Julian enroula sa serviette de bain autour de ses hanches. Il était en retard sur l'heure donnée à Laura.
Accusant le coup de sa mise à pied, il n'avait pas participé aux festivités de la première mission et avait préféré se concentrer sur l'entraînement, encore.
À ses yeux, la sanction était méritée. Il avait frappé un collègue et même s'il estimait que ce coup de poing était lui aussi mérité, il assumait.
De la même manière, il savait que John avait un peu chargé ses propos parce que Julian ne respectait pas sa promesse. Celle de demeurer loin de Laura.
Il essayait, vraiment, mais le bateau, aussi grand fut-il ne suffisait pas à les tenir éloignés l'un de l'autre.
Laura avait le chic pour apparaître aux moments les plus inattendus dans son champ de vision. Que pouvait-il faire contre cela ? L'ignorer ? Dévier le regard quand il sentait ses yeux sombres se poser sur lui ?
Julian en était bien incapable, Laura faisait encore partie de sa vie.
Pas dans la même mesure qu'autrefois, il savait bien que ce temps-là était révolu et il n'osait pas espérer quoi que ce soit en ce sens, le préjudice dont il était responsable était bien trop grand.
Cependant, Laura avait été la femme la plus importante de sa vie et il s'était laissé dépérir pendant toute son absence, alors il ne pouvait tout simplement pas faire comme si elle ne représentait rien.

Il s'était séché et avait enfilé boxer, short noir et t-shirt gris. Une tenue parfaitement adaptée pour la soirée, comme il en vivait chaque jour sur ce navire. Aurait-il dû faire un effort pour se rendre dans son bureau ? Non, ça aurait pu paraître bizarre qu'il change ses habitudes, on aurait pu lui poser des questions et il n'en avait pas envie. Certains trouveraient déjà son absence au réfectoire étrange.
Il se regarda une dernière fois dans le miroir et passa une main dans ses cheveux mouillés, peu convaincu par lui-même.
Chaussettes et sneakers aux pieds, il avait rassemblé ses affaires et avait regagné le dortoir pour y déposer son nécessaire de toilette et ses vêtements sales qu'il déposa dans le compartiment prévu à cet effet.
Un rapide coup d'œil à sa montre lui confirma qu'il avait bel et bien quinze minutes de retard.

Tandis qu'il se dirigeait l'air de rien vers le bureau, il croisa encore des personnes qui quittaient leurs postes ou bien, se retrouvaient pour aller manger. Une certaine tension le gagna, un peu comme une appréhension. Il craignait ce que Laura lui dirait. Cette vision de Miller la ceinturant alors qu'on lui enfonçait cette aiguille le hantait encore.
Il voulait des réponses mais il craignait aussi de se retrouver seul avec elle. Les fois précédentes ne s'étaient pas bien passées.
Saurait-il garder son tempérament emporté ? Depuis qu'il ne prenait plus les antidépresseurs, ses émotions n'étaient plus stables et son impulsivité lui jouait des tours.
Et s'il hurlait ? Et s'ils se disputaient ? Et si..si elle lui disait encore une fois de dégager ou qu'elle le repoussait encore ?

S'avisant que personne ne traînait dans le couloir, il frappa à la porte du bureau et remarqua que ses mains étaient légèrement moites. Dans l'attente d'une réponse, il les essuya sur son short dans un geste nonchalant sans cesser ses regards à droite et à gauche pour s'assurer qu'on ne le verrait pas.

« Bordel, John, dites-moi que vous avez viré ce tas de débiles… » Le principal concerné s’apprêtait à répondre quand Laura lui coupa la parole. « Sous quel prétexte, Damian ? Avoir voulu m’intégrer avec un bizutage qui, certes, a été particulièrement mal choisi ? » « Laura, on est pas au collège. Tu as une entreprise et je me fous de ton intégration parmi les employés. John, dégagez-moi ce tas d’incapable dès ce soir par hélicoptère. » Laura soupira alors que le responsable de la sécurité et son bras droit à bord prenait le relais. Evidemment, Damian avait été informé rapidement de l’incident, tout comme l’avaient été Peter et Rachel. Damian était, après tout, la personne à contacter en cas d’incident et Miller avait jugé celui-ci suffisant pour être relevé, d’autant plus que cela venait mettre en péril autre chose, pourtant programmé depuis de longues semaines.

