Elle avait été fort inspirée de confier à John Miller un poste avec autant de responsabilités. Sa confiance pour l’homme était toute acquise, lui qui avait su gagner sa confiance, quatre années plus tôt, et qui s’était senti suffisamment responsable de sa disparition pour rempiler, malgré ses lourdes blessures, dans une équipe chargée de sa recherche. John avait ce côté paternaliste qui lui manquait, autrefois, et qu’elle n’avait rencontré auparavant que chez Richard Wiesner. Ce dernier, malheureusement, semblait désormais enclin uniquement à la déposséder de ses biens, sans que Laura ne puisse réellement s’en expliquer la raison.

Seulement, si l’homme avait su acquérir sa confiance, elle aurait pu anticiper que, tel Julian à l’époque, il finirait par lui souligner l’importance des charges qui étaient les siennes et comme il ne pouvait les accomplir seul. Aussi, quand bien même il avait une affection toute particulière pour Laura, il lui avait signalé qu’il ne pourrait plus être en charge de ses entraînements, une chose bien dommageable pour la jeune femme qui n’avait su s’empêcher de grimacer devant cet abandon notable. Seulement, John avait tout préparé. Laura l’ignorait jusqu’alors, mais un autre agent Miller était à bord : la cousine du responsable de sécurité. Ne souhaitant aucun traitement de faveur, elle avait intégré l’équipe alpha sans plus de cérémonie et l’un comme l’autre préférait ne rien dire sur le lien familial qui les unissait. Laura n’avait pas cherché à creuser quel type de relation pouvait pousser les deux à se rejoindre dans pareil endroit et avait fait part de sa déception, inévitable. Pour autant, elle comprenait et préférait que les choses soient cloisonnées pour mieux permettre à tous de travailler correctement.

Vous la reconnaîtrez… Peut-être. C’était le seul indice qu’il avait laissé à la jeune Masrani qui s’était donc rendue à la salle d’entraînement ce matin-là. Il était 7h30, heure à laquelle bon nombre des habitués de la fonte pouvaient avoir leurs marques aussi, la salle n’était pas déserte et il faudrait probablement composer avec la présence de tous. Vêtue d’une brassière et d’un legging aux couleurs kaki, Laura avait attaché ses cheveux en une queue de cheval assez haute. Saluant d’un mouvement de tête quelques visages connus, elle accueillit les politesses avec un sourire. Au moins, personne ne lui crachait sa rancœur en plein visage. Pour le moment.

Relaçant ses baskets, elle prit place sur un banc, non loin des tapis de courses, vélos elliptiques et vélos tout court. Habituée à commencer les entraînements par du cardio, c’était avec une habitude toute trouvée qu’elle releva le regard, profitant de la vue qui se trouvait face aux engins, une baie vitrée immense permettant de mieux redécouvrir les flots. Parfois, quand la météo se montrait clémente, Isla Nublar se dessinait au loin, ce qui n’était pas le cas en cet instant précis. Tout n’était qu’ait chargé d’humidité, créant un brouillard certain autour du Renaissance. Laura soupira doucement, attendant alors la venue de cette autre Miller. La phrase laissée par son mentor la laissait un peu sur sa fin. Comment pourrait-elle reconnaître une cousine dont elle ignorait tout bonnement l’existence ? Peut-être aurait-elle dû se renseigner en épluchant le dossier de la jeune femme ? Mais Laura s’était juré ne plus avoir recourt à de telles méthodes, à moins d’en avoir une véritable raison. Et puis, à chercher à comprendre les gens qui l’entouraient via des morceaux de papier, elle avait la fâcheuse tendance à plonger dans la paranoïa de trouver ceux qui pourraient être là pour de mauvaises raisons. Et ça ne ferait que complexifier sa guérison de l’esprit…

