La soirée avait pourtant bien commencée.

En fin de journée, Julian s'était rendu au stand de tir après avoir récupéré son Glock pour l'entraînement. Il s'agissait d'un modèle 23 qu'il ne connaissait pas et avait hâte de tester. Habitué à des modèles plus anciens, il avait pourtant vite repris ses marques même après quatre années.
Ses tirs étaient moins assurés, il avait perdu en pratique. Mais sa volonté était intacte, son regard ne cillait pas.
Pendant qu'il s'entraînait, il avait fait la connaissance d'un petit groupe d'agents d'intervention partis depuis Oakland qui allaient découvrir l'adrénaline d'Isla Nublar.
Ils étaient jeunes et remontés à bloc. Adam, Chelsy et Hannah, deux filles et un garçon de moins de trente ans qui avaient soif d'aventures. Issus des US Marines Corp, les trois comparses avaient réalisés leurs classes dans divers camps mais avaient tous suivi des stages de perfectionnement avant de se rencontrer à Quantico.
Adeptes du fusil, les deux filles étaient particulièrement bravaches, de vraies têtes brûlées sur le terrain. Adam, de part sa spécialisation en télécommunication était plus posé.
Aussi, ils avaient passé la fin de journée à s'entraîner au tir et à discuter, les nouveaux criblant Julian de questions plus que les cibles de balles au sujet de Isla Nublar.

Julian n'avait pas caché son poste d'ancien responsable, sachant pertinemment qu'ils l'auraient appris tôt ou tard. A son grand soulagement, personne ne lui avait demandé plus de détail sur le comment du pourquoi il était de retour en tant que fantassin.
Sauf Hannah qui le regardait avec plus d'attention que les autres.
Ses yeux noisettes ne disaient pas tout.

Après cela, ils avaient proposé un billard en salle commune, pour continuer à faire connaissance et parfaire la journée. Julian avait accepté volontier, galvanisé par ce sang neuf qui l'avait amusé pendant plusieurs heures.
Après une bonne douche, il les avaient donc retrouvé dans la salle commune et avait entamé une partie de billard en faisant équipe avec Adam pour commencer, dans une compétition classique hommes contre femmes.
Après une défaite cuisante de la part de ces messieurs, les équipes avaient été échangées. Et voilà qu'il faisait équipe avec Hannah.
Elle était vive d'esprit et impulsive. Elle parlait fort et riait sans se cacher. Après qu'il eut raté un énième tir, il comprit qu'elle était aussi très mauvaise perdante.

Il avait argué que son échec était lié à un coup en traitre réalisé par Adam mais il n'en était rien. Et pendant que derrière lui, il entendait les trois amis se chamailler sur les possibilités de triches, son regard avait accroché Laura, dans un coin de la salle en compagnie du type sur la photo.
Tous les deux étaient tranquillement installés, légèrement à l'écart. Ils buvaient du vin et riaient doucement. Pas comme Hannah qui dans son dos parti dans un nouveau fou rire.
Cette vision lui fit mal et il détourna le regard, cherchant à se concentrer sur l'autre jeu qui se déroulait devant lui et dont il était l'un des acteurs.
Cependant, il avait beau essayer, le mal était fait.

Depuis le dernier entrainement râté et cet échange de sms, il avait tout fait pour l'éviter. La tâche était forcément difficile sur un bateau, dans un terrain clos comme celui-ci, mais si leurs regards s'étaient croisés, ils ne s'étaient pas reparlé.
Et voilà qu'elle lui étalait en pleine gueule sa bonne compagnie de la soirée.
Elle ne semblait pas craindre Peter et semblait à l'aise avec lui, voilà qui devait la changer.
Malgré tout sa volonté, le billard soudain n'eut plus vraiment le même intérêt. Ses pensées s'étaient focalisées sur Laura et sur cet homme qui le remplaçait petit à petit, grignotant leur passé.
La jalousie tendait à s'immiscer en lui et il se morigéna aussitôt. Il n'avait pas son mot à dire. Il ne l'avait plus.
Pourtant, la douleur de ce qui sonnait comme une fin définitive lui brûlait les entrailles. Il n'avait pas la force, là maintenant de la savoir là, heureuse quand lui ramassait encore les morceaux de leur passé.

Hannah attira son attention en l'interpellant. C'était à lui de jouer. Il remarqua alors qu'elle avait posé sa main sur son avant-bras, caressant de manière discrète son épiderme. Son regard remonta jusqu'au sien et il sut qu'il devait sortir d'ici.
Il fit mine d'avoir oublié l'heure et les abandonna aussi simplement que cela. Sans un regard en arrière et sans un regard vers le couple installé, il se dirigea à l'extérieur de la pièce d'un pas digne et pourtant pressé.
Dès qu'il fut dans l'escalier, il se mit à courir pour regagner la surface et l'air espérant être à nouveau capable de respirer sans cette chaleur douloureuse dans sa poitrine.

Arrivé sur les pistes, il traversa le pont supérieur tournant le dos au bâtiment de contrôle.
Là, il se laissa tomber sur le sol en tailleur et essaya toutes les techniques de respiration qu'il connaissait. Rien ne fonctionnait. La nausée lui vrillait les tripes, la douleur dans sa poitrine s'exacerbant à mesure qu'il se remémorait la vision de Laura et Peter. Il devait tenir, il devait passer au delà de tout ça. Il n'avait pas le choix, il devait contrôler sa colère et sa tristesse.
Alors il s'allongea tout à fait et fixa les étoiles, s'exortant à inspirer, expirer et se vider l'esprit.

- Laura, si tu savais, souffla-t-il pour lui même en fermant les yeux un instant.

Se redressant avec vivacité sur le sofa du bureau qu’on lui avait aménagé au cœur du Renaissance, elle cilla, s’assurant de se reconnecter avec son environnement. « Wow… Damian m’avait prévenu mais je pensais que tu avais surmonté ça… » Tournant la tête vers le bureau, elle avisa la présence de Peter Ronan derrière celui-ci, affairé à jouer avec l’ordinateur et une montagne de paperasse issue des archives de ce que Jurassic World fut jadis. « Merde… Comment je suis arrivée là ? » Elle n’avait aucun souvenir de s’être allongée. « Tu t’es endormie pendant que l’on discutait de tout ça… Visiblement, ce que je disais ne te passionnais pas le moins du monde. Je me suis dit que tu serais mieux allongée. Et Miller m’a confirmé qu’il valait mieux te laisser dormir. » Super… Il ne manquait plus qu’à prévenir la Reine d’Angleterre et le monde entier serait au courant. « Désolée… J’ai rien vu venir. » « Les nuits sont toujours agitées ? » Elle eut un sourire gêné. Il le savait, lui. Non pas que, comme le prétendaient les tabloïds, ils formaient un couple, mais leurs hôtels étant parfois commun et les suites parfois communicantes, il avait déjà dû faire face aux terreurs nocturnes de Laura.

Peter soupira, s’étirant légèrement sur sa chaise. « Bon, de toutes façons… J’en ai ras le bol. On a mérité une pause. Enfin, moi plus que toi, mais vu que j’ai subi tes ronflements, tu as obligation de m’accompagner. » Elle leva les yeux au ciel avec une insolence certaine alors qu’il se levait, s’avançant vers ses affaires, ramenées le matin même lors de son arrivée sur le Renaissance. « Je me suis dit que tu aurais eu envie de ça. » Il dégaina une bouteille de vin rouge, Laura le regardant longuement, un sourire naissant peu à peu sur ses lèvres. « Ca, c’est supposé m’empêcher de dormir ? » « Non… Mais ça peut te remonter le moral. C’est un français. » « Alors si c’est un Français, ma foi, qui suis-je pour refuser… Viens, on va pas boire du vin dans le bureau, ça n’a rien de sérieux. »

S’étirant, elle ouvrit la voie vers la salle commune. Peter Ronan, co-directeur de Jurassic World, était l’un des loyaux qui avait fait le choix de se détourner de Masrani Global pour suivre Laura dans son projet fou. Ils s’étaient rencontrés, pour la première fois, en janvier 2019, Masrani Global rachetant l’entreprise d’énergie verte de l’homme. Laura, elle, avait fait en sorte de le garder à sa place en tant que directeur de la branche. Alors il s’était senti investi d’une dette à son égard et il avait su qu’il ne pourrait la payer qu’en la rejoignant dans son projet. Il ne vivait pas sur le Renaissance, jouant entre le terrain qui le rendait curieux et les bureaux qui avaient son habitude. D’ordinaire sur le continent, ses visites tendaient à se montrer plus régulière, mêlant travail et amitié qui se développait avec la jeune femme. Damian était moins disponible, maintenant qu’il était marié, et le statut de célibataire qui leur collait tous deux à la peau les poussait finalement à se fréquenter, tout simplement.

Saluant les présents lors de leur entrée, ils se faufilèrent jusqu’à un coin plus reculé où la tranquillité n’impliquerait pas les cris de joie que les joueurs de fléchettes ou autres jeux pouvaient pousser. « Il ne nous manque qu’une belle vue sur la mer et… Des verres à vin. » Un détail qu’il sembla vouloir régler en levant le regard. « Oublie les verres. J’aurais fini cette bouteille avant que tu ne mettes la main dessus à bord de ce bateau. » Il rit avec elle, ouvrant la bouteille, invoquant des contenant de n’importe quelle nature quand Laura finit par empoigner la bouteille pour mieux boire une gorgée du vin directement au goulot. « Laura Masrani, cette sauvage qui s’ignore… » « C’est l’un des avantage à avoir vécu en captivité pendant tout ce temps : N’importe qui m’excusera d’être une sauvage. » Il rit de bon cœur alors qu’elle lui rendait la bouteille, l’invitant à faire de même. « Les vautours ne demandent que ça, en même temps. » Lui tendant son téléphone, il lui montra l’article qui usait des photos prisent lors de sa petite soirée de retour. Les tabloïds avaient le don de créer des discussions là où il n’y en avait pas, titrant Laura et son cavalier comme étant le couple glamour de cette année. « Laura Masrani n’aura donc pas eu à désespérer longuement du mariage de son meilleur ami pour mieux reprendre vie dans les bras du beau britannique ? Au 21ème siècle, il serait bon de leur rappeler qu’une femme n’existe pas qu’à travers les hommes qu’elle fréquente, non ? » « Attends, Damian n’est plus présenté comme ton « sauveur », ils sont en net progrès, je trouve… » Elle lui asséna une légère tape sur l’épaule avant de lui rendre son téléphone pour mieux reprendre la bouteille. « je t’avais dit, que ça finirait comme ça. » Il haussa les épaules. « Je ne vais pas te mentir, ça m’arrange, d’un certain point de vue. Les milieux que je fréquente ne sont pas tous masculins et avoir une réputation de don juan avec la moindre fille qui passe, c’est moins intéressant que celle d’un homme rangé. » « Tu devrais faire attention d’avec qui tu te ranges… Dans deux mois, ils hurlent à l’abus de faiblesse sur ma personne quand on prendra la première décision idiote. » Il hocha la tête, lui accordant ce point.