Se massant les tempes, Laura fut spectatrice de la suite de cette visioconférence plus que véritablement actrice, écoutant les deux autres protagonistes échanger. Au moins, Miller ne semblait pas enclin à changer sa politique sous la simple demande poussée de Damian. Et pour autant, il n’était pas question de décaler son retour sur le continent, le docteur Lane l’ayant déclarée capable de ce voyage et de sa mission si particulière, en dépit des événements récents. Elle avait même affirmé que cela avait pu réveiller des souvenirs plus enfouis dans la mémoire de la jeune PDG. La communication fut coupée et Laura poussa un long soupir. John Miller n’ajouta rien, posant simplement une main délicate sur son épaule avant de quitter son bureau.

Avant que cette communication ne commence, elle avait pris la peine de l’interroger sur Julian, sur ces trois jours de mise à pied qu’elle jugeait injustes autant qu’inadaptés. Miller avait appuyé sur le fait que le principal concerné n’avait pas cherché à négocier quoi que ce soit et s’était plié à cette demande, tout simplement, qui servirait d’exemple. Un geste aussi violent ne pouvait rester impuni, quand bien même il avait été réalisé sous l’impulsion d’une émotion… Qui n’avait pas non plus sa place à bord. Miller l’avait poussée à se remémorer l’Australie, la manière dont les choses s’étaient passées entre eux et comme elle ne devait pas laisser ses sentiments se mêler à tout cela. Il alla jusqu’à évoquer la nécessité pour elle de mieux éviter l’agent de sécurité, ce qu’elle jugea rapidement stupide en soulignant qu’il serait impossible de faire cela sur un bateau, circuit fermé qui forçait les usagers à se croiser et se recroiser. Ils n’étaient pas des enfants. Ils pouvaient se côtoyer… D’ailleurs, ils étaient supposés le faire plus tôt que prévu mais cela, elle se garda bien de le souligner.

Laura avait attendu autant que craint cet instant. Elle ne savait pas ce qu’il lui demanderait tout comme elle ignorait si elle serait capable de lui répondre car c’était bien ce qu’il désirait, des réponses. L’heure était venue et Julian n’était toujours pas là. Que faisait-il ? Viendrait-il ? Elle s’était machinalement emparée de son téléphone, prête à lui adresser un message mais ne sachant trop que dire. Avait-il changé d’avis ? Aucun message n’allait en ce sens. Soupirant à nouveau, elle finit par se lever de son fauteuil, s’asseyant à même le sol devant la large baie vitrée de son bureau. Elle portait une tenue confortable, un pantalon ample que l’on pouvait utiliser en Yoga et un T-shirt de la même matière, sombres tous deux, nuances de gris anthracite quasi similaire. Observant les vagues qui se trouvaient à l’extérieur, elle chercha à apaiser son esprit à l’aide de ces dernières. La veille avait été éprouvante et elle avait nécessité de se replonger un peu au plus profond d’elle-même pour assurer sa tranquillité.

Elle en oublia presque la venue providentielle de Julian, ayant mentalement acté son souhait d’annuler aussi, quand on frappa à la porte, elle sursauta légèrement, surprise. Laura ouvrit la bouche, prête à se montrer familière puisqu’elle attendait quelqu’un en particulier, avant de se souvenir que n’importe qui pouvait se trouver derrière cette porte. « Entrez. » Se tournant vers l’entrée, elle attendit que l’ouverture du battant ne révèle celui ou celle qui s’aventurait jusqu’ici et elle ne fut qu’à demi surprise de poser son regard sur le visage de Julian. Soupirant doucement, cherchant à garder le contrôle, elle se releva, ses pieds nus retrouvant contact avec le sol pour mieux lui permettre de trouver l’équilibre. « Je ne savais plus si… Tu viendrais. » Doucement, avec une hésitation certaine, elle releva le regard vers lui. Tout ceci risquait bien d’être le moment le plus complexe de sa vie…

Le temps lui sembla très long tandis qu'il attendait que Laura lui somme d'entrer. Ce n'était certainement lié qu'à la crainte d'être vu pénétrer le bureau de la PDG à cette heure ci. Personne n'avait rendez-vous après 18h n'est-ce pas ? Julian ne se rendait pas compte qu'il appréhendait véritablement cette rencontre. Laura et lui n'avaient pas été seuls depuis Melbourne et ça ne s'était pas bien passé. Aujourd'hui, c'était comme si son corps ne se souvenait que de ça : De l'incompréhension, des non dits et des silences, juste parcequ'on ne savait pas quoi dire après quatre années de deuil et une résurrection.