Un nouveau soupir s’échappa de ses narines, ses doigts jouant machinalement avec sa gourde. Les yeux rivés sur cette baie vitrée, comme s’échappant une nouvelle fois de sa propre réalité, elle demeurait pourtant bien connectée à son environnement, les bruits de pas, de frappe ou du métal provenant des machines de musculation se faisant entendre. Et finalement, une voix, plus proche, plus distincte, se fit entendre. Bonjour. Je crois qu’on a rendez-vous. Elle cilla, quittant la contemplation d’un paysage brumeux, se réhabituant à la luminosité moindre des lieux, pour finalement poser ses prunelles sombres sur la jeune femme brune qui se tenait là. L’autre Miller n’avait, vraisemblablement, que bien peu de choses en commun avec l’homme qu’elle connaissait. Les génomes étaient trop différents pour qu’elle puisse lui trouver des traits communs et pourtant, Laura se surprit à en chercher. « Agent… Miller, j’imagine ? » Ca, c’était peut-être le plus étrange car, dans son esprit, il n’y avait qu’un agent Miller et celui-ci était un homme qui avait su gagner son amitié au fil du temps. Là, c’était une inconnue. Vous la reconnaîtrez… Peut-être. Mais qu’avait-il voulu die par-là ? Rien dans ces traits ne lui semblait familier… Machinalement, elle plissa le regard, dévisageant un peu plus la jeune femme qui se trouvait face à elle.

S’humectant les lèvres, elle finit par poursuivre. « Ca vous dérangerait si… On passait directement aux prénoms ? A vous appeler Miller, je vois forcément… L’autre Miller. » Elle ne voulait pas être celle qui ébruiterait leur lien familial au milieu des autres employés aussi, elle essayait d’user de mots plus vagues, ne sachant pas si c’était réellement approprié. Se levant sur ses pieds, elle ne cessait plus de jouer avec cette gourde en plastique, haussant doucement les sourcils. « Je dois vous prévenir, il a fait de vous tout un mystère… Je risque fort de jouer aux devinettes pour mieux comprendre ce qu’il a voulu dire… J’imagine qu’il aura su vous transmettre ce qui a déjà été fait et ce qu’il avait prévu ? » Est-ce qu’il l’avait autorisée à voir son dossier médical ? Non… Tout de même pas. Quoique, certaines informations nécessitaient d’être pertinentes, que ce soit le reverse diet qu’elle entreprenait depuis quelques mois, dans l’espoir de se réalimenter correctement. Alimentation et dépense énergétique allaient bien de pair, non ? Et puis, il valait mieux qu’elle soit également au parfum concernant ses troubles du sommeil… ? Finalement, son dossier médical ne devait pas être un grand mystère pour elle…

Alors, appelez-moi Ava. Bien ! Voilà qui simplifiait énormément les choses. En guise de réponse et pour certifier qu’elle avait bien pris l’information, l’Indienne avait souri, hochant doucement la tête afin de marquer son approbation. John Miller ne serait jamais véritablement John à ses yeux, n’en déplaise à Damian qui avait su se familiariser avec l’homme durant toutes ces années où elle n’avait pas été là. Laura se surprenait, parfois, à les visualiser en train de partager un verre, se remémorant son bon souvenir. Rien de cela n’avait grand sens et pourtant, c’était probablement bien plus proche de la réalité qu’elle n’aimerait le penser. « Je pense que vous le savez mais… Laura. » Elle voulait faire les choses bien, y compris ne pas prendre pour acquis ce que son personnel pouvait connaître de sa personne. Après tout, le passé lui avait déjà suffisamment prouvé que les préjugés avaient la vie dure.

La jeune femme préférait se montrer honnête, n’appréciant que peu les secrets, de son point de vue aussi, elle énonça assez rapidement la manière dont le Responsable de la Sécurité avait su éveiller sa curiosité à l’égard de cette jeune femme qu’elle savait être sa cousine. Ce ne pouvait être ça, le grand secret, n’est-ce pas ? La brune face à elle sembla intriguée par ses dires et, pourtant, elle ne soulagea pas les interrogations de Laura ni ne refusa de se prêter à cet étrange jeu que Miller avait placé entre elles. Et bien jouons aux devinettes. Elle en fut doucement amusée, un soupir s’échappant de ses narines alors qu’elle souriait à nouveau, suivant la jeune femme quand elle s’approcha de l’armoire en métal. Enfilez-ça. Un coup, une question. Un instant, Laura resta interdite face aux gants qu’elle venait de récupérer entre ses doigts. Forcément, le parallèle était trop fort pour qu’elle ne puisse s’opposer à ses pensées. Les traits de Julian se dessinèrent dans son esprit autant que sa mine désabusée quand elle lui avait indiqué être son fardeau… Non. Son boulet. Lui aussi lui avait passé des gants de boxe et l’avait invité à une frappe qui s’était avérée être aussi ridicule que douloureuse. Aujourd’hui, les choses étaient différentes. Serrant momentanément les poings, elle glissa ses doigts dans les gants, relevant ses yeux sombres vers l’autre jeune femme.