Les discussions étaient légères et agréables. Au-delà de ce constat autour des tabloïds, beaucoup pensaient à elle et Peter se faisait messager par ses visites plus régulières. Rachel et Damian reviendraient la voir, elle le savait – et Damian avait décidé qu’il finirait par être meilleur que Miller au billard, ce qui était une chose ridicule. « Bon, je crois que je vais aller regagner ma cabine. De mémoire, j’y avais laissé un bon scotch, la dernière fois… Un dernier verre te tente ? » Elle le regarda longuement, s’interrogeant sur la manœuvre possible, avant de sourire en lui montrant la bouteille de rouge à peine entamée. « Déjà que je commets une entorse à mon régime… Miller va vouloir t’abattre après ça. Je vais aller prendre l’air. » Parce que, si certains avaient pu poser un regard sur elle, elle n’avait notifié la présence de quiconque dans cette large pièce, son attention étant toute donnée à cet ami qu’elle ne voyait que peu souvent. Il se pencha vers elle, venant déposer un baiser sur sa joue. « Essaie de dormir. Demain, on est supposés travailler. » Elle hocha la tête avant de soupirer un instant. Elle avait l’air fin, maintenant, seule avec sa bouteille de vin dont elle n’avait, finalement bu que quelques lampées. La rebouchant avec soin, elle passa rapidement la redéposer en cabine avant de rejoindre les pistes.

Levant le regard vers le ciel, elle sourit. La nuit n’était pas si sombre, finalement, auréolée de ses milliers d’étoiles, la lune se montrant généreuse par la lumière qu’elle reflétait. Le bruit des vagues se faisait entendre, la houle étant un accompagnement des plus agréables pour les oreilles. Tout cela, Laura l’appréciait. Tout ce qui l’éloignait de l’enfer vécu était apprécié. Marchant à pas lent, elle réfléchit à plein de choses. A sa vie. A cette idée folle de tout recommencer. A l’aide inestimable de son entourage… Les pensées se succédaient et, finalement, ce fut son regard qui la reconnecta au moment présent. Là, à l’extrémité des pistes vers laquelle elle marchait, elle remarqua une silhouette allongée. Un animal ? Elle y pensa un instant avant de se rendre à l’évidence : Quelqu’un était allongé là, sur le dos. « Hey ? Tout va bien ? » L’inquiétude la gagna à mesure qu’elle avançait vers cette silhouette jusqu’alors immobile, plissant le regard pour mieux la reconnaître dans la pénombre. « Julian… ? » Si ce n’était pas lui, cela pourrait devenir très dérangeant. Seulement, elle n’avait que peu de doutes et alors que l’inquiétude s’évanouissait, la tension revint en elle à la simple pensée de leurs derniers échanges.

Inspirer. Expirer. Faire le vide, invoquer le So Ham. Les yeux clos, Julian cherchait à retrouver le calme en lui-même. La brise légère et le bruit de la mer aidaient à s'apaiser mais ce n'était pas suffisant. Avec amertume, il se rendit compte qu'il n'était pas prêt, il s'était surestimé.
A présent que Marika ne l'accompagnait plus, il n'avait plus droit aux antidépresseurs et le manque de médicaments qui endormaient ses sens se faisait bien présent.

Dix jours plus tôt, il était tombé sur Laura dans la salle d'entraînement alors qu'il faisait tout pour l'éviter, pour camoufler sa présence. Ces retrouvailles ne s'étaient pas très bien passées. Outre la surprise de la voir, il avait du faire une démonstration de force devant deux autres agents. Il s'était senti impuissant et désœuvré alors qu'autrefois, il aurait été le premier à sauter sur l'occasion d'un petit combat fictif.
Cette fois-ci, c'était différent. Son adversaire était Laura et il s'était senti obligé de retenir ses coups, il ne voulait pas la blesser. Il n'avait plus confiance en ses capacités. Déjà que sans le vouloir il lui avait donné un coup de coude...
Avait-elle prévenu Miller ? En réalité il était surpris que le responsable ne l'ait pas encore convoqué. Julian avait failli à sa parole, il avait promis qu'il se tiendrait à distance de Laura.

Cependant, après la réaction qu'elle avait eue à l'entraînement et après l'humiliation qu'il y avait subi, il était convaincu que désormais leurs chemins se croiseraient moins.
Tirant son téléphone de sa poche, il observa le sms qu'elle lui avait envoyé et qui l'avait tant mis en colère.
Hudson allait être réprimandé et lui passerait pour le faible qu'on devait protéger. Elle n'avait pas compris et il s'était énervé. Encore.
Il fut tenté de lui envoyer un message mais se ravisa. Que pouvait-il lui dire de toute façon et puis, elle était visiblement en très bonne compagnie.

Non, il devait se faire violence et tirer un trait sur tout ça. Rangeant son téléphone dans sa poche, il contempla à nouveau les étoiles. La voie lactée offrait un spectacle ravissant dont il profita en posant ses mains à plat sur son ventre.
Son moral était au plus bas et il souffrait. Peu habitué aux peines de cœur, il ignorait comment les soigner. Peut-être devait-il lui aussi trouver quelqu'un pour la remplacer ? Cela n'avait pas fonctionné avec Marika pour des tas de raisons.
Encore une fois, il en vint à la seule conclusion que tout ceci lui inspirait : il devait laisser Laura tranquille, la laisser refaire sa vie avec des personnes qui étaient les bonnes pour elle.
Peut-être devait-il commencer par effacer son numéro ? Au moins il ne serait pas tenté de lui écrire.

Tandis qu'il glissait à nouveau une main dans sa poche, une voix l'interpella.
Lorsqu'il reconnut son prénom et surtout, cette voix, il pencha la tête en arrière à la fois surpris et curieux. Dans son champ de vision apparut l'image de Laura, à l'envers, la tête auréolée d'étoiles.
- Merde murmura-t-il pour lui-même.

L'avait-il invoquée ? S'appuyant sur son coude, il se tourna vers elle, toujours allongé et naturellement, son regard se porta plus loin pour vérifier la présence de l'autre.
Il inclina la tête pour tenter de voir derrière elle et constata qu'elle était visiblement seule.

- Tu es toute seule ? Demanda-t-il pourtant, comme s'il voulait une confirmation de sa part. Tu cherches quelque chose ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

Il se râcla la gorge après cette entrée en matière. C'était pas mal non ? Plutôt normal comme attitude, comme tout agent d'intervention qui se respecte. Un employé, voilà et certainement pas un mec qui avait perdu la femme de sa vie quatre années auparavant.
Pourtant, son regard ne pouvait pas se détacher d'elle et ses mains devinrent légèrement moites.

C’était lui. Evidemment que c’était lui. Jamais elle n’aurait pu le confondre avec quelqu’un d’autre, même si elle était venue à bout de cette bouteille de vin en solitaire. Quand bien même ses traits étaient un peu différents et avaient été doucement modifiés dans son esprit au fil du temps, elle ne pouvait oublier ce visage qu’elle devinait dans la pénombre, éclairé par les projecteurs et la lumière des étoiles. Il marmonna quelque chose et elle fronça les sourcils. Merde, il allait bien ? Décidément, sa première impression était peut-être la bonne…

Il se redressa, opérant une vrille équilibrée pour mieux pourvoir la regarder également, restant allongé sur le sol dur du navire. Elle n’arrêta sa démarche que lorsqu’elle fut suffisamment proche pour voir ses yeux. Tu es toute seule ? Elle haussa les sourcils, lançant un regard par-dessus son épaule également. Était-ce si étonnant ? D’ordinaire, on prenait plutôt la peine de relever les moments où elle était en bonne compagnie, comme un peu plus tôt durant la soirée. Mais Julian ne pouvait pas le savoir, non ? Tu cherches quelque chose ? Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Et à nouveau, elle cilla, haussant les sourcils devant ces questions qui étaient à la fois étranges et d’un pragmatisme certain. « Si je cherche quelque ch… Non. » Elle se sentait idiote. Sotte, même. Sa dignité lui ordonnait de tourner les talons et faire demi-tour en l’ignorant, maintenant qu’elle savait qu’il n’était pas atteint d’un quelconque problème. Mais, d’un autre côté, c’était encore lui accorder le dernier mot. Et c’était inenvisageable.

« Apparemment, je suis toute seule… Comme toi… Tu fais quoi dans le noir, allongé là ? » Autant une promenade sur les pistes pour changer d’air était compréhensible, autant ça… C’était bien une première. « Je ne savais pas que tu serais là. » Sinon, j’aurais surement évité de venir. Depuis leurs retrouvailles assez musclées, elle avait pris soin de l’éviter. C’était assez facile, finalement, Laura étant occupée à divers endroits que le jeune homme ne fréquentait pas. Aujourd’hui, encore, elle avait accompagné quelques chefs d’équipes sur Isla Matanceros pour peaufiner les détails de… Oh… « Tu ne devrais pas te préparer pour ta simulation sur terrain ? » Changer de sujet… Ou plutôt, en amener un véritable. Il ne pouvait rien faire pour elle. Il ne pouvait plus rien faire pour elle maintenant qu’il n’était plus destiné à la réconforter, à l’encourager… A l’aimer.

Envoyer un message à Julian après leur altercation avait été une chose qui lui tenait à cœur. Elle était restée là, à se mordre la lèvre de longues minutes, reformulant ses écrits encore et encore pour lui envoyer ce qu’elle estimait être parfait. A chaque réponse, elle ne savait si elle devait faire mine de l’ignorer ou lui répondre avec empressement et avait cédé à cette deuxième option sans aucun mal. Pourtant, il avait coupé court à ces échanges et ça l’avait plongée dans un agacement certain. Elle ne voulait plus le voir ou lui parler… Et pourtant, voilà que les planètes tendaient à s’aligner pour qu’ils en viennent à échanger ce moment, pour le moment seuls. C’était le karma qui leur jouait un énième tour… Croisant les bras sur sa poitrine, elle ne savait si elle devait rester ou repartir. Un instant, elle songea à cette foutue bouteille qu’elle aurait peut être mieux fait de garder pour la partager… Mais ce n’était pas sa place.

Laura était suffisamment proche pour qu'il puisse observer ses yeux dans la pénombre. Entre les lumières du bateau et celles des étoiles, les ombres de son visage semblaient évanescentes faisant la part belle à son regard sombre, pointé sur lui.
Il déglutit lorsqu'à son tour, elle se retourna comme si elle aussi cherchait à savoir si quelqu'un la rejoindrait. Est-ce que Peter allait venir ici pour observer les étoiles en sa compagnie ?
Cette idée lui souleva le cœur, les voir tous les deux, comme coupé du monde dans la salle commune l'avait déjà mené jusqu'ici. Où devrait-il aller pour éviter de les voir ensemble ?
Jamais la reprise de l'île ne lui avait semblée si attendue. Au moins, il pourrait rester sur place, enchaîner les tours de garde loin d'eux.

Laura amorça sa réponse marquant une hésitation notable dans la manière de répondre.
Ce fut à son tour de la regarder, les sourcils légèrement froncés. Non ? Se pouvait-il qu'elle soit venue ici sans but précis ? Cela ne lui ressemblait pas.
Cette pensée le déprima un peu plus, il la connaissait si mal désormais et discutait semblait compliqué.
Une part de lui, lui en voulait toujours d'avoir déballé son calvaire à Oprah et pas à lui.