Le mot, unique, lui parvint alors en provenance de l'intérieur de la pièce. Solennel et injonctif, comme Laura savait l'être.
Après un dernier regard dans le couloir, il entra et découvrit l'Indienne, assise par terre.
Surpris par cette posture, il ne referma pas la porte immédiatement, comme stoppé dans son mouvement. Il avisa ses pieds nus et sa tenue confortable, remontant lentement jusqu'à son visage tandis qu'elle se relevait.
Merde, est-ce qu'il donnait l'impression de la reluquer ?
Il était entrain de déglutir, elle lui avouait ne plus savoir s'il viendrait.
Alors il haussa les sourcils, à nouveau surpris par cette déclaration puis referma la porte derrière lui.

- Je t'avais dis que je passerais non ? Le retard n'était pas prévu.

Et puis, il n'avait aucune raison de ne pas venir et encore moins de ne pas la prévenir si cela avat été le cas. Pourquoi semblait-elle si gênée ? Peut-être bien pour la même raison que lui ? Se retrouver tous les deux dans un espace clos pouvait prêter à confusion. Ils l'avaient si souvent été autrefois, les rencontrent secrètes n'avait plus aucun détail inconnu pour eux. Echapper à la vigilance des employés et de John avait pimenté leur relation, provoqué des challenges et des rires, sans compter que tout avait commencé dans le bureau de Laura. Un moment d'égarement, qui les avait conduit à tout ça.

Chassant ses souvenirs, il se râcla la gorge et croisa les bras sur son torse pour se donner une contenance et aussi parcequ'il ne savait pas quoi faire de ses mains à ce moment précis. Il se sentait misérable face à elle. Qui était-il à présent pour réclamer des réponses ? Qui était-il pour mériter des explications ?

- Sympa ton nouveau bureau, lança-t-il pour rompre le silence en balayant la pièce du regard.
Pourquoi venait-il de dire un truc aussi banal ? Il se racla la gorge à nouveau et reprit :
- Tu sembles aller mieux.


En même temps, elle était éveillée ce qui était forcément mieux que sédatée. Nul besoin de préciser que la voir debout le soulageait grandement. Son regard passa du sol à cette tenue dans laquelle il n'était pas habitué à la voir, puis remonta jusqu'à ses yeux.
Il n'osait toujours pas bouger, se contentant de rester droit comme la justice elle-même mais ne sachant pas non plus comment aborder le sujet. Tout aurait été bien plus simple si Laura lui expliquait tout sans qu'il n'ait besoin de demander quoique ce soit...

Il sembla hésiter, alors qu’il la découvrait là, assise à même le sol, dans une posture qui aspirait à la détente et au calme. Et elle eut l’impression de se sentir prise sur le fait de quelque chose d’inavouable alors qu’il la dévisageait un instant ainsi, la main sur le battant qui pouvait garantir une voie d’accès vers l’extérieur, qui n’était pas souvent fermé, à moins d’entretiens plus solennel auxquels elle trouvait prétexte pour ne pas les mener. Le couloir tout entier renfermait plusieurs bureaux et autres pièces réservées à des parties plus administratives de cette entreprise si particulière qui n’avait pour siège social aucun réel lieu sur le continent.

Laura s’était relevée, se sentant soudain bien bête d’être ainsi posée à même le sol quand on aurait aisément pu lui faire remarquer que son fauteuil semblait des plus confortables. Le regard de Julian, lui, se détourna momentanément d’elle, ne se raccrochant que parce qu’elle entama la discussion par des mots plats sans véritable sens. Et, avant qu’elle ne puisse interrompre son geste d’une phrase quelconque, il acheva de pousser le battant, fermant la porte définitivement dans un claquement léger qui laissa Laura un instant sur la défensive. Je t’avais dit que je passerais, non ? Le retard n’était pas prévu. Elle hocha la tête, cillant un instant, essayant de faire fi de ce paramètre qui venait doucement engloutir son esprit. Intérieurement, elle devait se convaincre qu’elle était bel et bien en sécurité, qu’elle n’était plus dans cet Enfer dont on l’avait arrachée.

Elle resta là un instant, le regardant tandis qu’il semblait au moins aussi mal à l’aise qu’elle, ne sachant comment interagir et rompre ce silence. Elle songea un instant à la manière la plus appropriée de le saluer, ne sachant quoi choisir entre une légère étreinte ou une poignée de main protocolaire. De toutes façons, il coupa court à toute tentative en croisant ses bras sur sa poitrine, se raclant la gorge légèrement. Merde, ça promettait d’être long, cette entrevue… Soupirant doucement, tentant de garder le contrôle sur son cœur battant, elle releva le regard quand il souligna trouver le bureau « sympa ». « Ah… Euh… Oui, on a fait comme on a pu dans les conditions du moment… » Evidemment, le « comme on a pu » impliquait la présence nécessaire de cette gigantesque baie vitrée qui permettait à Laura de ne jamais ressentir l’oppression qu’était cette boîte gigantesque qu’était le Renaissance. Une liberté conditionnée derrière un verre épais…