Je ne sais que ce que je dois savoir. Bien. Il lui faudrait recouper les informations avec le supérieur hiérarchique de la brune pour s’assurer de ce que cela impliquait mais cela était plus que satisfaisant pour le moment. « Bon.. Première question, alors : Pourquoi êtes-vous venue ici ? » Ca aurait pu être tout et n’importe quoi, à dire vrai, mais Laura avait à cœur d’essayer de comprendre cette autre jeune femme et ses raisons. Peut-être étaient-elles propres à elle-même ? Ou bien était-ce en lien avec son cousin ? Miller n’aurait probablement que peu encouragé les membres de sa famille à se joindre à la fête. Il connaissait les risques alors, pourquoi accepter que quelqu’un qu’il estimait et appréciait puisse les courir ?

La motivation de ses troupes était quelque chose de primordial dans une mission aussi périlleuse que celle qui attendait les employés de Jurassic World. Pourquoi souhaitez-vous rejoindre notre entreprise ? Avez-vous conscience de ce qui vous attend ? Si elle n’avait pas, personnellement, fait passer les entretien – n’étant pas cognitivement disposée à cela – elle avait participé à l’élaboration de ceux-ci, cherchant avec les Ressources Humaines le moyen le plus honnête de faire savoir les choses. L’évaluation psychologique réalisée avec chacun des membres de l’équipage et des employés était tout autant nécessaire et complémentaire et c’est bien parce que tous ces dispositifs étaient mis en place que l’entonnoir était très serré entre le nombre de candidatures reçues et le nombre réel d’employés. Après tout, c’était bien plus de trois-cents personnes qui se réveillaient nuit et jour à bord du Renaissance. Et chacun d’entre eux avait ses raisons d’être présent.

Une envie de changement. Un peu comme tout le monde ici, non ? Laura avait haussé les sourcils, doucement surprise. Si on voulait du changement, on changeait de ville, de pays ou bien de métier. Mettre sa vie en danger en invoquant simplement le changement, voilà qui lui semblait bien léger. Mais si Miller avait autorisé la présence de sa cousine à bord, finalement, c’était peut-être pour plus que cela, bien qu’elle n’en saurait pas plus. Hochant la tête, concédant ce point, elle finit par secouer ses bras, ses mains gantées pour la pratique des sports de combat devenant nécessairement plus lourdes. Puis, machinalement, elle tenta de retrouver sa garde avant d’envoyer les premiers coups sur le bouclier de l’agent de sécurité. L’explosivité de ses gestes lui avait manqué et elle enchaîna les quelques combinaisons d’échauffement qu’elle connaissait par cœur. Ne baissez pas votre main au niveau de votre visage, il faut toujours le protéger. Machinalement, elle hocha à nouveau la tête, réajustant la position. Miller ne l’avait pas emmenée sur ce terrain encore et pourtant, force était de constater qu’elle avait quelques restes de sa vie précédente… D’ailleurs, l’autre brune ne tarda pas à s’en rendre compte, fronçant les sourcils. Vous avez déjà fait de la boxe ? Mettant fin à ses gestes, Laura passa sa langue sur ses lèvres en soupirant. « Il y a… Quatre ans, oui. » Avant l’enfer, avant le calvaire. Quand Julian riait aux éclats à la voir se blesser dès la première frappe. Une ombre passa sur ses traits, le souvenir de tout ceci se faisant plus douloureux qu’elle ne l’aurait cru possible. Baissant ses yeux sombres, elle laissa sa poitrine se souleva lourdement, comme alourdie par le poids de ce passé. « Visiblement, c’est comme le vélo, ça s’oublie pas, hein ? » Plusieurs fois, dans le tumulte, elle s’était laissée croire que ses gestes auraient pu la sauver si seulement elle avait eu l’occasion de les réaliser. Finalement, elle n’avait que bien peu été mise en contact direct avec ses geôliers donc n’avait pas même pu laisser parler ses poings, une frustration qu’elle comptait bien laisser aller avec ce retour aux sources. « Votre cousin ne vous a pas dit que j’ai déjà eu l’occasion de lui envoyer une droite ou deux ? » Parce que John avait fini par être son entraîneur, quand Julian était devenu responsable. C’était amusant, finalement, de constater comment les rôles avaient pu s’inverser dans bien des situations…