Il détourna le regard lorsqu'elle demanda à son tour ce que lui faisait là, allongé dans le noir.
Devait-il vraiment le lui avouer ? Il aurait été aisé de lui mentir et de jouer de nouveaux faux-semblants. Une quantité incroyable de réponses toutes faites firent leur apparition. "Je prends l'air" ou encore "j'avais envie de regarder les étoiles" arrivant en tête, juste après " je ne supportais plus de te voir flirter avec Peter" seule vérité cruelle qui le rongeait déjà.

- J'essayais en vain de méditer, maugréa-t-il d'une bouche boudeuse.

Lâchant un profond soupir, il se demanda alors s'il n'allait pas déclencher chez elle une certaine hilarité.
C'était ridicule de l'imaginer tranquillement installé sans bouger, à chercher à se projeter dans un endroit calme et sécurisé.
Il n'avait jamais réussi en quatre ans, comment avait-il seulement pu espérer y arriver cette nuit alors que son cœur et son esprit étaient sans dessus dessous après les avoir vus tous les deux ? Quelle idée saugrenue il avait eu, un sac de frappe aurait été diablement plus efficace. Comme quoi, Marika avait réussi à déteindre un peu sur lui.

Comme elle parlait de la simulation de terrain à venir, il leva un sourcil en reportant son attention sur elle.
- A 23h passées ?Il se sentit toutefois le besoin de se justifier, comme s'il voulait qu'elle admette que sa présence était légitime. Après tout, il ne lui avait toujours pas donné la vraie raison de son retour. J'ai passé mon après-midi au stand de tir si tu veux tout savoir, avant de finir la journée avec quelques parties de billards.

Là, il marqua une pause chargée de sous-entendus, la regardant droit dans les yeux. Ferait-elle le rapprochement ? Comprendrait-elle qu'il l'avait vue ? Se rendrait-elle compte de la douleur qu'il s'infligeait avec ça ?

Soupirant à nouveau, face à sa propre attitude, il haussa les épaules finalement et ajouta :
- La simulation n'est pas pour tout de suite de toute façon. Il en ignorait encore la date. Autant profiter de la vue, le planétarium est gratuit ce soir.

Et sur ses mots, il se rallongea, repliant ses deux bras derrière sa tête comme un coussin pour gagner en confort sur ce sol rude. Emporté par le mouvement, son t-shirt se releva légèrement au niveau de sa taille, dévoilant une bande de peau au lourd secret, caressée par la brise nocturne.

Méditer. Cette révélation la poussa à hausser les sourcils avant de sourire, retenant un léger rire. Julian Blake qui tentait de méditer… Qui l’eut cru. Elle n’aurait jamais pensé qu’il puisse s’aventurer vers ce genre de pratiques, lui qui était davantage physique qu’il ne pouvait se tourner vers le mental, même si son sang froid n’était plus à prouver. Elle le connaissait, frappant des sacs de frappe, comme elle l’avait retrouvé quelques jours plus tôt, pas s’asseyant dans la nature en essayant de transposer son esprit ailleurs. En vain. Donc, ses tentatives demeuraient infructueuses. « Ce n’est pas fait pour tout le monde… » Elle était devenue un véritable maître, dans le domaine. Malgré elle, Laura avait usé de ce stratagème pour s’éviter mille peines et cet enfermement. Elle avait voyagé par le pouvoir de son esprit, côtoyant ceux qu’elle aimait, idéalisant des scènes toutes moins réalistes les unes que les autres. La plus incroyable avait été ce Thanksgiving organisé par son père qui rencontrait donc Julian pour la première fois. Une rencontre haute en couleurs qu’elle ne pourrait jamais lui raconter… Même s’il aurait probablement adoré ce qu’elle y avait vu.

L’interrogeant sur la préparation à sa simulation, il s’étonna qu’elle l’interroge de la sorte à une heure pareille. Ah, l’heure… Cette unité était la pire de toutes, désormais. Il faisait nuit alors elle aurait pu se douter, naturellement, qu’il était tard. Pour autant, elle n’était pas au fait de l’heure exacte et sembla hausser les épaules comme si, finalement, ça n’importait que peu. J'ai passé mon après-midi au stand de tir si tu veux tout savoir, avant de finir la journée avec quelques parties de billards. « Ca va, je ne suis pas ta baby-sitter non plus… » Il ne voulait pas lui énoncer ce qu’il avait mangé, aussi ? Elle serait certainement capable de lui donner le nombre de calories ingurgitées, vu comme ça pouvait lui tenir à cœur. Elle soupira, réalisant alors qu’il avait évoqué le billard… en fin de journée. Mais, alors… Pinçant légèrement les lèvres, elle baissa le regard. Elle n’avait pas perçu le moindre signe de sa présence, toute absorbée qu’elle était par Peter et ses nouvelles. Elle soupira doucement, se demandant s’il avait pu la voir… Certainement, s’il le soulignait de la sorte. Devait-elle y réagir à son tour ? Eclaircir la situation ? Pourquoi ?

La simulation n’est pas pour tout de suite, de toutes façons. Autant profiter de la vue, le planétarium est gratuit, ce soir. Et il se rallongea alors, les bras sous sa tête. Laura avait momentanément relevé la sienne vers le ciel, admirant ces étincelles qui offraient plus de lumière qu’elle n’aurait pu l’imaginer, plusieurs années plus tôt. « Et pourtant, ça vaut bien tout l’or du monde… » Elle avait prononcé cette phrase à voix basse, plus pour elle que pour lui. Baissant à nouveau le regard, les bras toujours croisés sur sa poitrine, son regard fut machinalement attiré par cet épiderme qui se dévoilait à elle, réveillant des souvenirs et provoquant un frisson. Pourtant, comme lors de l’entraînement, elle fronça légèrement les sourcils face à un détail qui ne prenait pas place dans ses souvenirs. « Qu’est-ce qu… » Non. Elle n’avait pas à faire ça. Fermant les paupières, secouant légèrement la tête comme pour mieux se persuader de son rôle, elle prit une profonde inspiration. « Eh bien… Je te laisse en tête à tête avec les étoiles, alors. » C’était le mieux à faire. Partir. Eviter les discussions de cette teneur, ne pas se confronter à lui… Elle peinait trop à faire semblant alors pourquoi s’obstiner à se côtoyer… Décidément, elle aurait mieux fait de la garder, cette foutue bouteille. Dans un sourire crispé, elle finit par se retourner avant de quitter les lieux, marmonnant quelques remarques contre elle-même, serrant les poings avec agacement.

A quoi pensait-il en agissant ainsi ? A faire comme si tout était normal entre eux et qu'eux-mêmes étaient des individus normaux. Ils ne l'étaient pas et ne l'avaient jamais été en réalité.
Julian avait songé qu'après avoir traversé cet enfer, ils auraient justement besoin de normalité.
Il s'était trompé, cela ne fonctionnait pas et à présent, malgré son attitude nonchalante, il se sentait totalement désœuvré sans savoir quoi faire et encore moins comment le faire.

Alors qu'il avait tenté de justifier sa journée et de détendre l'atmosphère avec une invitation sous-entendue, il s'était pris une sacré claque.
Les paroles de Laura l'avaient quelque peu sonné.
Ca va, je ne suis pas ta baby-sitter non plus…
Cette phrase lui fit particulièrement mal, cependant, elle le convainquit aussi qu'il était plus que temps de se résigner. Définitivement.
Elle ne voulait plus rien de lui, elle ne voulait plus rien savoir de lui.

Il n'écoutait déjà plus la suite, le regard rivé sur les étoiles, seules témoins de cette fin d'histoire.
Peut-être n'avait-il pas essayé comme il le fallait, peut-être que comme il le songeait au tout début, leur relation était vouée à l'échec.
C'était certainement un mal nécessaire et il ferma les yeux pour capturer une dernière fois cet amour qu'il éprouvait toujours pour elle et qu'il devait laisser s'éteindre.

Comme elle s'éloignait, évoquant une nouvelle fois sa volonté de ne pas rester au même endroit que lui, il se redressa puis se remit sur pied.
Les pistes étaient vides, l'occasion de mettre les choses au clair ne se représenterait peut-être plus.
Pas sur ce bateau où 160 personnes gravitaient en permanence, telle une fourmilière.

- Laura attend ! Lança-t-il en la rattrapant.

Il se plaça face à elle, de manière à lui barrer la route. Hors de question qu'elle s'échappe. L'heure était à enlever le pansement une bonne fois pour toute.
Comment avaient-ils pu en arriver là ? Leurs retrouvailles à Melbourne s'étaient mal terminées mais, cette dispute sonnait-elle pour autant la fin de toute chose ?
Pour Laura oui, très certainement. Elle ne voulait plus qu'il la touche s'il s'en tenait à l'entraînement et à présent, elle ne voulait même plus rester dans un endroit où il se trouvait lui aussi.
Peut-être finirait-elle par ne plus vouloir respirer le même air que lui ?

Il déglutit avec difficulté, la gorge nouée par l'instant. Le rejet était plus difficile à admettre qu'il ne l'aurait cru. Cependant, il savait que même sans s'en remettre, il ferait son job comme il l'avait promis : à elle pour la volière, à Miller pour sa volonté de rester loin d'elle.

- J'ai compris, c'est bon, commença-t-il d'un ton bas et résigné. Je ne te dérangerais plus et j'éviterais au possible d'être dans ton champ de vision. Ce n'est pas à toi de partir d'ici, tu y étais bien venue pour quelque chose, alors, je ne vais ni t'imposer ma présence, ni te priver du spectacle.

Il prit une profonde inspiration, évitant soigneusement son regard. C'était le moment, c'était maintenant. Les yeux rivés sur les pieds de la jeune femme, il poursuivit :

- Je suis désolé de ne pas t'avoir prévenu de mon retour. C'est juste que...que...
Cherchant ses mots, il la regarda enfin et finit par souffler, incapable de soutenir ses pupilles sombres.- Laisse tomber.

Sa promesse envers Miller ne les regardait que tous les deux, elle n'avait pas besoin de savoir puisqu'elle ne voulait plus rien savoir le concernant. Malgré l'intimité des pistes cette nuit, ils ne pourraient de toute façon pas tout mettre à plat. Julian ne comprenait même pas comment ils en étaient arrivés là, alors par où commencer ? En proie à une détresse immense qu'il camoufla du mieux qu'il le pouvait, il l'observa une fois encore sous les lumières nocturnes, comme s'il souhaitait graver cette dernière image d'elle acquise dans le silence à l'abri des regards.

- Prenez soin de vous, mademoiselle Masrani.

Comme c'était dur de restaurer cette distance entre eux et pourtant, il devait le faire, il n'avait pas le choix. Voilà ce que serait leur avenir désormais. Des courbettes polies et le respect de la hiérarchie. Il ferait ce pour quoi il était venu et après, s'il était toujours en vie, il partirait.
Ses poings se serrèrent et sa mâchoire se crispa sous la douleur qui menaçait d'exploser et de l'engouffrer tout entier. Ce fut son tour de tourner les talons, la promesse du sac de frappe flottant devant ses yeux malheureux.

A quoi tu pensais, Laura… A rien. Elle n’avait aucune intention puisqu’elle s’était avancée vers cette silhouette sans deviner un seul instant qu’il pourrait s’agir de Julian. Et comme les astres avaient bien décidé de se moquer d’elle, il était devenu évident qu’il s’agisse de l’agent de sécurité. Soupirant alors qu’elle forçait le pas, agacée de cette distance qui se plaçait entre eux, tel une reconstitution du mur de Berlin, elle se figea quand il l’interpella à nouveau. Rapidement, il fut de retour dans son champ de vision et elle releva ses yeux noirs vers les siens, plus clairs. Elle n’arrivait plus à comprendre, à suivre. N’était-ce pas lui qui avait placé de la distance entre eux en lui demandant s’il pouvait faire quelque chose pour elle, comme un misérable subalterne ?