Tu sembles aller mieux. A nouveau, le regard sombre de Laura se dirigea vers lui, quittant la vue grandiose de la mer sans fin, happée par le brouillard. Elle pinça légèrement les lèvres, ne sachant que trop bien ce qu’il voulait dire. N’avait-il pas toujours communiqué ainsi ? Quand il lui demandait si elle avait mangé ? Les phrases n’étaient pas directes mais elle avait toujours su voir venir le sujet épineux qui se trouvait derrière. « On m’a… Donné ce qu’il faut. » Dopée aux compléments en tout genre pour l’aider à effacer le contre coup violent de l’adrénaline sillonnant ses veines. « On devrait s’asseoir… » Même si ça risquait bien de rendre tout cela plus officiel, ils pourraient peut être plus facilement laisser aller leurs corps plutôt que dans cette position debout qui poussait à la tension. Elle se dirigea de son côté du bureau, cassant le code de la PDG soignée en se recroquevillant presque dans le fauteuil qui était le sien, qui semblait bien trop grand pour elle. « Tu veux… Boire quelque chose ? » Oh merde, mais c’était pathétique tellement c’en était affligeant de banalité…

Pour un bureau aménagé selon les conditions du moment, il était vraiment pas mal. La large baie vitrée qui donnait sur cette mer à l'horizon presque sans fin était tout juste incroyable. Julian se doutait que depuis ce belvédère d'acier, elle pouvait voir Isla Nublar lorsque le temps le permettait. Une manière certaine de garder son objectif bien en vue.
Il fut tenté de se rapprocher pour vérifier ses pensées et admirer un peu la vue mais préféra ne pas bouger sans qu'elle ne l'y autorise. En réalité il craignait une quelconque proximitié, Laura avait su dresser une barrière entre eux et il ne se savait plus légitime à la franchir. La façon dont elle lui avait ordonné de la lâcher à la salle d'entrainement et celle dont elle avait exigé de lui qu'il quitte le pont supérieur à l'arrivée de Peter Ronan étaient assez explicites.
Sans compter qu'elle avait préféré rester évasive sur ce qu'elle avait vécu durant quatre ans mais n'avait pas hésité à le raconter au monde entier par le biais d'Oprah.
Petit à petit, il acceptait d'être relégué à la place d'employé. Cependant, il ne pouvait s'empêcher de se préoccuper d'elle c'était plus fort que lui.
Peut-être se sentait-il redevable ? Peut-être souhaitait-il qu'elle le pardonne ? Il ignorait quelle était la réponse, un savant mélange des deux probablement, couplé à cet amour dont il ne parvenait pas à se débarasser.

Ses mots avaient été banals et maladroits, comme lui-même pouvait l'être dans ce genre de situation.
La réponse toutefois, lui fit froncer les sourcils à nouveau et crisper la machoire.
Qu'entendait-elle par "ce qu'il faut" ? Est-ce qu'on la droguait ?
La simple idée qu'on puisse lui injecter toutes ses substances et avec son accord en plus, le rendait fou.
Et si quelqu'un en profitait pour la manipuler ? Sa proposition de s'assoir coupa court à ses pensées, pour le moment et il hocha la tête avant de la laisser décider de l'emplacement.
Installée dans son immense fauteuil, elle semblait si frêle et vulnérable qu'il hésita un moment à prendre place en face, de l'autre côté du large bureau.
Merde ça ressemblait à un entretien officiel et naturellement il se redressa sur son siège, croisant les doigts en posant ses mains sur le plateau. Son regard balaya une nouvelle fois la pièce et se reporta sur elle tandis qu'elle lui demandait qu'il voulait boire quelque chose. La surprise étira ses lèvres en un sourire en coin.

- Sans déconner, t'as de quoi offrir des boissons ici ? s'amusa-t-il.

Son ancien bureau sur Isla Nublar était immense et jouissait de tout le confort du monde. Il n'aurait pas pensé une seule seconde qu'elle puisse avoir une version réduite de tout ça sur le navire.
Il se râcla la gorge comme s'il venait de se rendre compte de sa grossièreté.
Pourquoi se sentait-il si mal à l'aise ?

- Donne moi la même chose qu'à toi, ça sera très bien, reprit-il d'un ton un peu bourru en déviant son regard, comme s'il n'osait plus la regarder.

Et peut-être que la solution se trouvait là finallement, ne plus avoir à croiser son regard brun qui l'embrasait autant qu'il le faisait se sentir coupable. Ses yeux vert se posèrent sur la baie vitrée dans l'attente d'être servi en boisson et en explications.