A vous voir, on dirait bien que oui, ça ne s’oublie pas ! Un sourire plus confiant avait su gagner les lèvres de Laura qui, naturellement, replaça sa garde, comme pour mieux montrer qu’elle était prête à en découdre, se prêtant au jeu avec plaisir. Ces coups, c’était un peu ceux qu’elle n’avait pas pu mettre, tapie dans sa cellule sombre, perdue entre temps et espace, son corps ne parvenant plus à comprendre le fonctionnement même de ce monde. La jeune PDG prenait sa revanche sur la vie et les Miller étaient les premiers à pouvoir constater qu’elle était désormais prête à s’armer pour mieux l’affronter, reprenant du poil de la bête chaque jour qui passait.

Finalement, une pause fut instaurée et Laura la prit volontiers, hochant la tête pour mieux indiquer qu’elle acquiesçait. Elle avait appris à se ménager, elle qui avait dû réapprendre, même, à marcher et courir. Imitant son entraîneuse, elle ôta un gant pour mieux se réhydrater. Cela aussi était un luxe. On ne connaissait la faim et la soif que lorsqu’on y était confronté et si laura avait toujours reçu le strict minimum, elle ne se souvenait que trop bien de la sensation terrible de sa gorge sèche après avoir compris qu’ils ne lui laisseraient pas autant de ravitaillement qu’ils avaient pu le faire avant. Alors, elle avait appris à se rationner. Sa faim et sa soif s’étaient adaptées en conséquence et des conséquences, il y en eut sur son métabolisme global. Ses reins avaient été mis à mal et avaient inquiété longuement les médecins qui, aujourd’hui, étaient plus confiants. Les examens qui arriveraient bientôt confirmeraient tout ça, elle l’espérait.

Il n’est pas du genre à se vanter de tout ça… Et ça reste entre nous mais j’avais pour habitude de lui en mettre quelques-uns aussi. Laura ricana, imaginant volontiers la scène, une nouvelle gorgée d’eau finissant dans sa gorge. « Connaissant un peu mieux John… Je sais qu’il est aussi capable de les rendre. » Parce qu’il lui en avait fait baver, ces quelques semaines avant de revenir. Il voulait la rendre plus forte, assez pour encaisser ce rôle qu’elle voulait reprendre. Laura devait paraître intouchable, insubmersible, ce qui venait contrebalancer toutes les angoisses qui l’habitaient. Physiquement, elle se reconstruisait. Mentalement, elle peinait à le faire. Damian avait parfois mis un terme aux entraînements, s’engueulant ouvertement avec celui qui avait été son allié pendant des années de recherche mais, finalement, l’objectif restait le même et la décisionnaire restait Laura. Et Laura avait exigé qu’on la frappe plus fort.

Finalement, après de longues minutes, l’entraînement pouvait reprendre son cours. Le crochet ? Vous connaissez ? Acquiesçant, Laura attendit que la jeune femme puisse parer pour mieux lui en faire la démonstration. Ça tirait dans les épaules mais bon Dieu, que ça faisait du bien ! « Là encore, je crois que j’ai de bons restes… Mais C’est à moi de poser une question, non ? » Elle n’avait pas oublié la condition initiale à tout ceci. Tapotant ses gants les uns contre les autres, elle fronça les sourcils. « Votre cousin a l’air de sous-entendre qu’on ait pu se rencontrer… Ça remonte à quand ? »

Et en plus de ça, il est rancunier. Ah. Laura avait haussé les sourcils, surprise d’une telle révélation qui détonnait avec ce qu’elle pouvait connaître de John Miller. Si vraiment il était de ceux qui rendaient coup pour coup, elle devrait peut-être envisager de se faire du souci. Après tout, par sa faute, l’homme avait bien failli mourir avant de sacrifier plusieurs années de sa vie dans la recherche de la jeune Indienne… Sans compter les diverses crises qu’il avait dû gérer, d’une manière ou d’une autre, par sa faute. Elle grimaça légèrement, préférant mettre ça derrière elle plutôt que de se focaliser sur ses pensées.