Le silence retomba, comme s’il pouvait douter, comme s’il hésitait. Parle, Julian… Bordel, parle. Elle prit une profonde inspiration, ne sachant quoi faire et comment réagir. Et finalement, il parvint à rompre le silence. J’ai compris, c’est bon. Ah ? Parce qu’elle ne comprenait décidément plus rien et ça l’emmerdait profondément d’être tant laissée dans le flou. Il restait tant de questions sans réponses… Je ne te dérangerais plus et j’éviterais au possible d’être dans ton champ de vision. Elle cilla avant de froncer les sourcils. Était-ce qu’elle avait voulu dire ? Pas du tout. Pourquoi donc en arrivait-il à cette conclusion ? Ce n'est pas à toi de partir d'ici, tu y étais bien venue pour quelque chose, alors, je ne vais ni t'imposer ma présence, ni te priver du spectacle. Décidément, plus il avançait dans ses mots, moins ce qu’il disait n’avait de sens. Il pensait qu’elle lui en voulait de… Polluer son air ? D’envahir son espace ? Il fallait peut-être se poser ces questions avant de débarquer ici, non ? Ça semblait finalement bien plus logique. Et finalement, ce n’était pas ça le problème. Pas du tout.

Il évitait de la regarder. Il avait honte. De quoi ? Je suis désolé de ne pas t'avoir prévenu de mon retour. C'est juste que...que... Que ? Elle était suspendue à ses lèvres, dans l’attente de ces explications, de comprendre pourquoi il ne s’était pas même embarrassé d’un SMS façon « Salut. J’ai changé d’avis, j’en suis. » Les cachoteries ressemblaient à un mensonge par omission et elle n’appréciait plus les mensonges. Enfin, il allait s’expliquer et peut-être serait-elle soulagée… Laisse tomber. Quoi ?! C’était une blague. Elle serra les dents, prête à riposter, à contrer ses paroles avec les siennes. Mais il ne lui laissa pas le temps de réellement lui cracher son venin à la figure qu’il plaqua son regard dans le sien. Prenez soin de vous, mademoiselle Masrani. Il voulait l’achever, c’est ça ? Qu’elle saute du haut de ce putain de bateau dans la foulée ? On ne se rendrait compte de rien avant le lendemain matin et, Laura s’était renseignée, une chute serait, de toutes manières, mortelle.

Il tourna les talons à son tour. Il osa se détourner d’elle après l’avoir assommée de la sorte. Mais le KO n’était pas total et, grinçant des dents, Laura lâcha un rire sarcastique. « Mademoiselle Masrani ? Mademoiselle Masrani ?! Tu te fous de moi ? » Se ruant en avant, elle referma ses doigts sur son avant-bras, bien peu décidée à le lâcher. Parce qu’il n’irait nulle part. Pas tant qu’elle n’ait les réponses qu’elle attendait. « Tu n’as rien compris du tout. Rien de rien, Julian. » Elle sentait la colère naître en elle, bien vite dépassée par la peur de le voir disparaître à jamais, comme ce jour là à Melbourne. Et Miller lui en voudrait si, faute d’un SUV, elle se vengeait sur l’un des hélicoptères en place. « Je n’ai pas envie que tu évites mon champ de vision, il fallait y penser avant de débarquer ici à l’improviste après m’avoir fait comprendre que tu ne viendrais pas… D’ailleurs, pourquoi tu es là, Julian ? Tu étais sensé vivre ta vie loin de ce merdier, loin des crocs de Roberta ! Tu devais t’occuper de ton immeuble, te saouler au champagne si tu le voulais et… Et vivre avec… Marika. » Le prénom de la blonde ne pouvait être prononcé autrement qu’avec une teinte de dépit. Elle était celle qui avait tout ce qu’elle n’avait plus. Putain qu’elle l’enviait, cette psy et ses thérapies à deux balles. Parce que oui, elle était forcément mauvaise dans sa profession, vu qu’elle était parfaite sur tout le reste.

Julian venait tout juste de se retourner, prêt à la laisser là, seule, comme elle semblait le vouloir quand le rire sarcastique de Laura lui parvint. Cela ne lui ressemblait pas, enfin le sarcasme oui parfois mais pas comme ça. Surpris et à la fois intrigué, il avait stoppé sa marche et déjà elle se ruait sur lui. Les doigts de la jeune femme se refermèrent sur son avant-bras en une prise solide, telles les serres d’un oiseau de proie.
Interloqué, son regard fit un aller retour entre le visage de l’indienne et sa prise.
Tu n’as rien compris du tout
Pourtant les signes étaient bien présents. Sa colère dès qu’il se trouvait en sa présence, la réaction démesurée que elle avait eu lors de l’entraînement et ses derniers propos sur les pistes. Tout lui laissait à penser qu’elle souhaitait qu’il disparaisse de sa vie.
A présent qu’il se résignait enfin à obéir, voilà qu’il se trompait?

Il fronça les sourcils, soutenant toutefois le regard qui lui faisait face, peu à peu chargé d’une colère latente qu’il ne saisissait toujours pas. Puis tel un orage, Laura abattit sa foudre sur lui.
Alors il s’agissait de cela? Elle ne comprenait pas pourquoi il était là ?

Comment pouvait-elle être autant à côté de la plaque après tout ce qu’ils avaient vécus? Certes leur histoire n’avait pas eu le temps de durer au delà d’une année mais l’intensité de sa nature avait son importance. Il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait mais ses agissement parlaient pour lui.
Et voilà qu’elle lui crachait au visage, arguant qu’il n’avait rien à faire ici, que sa place était en Australie à vivre une vie toute à fait normale. Putain qu’elle se trompait. Qu’elle le connaissait mal alors qu’elle était le mieux placée pour lire en lui comme dans un livre ouvert. Leur relation ne s’était pas épanoui dans une bulle de normalité, non, leur histoire était née dans la sueur, les larmes, le sang et la douleur.

A nouveau, son regard se porta sur son avant-bras et il essaya au mieux de refréner la colère qui menaçait de le secouer lui aussi. Il ne pouvait pas hurler ici, ni même faire des gestes trop explicites, qui sait s’ils n’étaient pas observés. Laura voulait des réponses, il allait lui en donner. Après tout, n’avait-il pas conclut plus tôt que c’était le moment où jamais?

- Ma place est ici bordel, à tes côtés, lâcha-t-il les dents serrées pour ne pas hurler. Je t’ai fait une promesse et je compte bien la tenir. Je t’emmènerais à la volière, même si je dois t’y conduire en rampant, tu m’entends?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il se sentit soulagé de le dire. Un profond soupir s’échappa d’entre ses lèvres et de sa main libre, il replaça ses cheveux en arrière.

- À Melbourne, j’étais en colère et j’ai mal réagi. Putain Laura, je t’ai cru morte pendant quatre ans, quatre année d’un enfer que je pensais sans fin et puis, tu es réapparue. Et sans savoir ce que tu avais traversé et sans savoir qui était derrière tout ça, tu décides de replonger. Je n’ai pas été capable de te protéger avec tout ce que le parc me mettait à disposition alors que est-ce que je pouvais faire suite à ton annonce? T’encourager ? Te féliciter ? Non putain j’ étais en colère ! Et je t’en voulais d’être aussi égoïste. Mais je ne vaux pas mieux, pas vrai? J’aurais pu te prévenir de mon arrivée mais…j’avais mes raisons.

Il eut un sourire triste. Il y avait évidemment son accord avec Miller mais aussi, Marina qu’il devait gérer. La crainte qu’elle divulgue des informations sur sa relation avec Laura ne le quittait quasiment jamais maintenant qu’elle savait. Et puis il y avait encore sa honte et sa crainte de devoir affronter Laura après leur dispute. Décidément, rien ne serait jamais simple entre eux et pour eux.

Ma place est ici, bordel, à tes côtés. C’était faux. Affreusement faux. Sa place était aux côtés d’elle, de cette australienne qui se languissait plus que de raison de son absence, à n’en pas douter. Laura se souvint de ce regard inquisiteur plongeant sur elle, s’éclairant alors d’une lueur de compréhension qu’elle avait pu percevoir, à bonne distance. Elle n’avait pas entendu leur conversation… Avait-elle pu deviner ? Était-elle un danger ? Je t’ai fait une promesse et je compte bien la tenir. Je t’emmènerais à la volière. Elle lâcha soudainement son bras, réalisant un pas en arrière. Elle était trop surprise pour ne pas réagir à ses dires. « Tu… Quoi ? » Durant toutes ces années ? Pendant tout ce temps ? Julian n’avait pas oublié. Il n’avait pas tiré une croix sur cet instant de leur passé et elle en était tout simplement étonnée. Il avait mentionné la volière, certes, lors de leurs retrouvailles à Melbourne… Mais elle n’avait cru qu’il puisse encore s’acquitter de cette charge auprès d’elle. Son cœur en eut un pincement et, un instant, elle eut l’envie de se glisser dans ses bras pour pleurer à chaudes larmes.

J’étais en colère et j’ai m’al réagi. C’était une évidence. Mais qu’il le reconnaisse était poignant et Laura sentait qu’elle n’était pas au bout de ses peines face à la tirade à venir. Ses yeux sombres ne quittaient plus son visage, les iris vibrantes face à l’impact des mots qu’il prononçait. Putain Laura, je t’ai cru morte pendant quatre ans, quatre année d’un enfer que je pensais sans fin et puis, tu es réapparue. Un enfer… Un enfer. Le poids des mots avait une mesure toute particulière et celui-ci était un véritable déclencheur pour Laura. Que Julian l’associe à sa disparition et à ce temps durant lequel elle avait été présumée morte signifiait donc plus encore qu’il ne pouvait l’imaginer. Et pourtant, ça n’avait pas de sens. Il avait récupéré son héritage. Il avait rencontré Marika. Il vivait donc… Et sans savoir ce que tu avais traversé et sans savoir qui était derrière tout ça, tu décides de replonger. Elle frissonna tandis qu’il ramenait des souvenirs sombres à sa mémoire, sans le vouloir. Des questions demeureraient probablement à jamais sans réponse. Et c’était peut-être mieux ainsi. Qu’il s’attarde sur ce qu’elle avait pu traverser, en revanche, était tout autant surprenant que le reste. Pourquoi cela comptait-il autant à ses yeux ?

