lorna avait le don de s’attirer plus d’ennuis que de positif.

Booker ne lui indiqua pas, finalement, s’il serait de cette mission. Le plus étonnant serait que non, évidemment, l’homme étant de ceux qui chargent et posent les questions après coup. Et d’un autre côté, toute l’équipe Alpha avait été salement malmenée durant son entraînement sur Isla Matanceros. Oh, tu auras d’autres occasions va. Elle sourit, hochant légèrement la tête. Même si je ne demande pas mieux que ce bordel finisse rapidement et une bonne fois pour toutes, t’en fais pas qu’on est loin d’en avoir terminé avec cette histoire et que plus que jamais on aura besoin de toi à l’avenir. Le sourire de Lorna s’effaça légèrement et son regard se posa à nouveau sur l’horizon. S’humectant légèrement les lèvres, elle finit par prononcer les mots douloureux qui tapissaient sa langue. « J’ai parlé à Shaw. » Le chef d’équipe n’était pas inconnu au brun qui se trouvait à ses côtés et elle renifla légèrement, se donnant du courage pour la suite. « Gordon et moi… Ca va pas le faire. On n’est pas compatible, t’auras pu le voir. C’était elle ou moi et comme elle est actuellement plus valide… J’ai demandé mon transfert dans une autre équipe. » Elle laissa son regard partir sur le côté, guettant les réactions du vieux soldat, de ce mentor silencieux qui avait été le sien depuis son arrivée. C’était avec lui, après tout, qu’elle avait œuvré en binôme dans sa première mission et elle avait le sentiment de le trahir en lui annonçant qu’elle les lâchait. Allait-il seulement encore la traiter de gamine ?