Je n’ai pas été capable de te protéger avec tout ce que le parc me mettait à disposition alors qu’est-ce que je pouvais faire suite à ton annonce? Était-ce vraiment à lui de la protéger ? Et surtout… Il n’avait pas idée de comment il l’avait fait. Alors oui, il s’était mis en colère et elle n’avait gardé en tête que cela, réveillant la sienne face à l’injustice de toute cette situation. Je t’en voulais d’être aussi égoïste. Pourtant, il le savait. Elle l’avait toujours été. Mais comme il le soulignait, lui aussi avait su l’être. J’avais mes raisons. Et elle aurait été curieuse de les entendre. Restant là, ouvrant la bouche tel un poisson, à plusieurs reprises, sans réussir à en sortir un son, elle finit par se détourner légèrement, faisant quelque pas, ses mains venant se placer sur ses hanches alors qu’elle prenait de profondes respirations. « Et j’avais les miennes… » Soupirant longuement, elle lui offrit, à son tour, un sourire gêné. « Je ne pouvais pas te raconter ce que j’ai vécu… Pas comme ça... Je n’étais pas prête… Et qui est derrière tout ça… » Elle se donna un peu de courage avant de poursuivre. « On me protège. On ne me donnera que les résultats de l’enquête quand tout ceci aura une fin. C’est… Difficile parce que reparler de tout ça c’est… Retourner là-bas. »

Elle se pinça les lèvres, fermant un instant les paupières, retenant un frisson. Retourner là-bas. C’était une nécessité à l’enquête qui avait été retardée mais Laura savait que son prochain retour à terre serait également synonyme d’un retour en République Dominicaine. Ils voulaient comprendre le fonctionnement des choses… Machinalement, elle leva le regard vers les étoiles et la voute céleste. Elle était dehors. Elle allait bien. Se répétant ces deux phrases, elle avait souri un peu plus. « Je ne pensais pas que… Tu songeais encore à cette promesse… »

Laura avait relâché son bras, surprise, elle avait même reculé d'un pas. Son regard se leva vers le sien et leurs pupilles s'accrochèrent, comme avant. Il avait replacé ses cheveux en arrière, soulagé d'avoir pu poser des mots sur ce qu'il considérait comme un devoir.
L'importance était considérable à ses yeux et lorsqu'il disait que sa place était à ses cotés, il ne parlait pas que de la volière bien entendu.
Bon sang, il s'en rendait bien compte à présent, la douleur que lui infligeait la simple présence de Peter, ce soulagement de pouvoir lui parler sans détour, la facilité avec laquelle il pouvait être capable de déverser le contenu de son cœur l'effraya un moment.
Il poursuivit cependant, le regard toujours rivé dans le sien, lui dévoilant les raisons de son attitude à Melbourne, pas pour qu'elle le prenne en pitié, pas pour qu'elle puisse comparer leur souffrance, non, juste pour exprimer ce qui était.

Il était honnête, comme il l'avait toujours été face à elle. Voilà quatre ans qu'il mentait en permanence à Marika sans aucun scrupule pour protéger ce qu'ils avaient été, tous les deux.
Et pendant qu'il parlait, il notait la forme de sa bouche légèrement ouverte, ses yeux brillant, la forme de sa mâchoire et ses cheveux que la brise titillait.
Même si elle avait maigri, elle n'avait pas changé. Toujours aussi belle, toujours aussi désirable, toujours elle.

Elle s'éloigna de lui de quelques pas, rompant cet instant immobile durant lequel les mots prenaient leur sens, lentement.
Et j’avais les miennes…
Certainement. Le sourire qu'elle lui offrit fit bondir son cœur littéralement. Il pensait à se résigner, il pensait l'avoir perdue à nouveau et voilà qu'elle lui souriait, ravivant une braise de cet amour qui le consumait.

Il aurait pu lui dire qu'il comprenait mais ça aurait été faux. Il ne comprenait pas comment elle avait si facilement exprimé son calvaire sur un plateau, face à Oprah et des milliers de téléspectateurs alors qu'elle lui disait à lui ne pas vouloir lui raconter.
De quelles raisons parlait-elle alors ?
Le silence fut sa seule réponse face à l'attitude de Laura. A nouveau, il l'observa en cherchant la faille dans ce qu'elle lui dévoilait. Que taisait-elle encore ? Il avait besoin de réponses mais ne voulait pas la brusquer.
Tandis qu'elle releva les yeux vers le ciel, il suivit le mouvement et observa à son tour le manteau scintillant de la nuit, laissant son sourire s'étirer davantage, tout comme le sien.

Je ne pensais pas que… Tu songeais encore à cette promesse…

Il reporta son attention sur elle et son sourire s'étiola, lui donnant une mine ben plus sérieuse. Sans hésiter, il fit un pas vers elle, respectant cependant une distance de sécurité entre eux.

- Comment aurais-je pu oublier ça ? Ça et tout le reste, dit-il tout bas. Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas pensé à toi.

Conscient de cet aveu bien trop lourd, il recula et tacha de reprendre ses esprits. C'était pourtant trop tard et s'il n'y avait pas eu cette pénombre, elle aurait sûrement vu sa peau se colorer légèrement. Il avait chaud soudain et se racla la gorge avant de reprendre d'un ton bien plus commun.

- Je t'ai promis la volière et que tu sois d'accord ou non, je reprendrais les secteurs de l'île, un par un. Mais...j'ai besoin de savoir ce que tu en penses. Est-ce que tu me veux ici ou bien est-ce que tu veux que je disparaisse de ta vie définitivement ? Tu peux me le dire sans crainte, je comprendrais et dans tous les cas, quand tout sera fini, je rentrerais à Londres.

C'était la seule certitude. Il se donnerait à fond, qu'elle le veuille ou non. Après cela, il s'en remettrait à sa volonté.

Il s’était avancé vers elle, les yeux sombres de Laura s’arrachant à leur contemplation des étoiles pour mieux se rapporter à lui qui reprit la parole, la voix soudainement bien plus grave tout comme l’était l’expression qu’il portait sur ses traits, doucement dissimulés par les ombres. Comment aurais-je pu oublier ça ? Ca et tout le reste. Elle baissa le regard. Elle non plus n’avait rien oublié. Mais s’il n’avait pas oublié, il avait su se reconstruire et aller de l’avant. Il avait su faire la part des choses pour mieux mettre de côté cette vie et entamer un nouveau chapitre de cette histoire qui était la sienne. Enfin, le pensait-elle… Il n'y a pas un seul jour où je n'ai pas pensé à toi. Ses yeux s’étaient relevés vers lui avec vivacité, cherchant à lire la conviction de son propos dans ses yeux. Était-ce vrai ? Oui. Bien sûr que c’était vrai et tout en lui le lui indiquait, que ce soit son léger mouvement de recul ou cette pause qu’il s’accorda, laissant à Laura la possibilité de mesurer le poids de ces mots.

Elle n’avait fait que s’accrocher à tout cela, elle aussi. A ce passé, à ces moments tendres et doux. Le contour de ses traits s’étaient dessinés dans son esprit alors que sa voix s’était doucement déformée au fil du temps. Pourtant, il l’encourageait, à chaque réveil. Tiens bon. Je suis là. Tu es forte. Ne lâche pas. Elle savait, intérieurement, que ces phrases avaient été composé par son esprit plus que par lui, mais, au fond, elle n’avait fait que s’inspirer de ce qu’il avait pu lui dire durant leur passé commun. Julian aurait pu prononcer ces mots et c’était ce qui les rendait plus réels dans son cerveau. Quand il ne parlait pas, il venait l’étreindre, embrasser sa nuque ou son épaule. Laura s’était nourrie de tous ces souvenirs pour mieux survivre. Sa vie, elle la lui devait, toute entière. Mais cela, elle ne pouvait le lui dire.

Je t’ai promis la volière. C’était il y a très longtemps. Trop longtemps. Même si elle se souvenait de ses mots, elle ne lui e aurait tenu rigueur s’il avait renoncé. La preuve, elle ne pensait déjà pas le voir revenir sur cette île. Je reprendrais les secteurs de l’île, un par un. Elle ne put s’empêcher de pouffer face à l’idée d’un Julian, seul, affrontant tous les monstres d’Isla Nublar. Et le pire, c’est qu’elle l’en pensait grandement capable. Est-ce que tu me veux ici ou bien est-ce que tu veux que je disparaisse de ta vie définitivement ? Le rire s’était éteint bien rapidement, la boule dans son estomac se reformant alors qu’il évoquait ce qu’elle craignait plus que tout. De tous ses cauchemars, le plus persistant prenait place lorsqu’elle était bien éveillée. La peur de ne plus être capable de se souvenir, de ne plus être capable de visualiser. Laura avait vécu cela, s’inquiétant de ne plus pouvoir croiser le regard imaginaire de celui qu’elle avait aimé et chéri ces quatre dernières années… Et même plus encore. Quand tout sera fini, je rentrerai à Londres. « A Melbourne… Tu rentreras à Melbourne, non ? » C’était une réponse au tac au tac, comme si la logique l’emportait sur tout le reste.

Elle lui laissa le temps de répondre avant de soupirer longuement. Que voulait-elle ? Le savoir en sécurité. Mais le vouloir auprès d’elle. Ce dilemme n’avait pas le moindre sens car ces deux constats n’étaient nullement compatibles. Et puis, le second était-il encore réalisable ? Détournant le regard, à nouveau, elle se mordit la lèvre inférieure. « Tu l’as dit toi-même… Je suis égoïste. » Est-ce que cela faisait d’elle une mauvaise personne ? Elle n’en avait pas l’impression. « Ce n’est pas à moi que tu dois demander ça, Julian… » C’était à lui-même. Ou, au pire, à Marika. N’avait-elle pas son mot à dire, elle aussi ? Passant machinalement une main sur son front, elle se retint de chercher la sienne pour la saisir. « Je n’ai jamais voulu que tu partes. Que tu démissionnes. J’aurais aimé que tu me le dises oui, mais… Tu es là, maintenant. D’ailleurs, désolée encore pour ton pied. » Elle grimaça, consciente que le coup qu’elle avait envoyé dans ce moment d’inconscience avait dû valoir son lot de douleur.

Laura pouffa à ses paroles, lui qui était subitement si sérieux. Quel était l'objet de son rire ? L'idée qu'il puisse reprendre les secteurs un par un ? Lui y croyait pourtant dur comme fer. Il n'avait jamais été aussi motivé à le faire. Cependant, à la manière dont elle le regardait, il savait qu'il avait toute son attention, il savait qu'elle analyserait chacun de ses mots, pesant le pour et le contre.
En réalité il n'en attendait pas moins d'elle, car il souhaitait une réponse honnête.
Le voulait-elle à ses cotés oui ou non ? Même si ce n'était que comme employé ou pire, comme ami. Il s'en contenterait. La seule chose qu'il ne voulait plus, c'était qu'elle disparaisse de son existence. Pas une seconde fois, pas maintenant qu'il vivait avec tous ces regrets.

Il fronça doucement les sourcils lorsqu'elle mentionna Melbourne avec une logique implacable. Et puis, il comprit qu'aux yeux de la jeune femme, Melbourne devait être toute indiquée.
Après tout il y avait son bien immobilier et la femme qui partageait sa vie, du moins, c'était ce qu'elle croyait. Tout était bien plus complexe.
Il inspira profondément et lui dit simplement :
- J'ai déjà mis l'immeuble en gérance avant de partir. Londres me manque, j'aurais dû y rester...

Ses paroles sonnaient comme un immense regret tout comme une étrange vérité. S'il n'avait pas rencontré cette sois-disante famille, il serait retourné à la Royal Army et les choses auraient été différentes.
Pas ou peu d'alcool, pas ou peu de colère, pas de Marika du tout. Il n'aurait toujours pas donné toutes les raisons de son mal être, peu importait le psy mais peut-être que le traitement aurait été différent.
Aujourd'hui, il ressentait de plein fouet le manque d'antidépresseur et si physiquement, ça allait, on ne pouvait pas en dire autant du mental. Des pensées noires obscurcissaient son esprit, biaisant ses jugements. Il ne savait plus trop s'il voulait vivre ou mourir. Cela dépendait de ce qu'il affrontait en face.
Et justement, Laura était entrain de répondre à sa question.
De très loin, il aurait préféré un simple oui ou encore un non car à présent, il ignorait où elle voulait en venir. Oui, il la savait égoïste, est-ce que cela signifiait qu'elle voulait le garder pour elle ?
A qui voulait-elle qu'il demande ? Marika ? Et puis quoi encore. A lui-même ? Il connaissait déjà la réponse mais il voulait s'assurer que Laura l'accepte lui, avec ses tares et ses dysfonctionnements.
A la manière dont elle passait la main sur son front, il sut qu'elle était gênée et il trouva cela adorable.
Un sourire tendre étira ses lèvres en l'observant et un picotement dans son bas-ventre le fit tressaillir de surprise.
Qu'est-ce que...Lui dont les émotions physiques se taisaient depuis si longtemps, éteintes par les médicaments commençait à ressentir à nouveau. C'était déstabilisant et à la fois terriblement euphorisant. Tant et si bien, qu'il n'écouta pas la moitié des paroles de Laura.
Merde, songea-t-il. Voilà qu'il n'avait rien écouté de sa réponse. Enfin presque rien.

- Mon pied ? Ah...reprit-t-il en riant gêné plus parce qu'il n'avait pas tout écouté que par cette histoire en particulier. Je t'enverrai la radio de ma fracture. Heureusement, j'ai une bonne assurance dans ma boite.

Son sourire s'effaça doucement et il ajouta :
- Tu ne dois pas t'inquiéter pour moi Laura.

Ni maintenant, ni plus tard lorsqu'il serait sur le terrain. C'était son job, c'était sa vie et il pouvait bien mettre sa vie en jeu comme il le souhaitait, pour qui il le souhaitait. Et tout ce qu'il voulait, c'était le faire pour elle.

J’ai déjà mis l’immeuble en gérance avant de partir. Londres me manque, j’aurais dû y rester. Elle se retint de souligner comme il pouvait d’ores et déjà s’y rendre, quitter ce navire de fous pour retrouver une sécurité adéquate et vivre cette petite vie tranquille qu’elle lui prêtait. La notion d’enfer refit surface dans son esprit et alors, le tableau qu’elle s’était figuré, le concernant, s’effaça peu à peu. Il ne cherchait pas à prononcer le nom de cette blonde, pourquoi ? Devait-elle en arriver, seule, à ses conclusions ? Elle ne ferait probablement pas les bonnes, nourrissant l’espoir de le voir lui revenir, envieuse de croire qu’elle pouvait récupérer ce qu’on lui avait si sournoisement volé.

Egoïste, oui, elle l’était. Elle voulait croire qu’il resterait là, pour elle et rien que pour elle. Laura ne réalisait péniblement qu’elle avait besoin de sa présence ou du moins de son soutien pour avancer. Il avait été là avant, il devait être là maintenant. Et sa volonté de rejoindre Jurassic World la laissait croire qu’il la soutenait, quand bien même c’était une idée de merde. Exposant ses doutes, essayant de formuler comme elle avait besoin de lui et comme elle pouvait regretter, il sembla surpris quand elle mentionna son pied. Je t’enverrai la radio de ma fracture. Elle leva les yeux au ciel, désabusée par ces enfantillages qu’elle adorait, un demi sourire passant sur ses lèvres alors qu’il mentionnait l’assurance de sa boîte. C’était peu de le dire…

Tu ne dois pas t’inquiéter pour moi, Laura. Elle déglutit avec peine, se mordant à nouveau la lèvre. « La réciproque est toute aussi vraie, tu sais ? » Mais elle savait que c’était probablement impossible, pour l’un comme pour l’autre, de ne pas céder à cette simplicité qu’était l’inquiétude. Son cœur était ainsi fait, battant à moitié pour elle et à moitié pour lui. « J’essaierai… En tous cas, je te promets de… Ne pas interférer bêtement dans ton travail à cause de… » Mes sentiments ? Elle ne pouvait dire cela. Elle ne pouvait pas prononcer quelque chose qui aurait dû prendre fin des mois auparavant. « Mon inquiétude. » Elle eut un sourire maladroit, certainement autant que l’étaient ses mots dans une telle circonstance.

Il n’y avait personne, sur les pistes, à cette heure. Personne qui ne prêtait attention à eux, en tous cas. Les patrouilles avaient les yeux davantage rivés vers le ciel, guettant l’arrivée redoutée de quelques reptiles volants et affamés. Laura rongeait son frein, essayant de ne pas céder à la tentation de se laisser aller contre lui ou même de le toucher à nouveau. Si elle le faisait, elle craignait ne plus être capable de donner le change et alors, il ne pourrait que la détester davantage. « On sera bientôt le 26 juillet… » Elle regardait au loin, là où la noirceur était illuminée par les reflets de la lune sur les vagues qui avançaient vers eux. Elle n’avait pas eu besoin de penser à cette date : On la lui avait suffisamment rappelée. Peter, Damian… Même Rachel et John s’y étaient mis, l’interrogeant sur sa volonté commémorative sur un jour qui était bien trop sombre. « Je crois que tout le monde s’attend à ce que je pète les plombs à cette date… Déjà que je ne sais pas trop ce qu’on pense de moi dans de telles circonstances… » Elle prit une profonde inspiration, pensant davantage à voix haute que cherchant des réponses. Finalement, elle reposa son regard sur lui. « Tu veux qu’on.. Marche ? Ou bien, je peux te laisser réessayer de méditer ? » Elle aurait bien quelques conseils à lui donner mais en voulait-il seulement ?

Ne pas s'inquiéter pour elle ? Pardon mais ne venait-elle pas de sortir de presque quatre années de séquestration ? Quatre années sans voir la lumière du soleil, quatre années avec la menace d'une décharge électrique à toute tentative d'évasion, quatre années isolée, coupée du monde et d'une quelconque conversation. Son esprit ne pouvait pas tout lister mais il avait toutes les raisons de s'inquiéter pour elle. La principale était bien évidemment qu'il l'aimait toujours, c'était ça la réalité. Une part de lui souffrait d'être ainsi tenu à l'écart sans savoir exactement ce qu'elle avait traversé, une autre jalousait de manière mesquine l'idée qu'elle ait pu partager ça avec quelqu'un d'autre. Wiesner ou Peter Ronan pour ne citer qu'eux.

Il se sentait si faible et vulnérable, dans l'incapacité de tenir sa résignation. Il voulait laisser sa liberté à Laura, la laisser faire ses choix, décider si elle le voulait à ses côtés ou non. Et comme un crétin, il n'avait pas écouté sa réponse, perturbé par une sensation étrange. C'était ridicule et agaçant.
Comme en ce même moment où il la contemplait, les coeur serré face à son hésitation. Pourquoi cherchait-elle autant ses mots ? Il inclina doucement la tête sur le côté en remarquant son sourire gêné, puis hocha la tête pour lui signifier qu'il avait compris.

Là, sur les pistes, ignoré de tous, il avait le sentiment d'être coupé du monde, seul avec elle.
Une par de lui cependant, savait bien que depuis l'ilot de pilotage, une ou plusieurs paires d'yeux pouvait les observer mais une autre s'en foutait.
Ce moment était le premier sans dispute, sans mots blessant depuis trop longtemps.
Il ne voulait pas briser cet instant, convaincu qu'un rien pourrait faire éclater leur bulle.

Aussi, il demeura immobile, le regard rivé sur elle, se nourrissant des traits de son visage, des mouvements lent de sa poitrine qui se soulevait au gré de sa respiration, savourant la simple joie de la voir bien vivante, juste là. Son rêve éveillé, c'était ça.

Et puis, elle rompit le silence, indiquant la date à venir, le 26 juillet.
Julian se crispa légèrement, les yeux s'écarquillant lentement. Comment oublier la date qui l'avait vu tout perdre ?
Il n'avait pas été attentif, après avoir passé des années à se couper volontairement de la télévision, à vivre chaque jour comme le précédent, il avait refusé de songer au jour de la disparition de Laura qui reviendrait de manière cyclique. Marika l'avait tenu éloigné de toute commémoration. Et voilà, six jours et ils y seraient, sans personne pour le contenir s'il explosait.
Elle lui fit part de ses pensées sur le sujet, un peu floues pour lui mais il ne releva pas tout de suite, n'étant pas certain qu'elle s'adressait véritablement à lui.
Enfin, elle releva son regard dans sa direction et proposa de marcher ou bien de méditer.
Il lui répondit par une grimace douloureuse puis sourit :
- On marche un peu.

C'est ainsi qu'il donna l'impulsion de déambuler sur ce pont supérieur. Si elle lui avait raconté cette scène quatre ans en arrière, il en aurait ri d'incrédulité. Et pourtant...
Pourtant ils étaient là, à marcher lentement sous le ciel étoilé sans qu'il n'ose la toucher même si leur corps étaient proches. Ses doigts effleurèrent sa main dans le mouvement de balancier et il les referma sur son poing pour ne pas se laisser tenter.

- C'est dans six jours, dit-il avant d'hésiter sur la suite.
Il ralentit sa marche un instant, juste le temps de l'observer encore. Devait-il à son tour se confier un peu ? Il n'en avait pas spécialement envie mais, quelque chose lui soufflait que c'était peut-être le moment de s'ouvrir un peu et de panser quelques plaies encore béantes.

- Pour être tout à fait honnête, c'est la première année où je vais vraiment me rendre compte de la date moi aussi, acheva-t-il en fronçant les sourcils.

Ses paroles avaient-elles le moindre sens ?

- Comment tu te sens, vis à vis de cette date, je veux dire, pourquoi s'attendent-ils tous à ce que tu pète un plomb. Et toi tu t'attends à quoi ?

Ce n'était pas simple et elle n'était pas obligé de répondre. Il savait qu'elle ne le ferait pas si elle ne le souhaitait pas. Cependant, l'atmosphère calme appelait les confidences et Julian commençait à se persuader, que la guérison commencerait par là.

On marche un peu. Comme à Melbourne, elle aurait pu le deviner, souriant doucement, lui emboîtant le pas. Soupirant doucement, elle revint à sa hauteur assez facilement. Ses doigts effleurèrent les siens et pour éviter que le phénomène ne se reproduisent, elle plongea ses mains dans les poches arrière de son jean. Ça, ce serait différent de Melbourne. Parce que le moment était passé, parce qu’elle n’avait plus le droit de le toucher… Et parce que si quelqu’un posait les yeux sur eux, il pouvait plus aisément les reconnaître à bord de ce navire.

C’est dans six jours. Elle hocha machinalement la tête, sentant le regard de l’agent d’intervention se poser sur elle. Elle n’avait pas le courage de le croiser, pas à cet instant alors qu’elle ne savait pas encore comment gérer la situation. Quand on lui avait souligné cet étrange anniversaire à venir, Laura avait nonchalamment répondu que ce ne serait pas le premier… Après quoi, elle avait réalisé que si, ce serait bien le premier, le temps s’étant perdu dans un décompte de jours étranges et sans fin sans qu’elle ne puisse en suivre la mesure. Alors qu’était-elle supposée dire ou faire, dans six jours ? Pour être tout à fait honnête, c'est la première année où je vais vraiment me rendre compte de la date moi aussi. Elle releva le regard, cette fois-ci, s’interrogeant forcément sur les raisons d’un tel report. « Ah… ? » Que pouvait-elle dire de plus ? Elle craignait le culpabiliser inutilement en cherchant à investiguer sur les raisons d’un tel manquement ces dernières années… L’avait-il si rapidement oubliée ? Ça n’avait pas le moindre sens, pas après ce qu’il avait pu lui avouer quelques instants plus tôt ou à Melbourne. Alors… Était-ce trop dur qu’il valait mieux ne pas y penser ?

Comment tu te sens, vis à vis de cette date, je veux dire, pourquoi s'attendent-ils tous à ce que tu pète un plomb. Et toi tu t'attends à quoi ? A nouveau, elle soupira, grimaçant légèrement. « C’est que… » C’était difficile pour elle, d’expliquer toutes ces choses qu’elle n’expliquait que difficilement, ces réponses psychologiques réclamées par son corps après tout ce qu’elle avait pu vivre. « Disons que beaucoup de choses chez moi sont devenues imprévisibles… » Elle lui adressa un regard de biais avant de s’arrêter de marcher, grimaçant davantage. « Peut-être… Que je vais vraiment péter un plomb. » Elle haussa les épaules avec un sourire de travers. « Et si tu veux mon avis sur la question… Miller a certainement appelé la cavalerie en renfort pour éviter que ça n’arrive… Je suis surprise que Damian et Rachel ne soient pas encore là. » Elle relança la marche, regardant au loin. La cavalerie. Les chevaliers de son apocalypse, ceux qui venaient la secourir en cas de besoin. Julian aurait pu en faire partie… « Et moi… Je voulais boucler la boucle en envoyant la première intervention sur Isla Nublar à cette date. Mais le délai et trop court et Miller essaie de me faire croire que ça ne nous portera pas chance. » Cette fois-ci, elle croisa les bras, doucement contrariée. « Visiblement, il va falloir que je trouve autre chose… Et toi ? Tu ferais quoi, à ma place ? »

Ah… ?
L'attitude de Laura appelait des explications. Il croisa son regard avant de le dévier à son tour. Ce n'était pas le moment de parler de lui et de toute façon, il n'en avait pas envie.
Enfin pas comme ça. En réalité, il ne savait pas trop ce dont il avait envie ou non. Laura et lui vivaient une aventure extraordinaire il y a quatre ans et puis tout s'était arrêté d'un coup. Il l'avait cru morte comme le monde entier, et s'il n'avait pu se reconstruire, il avait au moins essayé.
Et puis, elle était réapparut et la joie l'avait submergée avant de se rendre compte que tout ceci était bien réel déjà, parfois il avait encore des moments de doutes comme s'il rêvait. Et d'un autre coté, une petite voix insidieuse lui soufflait que plus rien ne serait comme avant.
Il le savait, s'il y réfléchissait sérieusement, c'était même normal. Mais il voulait retrouver ce qu'il avait perdu, il voulait que tout soit comme avant.
Et ça, il s'était rendu compte que c'était impossible.
Leur rencontre à Melbourne, celle dans la salle d'entraînement et à présent cette soirée, tout lui indiquait que cela ne reviendrait jamais comme avant.
C'était douloureux à admettre et à la fois, d'une logique imparable.
Quatre années s'étaient écoulées et pas seulement des années où l'on se perd de vue non, des années de traumatismes et d'insécurité.

Alors oui, il ne voulait pas parler de lui parce que à ses yeux, dans cet instant présent, tout ce qui comptait c'était elle. Ça avait toujours été elle la priorité. C'était de ça dont il avait besoin.
Et il voyait bien à ses grimaces qu'elle rechignait à s'ouvrir à lui, il le comprenait. Mais si elle pouvait faire cet effort alors peut-être, peut-être pourraient-ils essayer de se retrouver. Au moins un peu.

C'était ridicule et pathétique, il s'en rendait bien compte mais il n'y pouvait rien. Elle le rendait vulnérable, c'était un don chez elle. Dès qu'il s'agissait de Laura, il était capable de tout et la plupart du temps, du pire parce qu'elle avait ce pouvoir sur lui. Il ne pouvait rien lui refuser, il ne pouvait même pas détacher ses yeux d'elle comme maintenant qu'elle commençait à exprimer ce qu'elle ressentait vis à vis de la date de sa mort présumée.
Elle hésitait, cherchait ses mots mais elle essayait.
Un sourire se dessina sur ses lèvres car sous tout ce comportement, il reconnaissait la femme qu'il aimait. Vaillante et brave, elle essayait.

Ainsi donc, elle était devenue imprévisible ? Naturellement il tenta de se convaincre que leur entraînement avait été influencé par ce biais.
A l'écouter parler, il comprit qu'elle même ignorait la réaction qu'elle aurait. Ce devait être épuisant de ne pas savoir comment on était capable de réagir, épuisant et inquiétant.
Et puis, il fit le parallèle avec lui-même. Sa gestion de la colère était dans ce même état. Délabré et incertain.
Il nota qu'elle ne serait pas seule au moins et cela le rassura. S'il ne pouvait être présent pour elle, il voulait que d'autres le soient et c'était le cas.
Levant les yeux au ciel à la superstition de Miller, il se demanda si ce n'était pas juste une excuse, pour ne pas envoyer de mission terrain ce jour là. La sécurité n'était pas prête, cette mission de reconquérir l'île serait plus périlleuse qu'en 2016 lorsqu'il avait fallu réparer les enclos et remettre derrière les barrières le T-Rex et les raptors. Là, tout serait sans dessus dessous.
Et puis, aussi curieux soit-il, elle lui demanda ce que lui ferait.
Il s'immobilisa d'un coup, les sourcils levés avant de la regarder puis de se mettre à réfléchir.
Naturellement, il porta son poing à sa bouche comme si cela pouvait l'aider.

- Je ne sais pas, finit-il par répondre. Je crois que, j'aimerais déjà savoir comment je me sens mais je crois aussi que...il n'y pas de réponse en fait.

Il avait envie de poser ses mains sur ses épaules pour capter toute son attention mais se ravisa et se contenta de se tenir droit face à elle.

- Il n'y a que toi qui peux savoir en réalité. Pas ta cavalerie, ni même Miller. Parce que c'est toi qui as vécu ça, pas eux, pas moi. Mais si tu veux vraiment savoir ce que j'en pense...C'est qu'ils devraient te faire un peu plus confiance. Et toi aussi d'ailleurs.

Un sourire tendre illumina ses traits.

- Laura...tu es la personne la plus résiliente que je connaisse. Je t'ai vu te transformer, je t'ai vu progresser chaque jour physiquement et mentalement. Tu es une battante, tu es courageuse. Au début, lorsque Powell t'a mis dans mes jambes, j'étais vraiment en colère, je croyais qu'elle se foutait de ma gueule, qu'elle me punissait. Et puis...le boulet que tu étais est devenu...une montagne. Toujours plus grande...toujours plus haute. Tu crois vraiment que j'aurais pris le risque d'emmener une petite fleur fragile à la volière ? Non. J'ai beau m'inquiéter pour toi, j'ai aussi confiance en tes capacités. Et là c'est pareil. Je sais que tu sauras faire face. Et au pire, si tu n'y arrivais pas, c'est pas grave. Personne ne t'en blâmera.

Il avait parlé avec son cœur et sa voix en était devenue plus vibrante même s'il s'évertuait à parler bas. Évoquer les souvenirs de leur début lui mettait du baume au coeur et lui rappelait aussi tout le chemin parcouru.

Je ne sais pas. A dire vrai, personne n’avait encore osé prétendre connaître la vérité absolue à ce sujet. Qu’il soit autant perdu qu’elle la rassurait, en partie, et ne résolvait nullement son problème. Je crois que j’aimerais déjà savoir comment je me sens. Cette question était peut être la plus dure et la plus cruelle. Chaque jour, elle souriait, affichant le bonheur d’être en vie, celui d’être libre. Et pourtant, sous cette façade, résidaient principalement la peur et la tristesse. Laura se voilait la face parce que la vérité était bien trop difficile pour elle à affronter. Déglutissant avec peine, elle s’arrêtant quand il en fit de même, se plaçant face à elle, la forçant à nouveau à venir plonger son regard dans le sien.

Il n’y a que toi qui peux savoir, en réalité. Pas ta cavalerie, ni même Miller. Elle cillait à rythme régulier, ses paupières battant à chaque mot qui se voulait grave, à chaque conclusion de phrase. C’est toi qui a vécu ça. Pas eux. Pas moi. Le poids de ses paroles était équivalent au fardeau qu’elle avait de posé sur ses frêles épaules qui, bien que se renforçant de jour en jour, n’étaient pas encore assez fortes pour porter ces années dures qu’elle avait vécu sans même les voir passer. Ils devraient te faire un peu plus confiance. Et toi aussi d’ailleurs. Elle releva le regard vers lui, captant son sourire. Ah, ce sourire… Elle pouvait l’embrasser, encore et encore, ces lèvres parfaites s’étirant avec une tendresse toute particulière, qu’elle n’espérait plus même voir en lui étant directement adressée.

Laura… Tu es la personne la plus résiliente que je connaisse. La pénombre autant que son hâle naturel l’empêchèrent de voir ses joues rougir mais la jeune femme, elle, sentait volontiers le feu lui mordre les pommettes. Instantanément, alors qu’il la complimentait sans détour, elle et sa volonté de fer, elle vint planter ses incisives dans sa lèvre inférieure, tâchant de dissimuler son trouble dans une mimique qui était le sienne depuis toujours. L’émotion était là alors qu’il dressait d’elle le portrait de cette guerrière qu’elle avait su devenir à ses côtés, dans ses bras. Elle se souvenait, elle aussi, de cette première rencontre, de ce rire cynique qu’il avait poussé en l’interrogeant sur le genre de plaisanterie que tout ceci représentait. Et puis, des moqueries et du ton sarcastique, leur relation était née. Professionnelle, de prime abord, lui devenant l’entraîneur de celle qui avait tout à apprendre. Les événements ayant secoué leur vie, alors les avaient poussé à se rapprocher, libérant les langues concernant les secrets de l’un ou de l’autre et, finalement, un drame avait fini par les pousser mutuellement dans les bras de l’autre. Leur relation avait duré plus de huit mois. Huit mois à se cacher, à craindre d’être découverts. Huit mois merveilleux, brisés par cette chasse à l’homme qui avait changé leurs vies à tout jamais. Après tout ce temps, pourtant, elle n’avait de cesse de l’aimer, encore.

Je sais que tu sauras faire face. Les larmes lui brulèrent instantanément les yeux alors qu’il l’excusait même déjà d’un éventuel échec dans l’accomplissement de cette tâche. Il la voyait telle qu’elle était dans le passé. Seulement, il ignorait à quel point elle n’était plus qu’une ombre, une silhouette ressemblant à elle-même. Laura se recherchait, tapie dans les peurs et le noir. La mécanique du cœur, elle, était bien plus simple. Machinalement, elle avait fait un pas vers lui, rompant la distance entre eux, la proximité se faisant plus grande qu’elle ne l’avait jamais été. Déglutissant avec peine, elle releva vers lui ses yeux humides, chassant du mieux qu’elle le pouvait les larmes qui tentaient de couler sur ses joues sans y parvenir. Sa voix, elle, ne fut qu’un souffle. « Je ne suis plus cette fille-là, Julian… » Pouvait-il lire en elle, toute la détresse qui la traversait ? Toute la tristesse qui l’animait et cette peur sans égale qui ne cessait plus de croître en elle ? Baissant les yeux, elle s’écarta doucement, détournant le regard et son corps alors que ses bras se croisaient à nouveau sur sa poitrine. « Tout ça c’est… C’est trop dur. La résilience, la force… Je ne suis pas sûre que ça suffise, cette fois… » Et elle avait le sentiment que personne ne la comprendrait jamais. Elle avait le sentiment d’être une étrangère dans ce monde qui était pourtant le sien. « Je… J’ai peur… Peur de ce qu’il pourra arriver dans six jours. Peur de fermer les yeux parce que je ne sais pas si je pourrais les rouvrir un jour. Peur d’être à nouveau enfermée… » Son corps tout entier avait tressailli, comme rejetant cette possibilité. Sa voix tremblait alors qu’enfin, la carapace dans laquelle elle s’était réfugiée commençait à s’entrouvrir.

Julian n'avait pu voir le rouge gagner les joues de Laura à cause de la pénombre mais il avait remarqué qu'elle se mordait la lèvre comme à chaque fois qu'elle était troublée.
Une douce chaleur s'éleva dans sa poitrine en se rendant compte qu'il pouvait encore la lire après les épreuves et le temps.
Il n'était pas revenu pour lui faire de longs discours, pour lui dire quoi penser et quoi faire. Il était revenu pour sa promesse et parce qu'il savait que sa place était ici, à ses côtés.
Si elle attendait des explications, il n'en avait aucune. Lui-même ne le comprenait pas vraiment. Son impulsivité l'avait souvent poussé à agir de manière complètement déraisonnable, il en avait une nouvelle version en ce moment même.

Laura le regardait, buvait ses paroles, voyant peut-être un sens caché quand il parlait de la façon la plus honnête possible. Sa voix tremblait de vérité et de conviction. Il ne pouvait pas le nier, elle ne le pourrait donc pas non plus.

Pourtant, elle s'était mise à pleurer, il avait vu l'éclat brillant qui avait dévalé sa joue comme une étoile filante mourante dans un ciel sans nuage. Alors le sourire de Julian s'était lentement effacé pour laisser la place à des sourcils légèrement froncé, teintés d'incompréhension.
Elle s'était avancée et il avait cru qu'elle allait venir se blottir dans ses bras, il avait alors commencé à envisager une réponse à cette action. Que devait-il faire ? On pourrait les voir mais jamais il ne pourrait la repousser.
A la place de ce mouvement attendu, elle avait simplement énoncé, la voix brisée dans un murmure.
Je ne suis plus cette fille-là, Julian…
Elle avait alors reculé, replaçant une distance entre eux, les bras croisés sur sa poitrine en un geste protecteur.

Le souffle lui avait manqué et il avait fini par déglutir en silence tant l'état de Laura le bouleversait. Elle n'osait même plus le regarder et pourtant, elle poursuivait en exprimant la peur qui l'étreignait, chaque jour un peu plus. Sa détresse trouva un écho en lui, soufflant sur les braises de sa culpabilité.
Si elle ressentait tout cela aujourd'hui, c'était de sa faute à lui.
Il serra les poings, puis sa mâchoire se crispa un instant et finalement, ce contre quoi il se battait lui aussi depuis si longtemps prit le contrôle. La colère et le dégoût envers lui-même, cette incapacité qui les avait conduits tous deux à cet instant précis.
La douce chaleur dans sa poitrine se transforma en brûlure tandis qu'il s'évertuait à penser qu'elle ne méritait rien de tout ça et que c'était lui le fautif, lui qui avait manqué à sa mission de la protéger.
Soudain, c'en fut trop. Il ne pouvait plus supporter ça sans rien dire.
Comme si la détresse de Laura appelait la sienne, il sentit une larme couler et dévaler sa joue.

Sans attendre, il se détourna d'elle et essuya l'importune, cachant sans scrupule cette nouvelle faiblesse. Il ne pouvait pas se montrer faible et vulnérable, pas après lui avoir fait tout un discours sur l'inspiration qu'elle était, pas après l'avoir vu tressaillir dans son être, la voix tremblante. Pourquoi ne pouvait-il pas être plus fort et simplement lui ouvrir ses bras ?

- Je suis désolé, avoua-t-il d'une voix douloureuse. Tellement désolé que tu aies à vivre ça.
Comme elle, il croisa les bras sur sa poitrine en un mouvement de repli protecteur. Une nouvelle larme roula, cependant, il savait déjà que ça ne servirait à rien de l'essuyer parce qu'elle n'était que la conséquence du mal être profond qu'il ressentait. Une autre suivrait certainement, encore et encore. Il devait partir maintenant, le sevrage des antidépresseurs se faisait sentir. Cependant, il ne pouvait pas laisser passer ce moment, il devait lui dire ce qui le rongeait depuis quatre ans. Ou bien peut-être que l'occasion ne se représenterait jamais sur ce foutu navire où l'intimité n'existait pas.
Osant un regard de biais, il reprit encore une fois d'une voix basse et pleine de ferveur :

- Je suis désolé d'avoir failli à ma mission, désolé de ne pas avoir été capable de te protéger comme j'aurais dû le faire. Désolé pour tout ce que tu as traversé par ma faute. Je ne te demande pas de me pardonner mais...mais laisse moi juste rester là, à tes côtés et cette fois-ci je ferais mieux, je te le jure, je te protégerais. S'il te plaît.

Oui, il la suppliait de lui laisser une chance de prouver qu'il valait mieux que ce qu'il avait été. Sa voix s'était brisée dans sa supplique. Le chemin serait long mais il y mettrait tout son cœur, toute son âme, tout ce qu'il avait. Il donnerait sa vie pour elle sans aucune hésitation. Les étoiles lui en soient témoins, il ne se défilerait pas, tout ce qu'il était lui appartenait. Laura serait sa rédemption.

Où était sa force ? Où était sa capacité à se relever, à serrer les dents et à encaisser ? Ils l’avaient brisée, qui qu’ils puissent bien être. Laura avait été rien de plus qu’un vulgaire rat de laboratoire durant ce qui lui semblait désormais être des décennies. Ils avaient dû rire, à la regarder sur leurs écrans, à la voir pleurer, crier, à chercher à se débattre. Elle n’avait pas de nom, pas de visage ou de voix pour diriger sa colère, sa haine. Alors, il ne restait que la peur. La peur de voir tout cela recommencer, la peur d’être ) nouveau prisonnière dans une boîte trop sombre et trop étroite dans laquelle l’écho de sa propre voix était sa seule réponse. La jeune femme souffrait d’un traumatisme si grand que tous les thérapeutes du monde ne pouvaient l’aider suffisamment. L’enquête avancerait et, avec elle, les réponses viendraient. Elle l’espérait.

C’était rare, pour elle, d’évoquer tout ceci à haute voix. John le devinait, Damian l’avait capté dans des nuits agitées, Rachel avait essayé d’en discuter avec elle et Peter, lui, demeurait silencieux, attendant qu’elle fasse le premier pas, se sentant le moins légitime pour aborder ces choses. Julian, lui… Comment pouvait-elle lui mentir ? Comment pouvait-elle lui cacher ? Il l’avait vue dans des états si vulnérables que celui-ci ne changeait que peu, finalement, de ce qu’il pouvait connaître. J’ai peur, Julian. Si peur. Pouvait-il vraiment, comme il le disait, être là pour elle si elle le souhaitait ? Pourrait-il la protéger de ces fantômes qui surgissaient dans sa tête ?

Il s’était détourné alors qu’elle confessait ce qui agitait son âme. Levant une main vers son visage, elle ne comprit pas immédiatement ce qu’il faisait. Je suis désolé. Quelque chose, en elle, s’était resserré. Était-ce son cœur ? Ces mots qu’il prononçait étaient douloureux, à l’image de la voix qu’il employait. Tellement désolé que tu aies à vivre ça. Elle le regardait avec cette intensité profonde, avec cette tristesse qui l’animait doucement. A son tour, il croisa les bras, cherchant à verrouiller… Quoi ? Ses émotions ? C’était son mécanisme de défense à elle, peut-être employait-il finalement le même… Elle resta là, immobile, incapable de trouver les mots justes à lui offrir pour alléger cette peine qu’elle lisait en lui, qu’elle percevait dans sa voix.

Une à une, il énuméra toutes ces choses dont il se rendait coupable. Désolé pour tout ce que tu as traversé par ma faute. Là, il lui révélait sa culpabilité. Elle prenait conscience de sa souffrance, de ce sentiment qu’il avait dû tenter de dissimuler malgré lui. Ce n’était pas de sa faute. De cela, elle était assurée et elle ne lui en voulait pas. Il ne pouvait savoir comme il avait été d’un secours immense, pour elle. Le dire aiderait-il ? Je ne te demande pas de me pardonner mais laisse moi juste rester là, à tes côtés. Y avait-il un endroit meilleur pour lui ? Laura, si égoïste pouvait-elle être, ne désirait rien d’autre que cela. Elle voulait garder sa présence pour elle seule, comme l’instant qu’ils vivaient finalement à présent. Je te protégerai. S’il te plait. Alors, elle capta son regard humide, à demi dissimulé par les mèches de ses cheveux, par cette volonté de ne pas lui montrer sa vulnérabilité. Et alors, le monde sembla s’arrêter de tourner et la gravité s’envoler car il n’y avait nulle autre attraction que lui en cet instant.

De quelques pas timides, elle vint réduire la distance entre eux. Puis, aussi simplement que cela, sa main se rapprocha de l’un de ses avant-bras, ses doigts venant glisser sur lui pour mieux l’envelopper. Soupirant longuement, elle regarda un moment cette main si simplement venue étreindre son bras, comme pour se reconnecter. Comme pour mieux revenir à la réalité. « Julian… » Elle chercha son regard, admirant les stries laissées par les larmes, brillantes grâce à la lueur lunaire de cette soirée. L’avait-elle déjà vu pleurer ? Elle n’en avait pas le souvenir. Elle aurait aimé porter son autre main à cette joue pour venir essuyer ces gouttes d’eau salée qui signaient sa culpabilité, mais elle craignait le voir s’évaporer. « Je n’ai jamais pensé que tu étais coupable, Julian. Tu n’as pas à me demander de te pardonner. » Peut-être cela l’aiderait-il. Peut-être pourrait-il avancer maintenant qu’elle lui avait offert son opinion sur le sujet. Ses doigts se resserrèrent un peu plus sur son bras, comme si elle espérait lui transmettre sa chaleur. Comme si leur peine pouvait s’accorder pour se soulager. « Reste. » Parce qu’elle le voulait. Parce qu’il n’y avait d’autre chemin pour eux que de poursuivre leur route ensemble. Peut-être saurait-il panser leurs plaies pour mieux se séparer, à l’avenir ? Elle ne l’espérait pas un seul instant. Dans ses grands yeux noirs, il y avait toutes ces choses qu’elle ne pouvait lui dire ou lui faire mais qu’elle désirait tant. « Après la volière… Reste. » Pour toujours.