Appliquée dans ses exercices, elle employa son énergie à frapper, encore et encore, de la manière qu’Ava lui indiquait, la guidant dans les coups à placer. Il y avait quelque chose de satisfaisant à agir, à sentir ses muscles se tendre et se relâcher de différentes manières. Laura ne cessa que lorsque l’autre brune lui fit signe de reprendre un peu son souffle, s’écartant d’elle d’un bon pas, Laura se redressant en secouant les bras. La personne qui vous a appris tout ça devait avoir un entraînement militaire… Vous avez certains de leurs réflexes. Le visage de Julian vint se glisser dans ses pensées, l’empêchant de réagir immédiatement mais ne s’imposant pas à elle suffisamment pour la perdre plus que de raison dans les méandres de son cerveau. « Mon père avait d’assez bons réflexes, c’est peut être inné. » Parler de Simon Masrani avait quelque chose de douloureux. Laura n’abordait que très peu son père, tant parce que bon nombre des gens présents lors de l’incident Indominus l’avaient poussé à ne plus glorifier un homme qu’ils détestaient profondément que parce qu’elle ne faisait que rouvrir une brèche mal fermée dans son cœur. Il en fallait, des réflexes, pour s’impliquer avec tant d’engagement dans les prises de responsabilités de son parc. Ça n’avait pourtant pas été suffisant. De Simon, Laura avait très certainement hérité, avant tout, de sa résilience et de son courage.

Finalement, posant la question à laquelle ses frappes pouvaient donner droit, elle tenta d’en savoir plus sur cette recrue qui semblait avoir un lien particulier avec elle bien qu’elle ne pût qu’ignorer de quelle manière. Effectivement, on s’est déjà rencontré… Laura ne fit que froncer les sourcils de plus belle, incapable de se souvenir de ce visage qui avait pourtant, vraisemblablement, déjà croisé sa route. Je pourrais vous le dire directement et couper court à tout ça, mais je ne le ferais pas. Voilà qui ne faisait qu’épaissir le mystère et Laura sentit un frisson glisser le long de sa colonne vertébrale, comme si quelque chose lui faisait comprendre que le souvenir recherché n’était pas si agréable qu’elle pouvait le croire, de prime abord. Et, contrairement aux énigmes qu’elle tentait de lui soumettre et à ce regard qui ne lui rappelait rien, c’était désormais la voix d’Ava qui lui semblait plus familière, bien qu’appartenant à quelque chose qui tentait de se faire oublier. Mais où donc s’étaient-elles croisées ? « Je n’ai jamais été très douée pour résoudre les énigmes. » Replaçant sa garde, réajustant sa posture de trois-quarts, elle hocha la tête quand Ava lui ordonna de frapper une nouvelle fois, s’appliquant à s’exécuter, cherchant à frapper avec davantage de force, comme si tout ceci méritait bien un exutoire qu’elle peinait à comprendre.

Vous tenez bien ça de quelque part. De la part animale. Celle qui nourrissait son instinct, celle qui l’avait poussée à rester en vie. Les réflexes venaient peut-être de tous ces traumatismes traversés, du besoin quasi inné et désespéré de se protéger, d’être capable de lutter plus qu’elle n’avait pu le faire par le passé. A sa sortie de l’enfer, on lui avait décelé des troubles cognitifs liés à un métabolisme ralenti et à un manque de stimulation. La batterie de rééducations qu’elle avait menée pour récupérer le contrôle de son corps et de son esprit avait été infinie à ses yeux et demeurait, encore aujourd’hui, une partie de son quotidien. A l’abri des regard, Laura exerçait ses capacités de concentration, de résilience. Qu’on la félicite aujourd’hui pour des réflexes quasi militaires n’était pas à mettre sur le dos de quiconque : simplement sur sa réussite personnelle à s’être extirpée d’un trou profond et sans lumière et de la volonté de fer qui l’accompagnait.

Frappant avec attention, elle chercha à poser une nouvelle question, se prenant pour réponse une devinette agaçante qui ne l’avait pas satisfaite. Alors, elle frappa, encore et encore, enchaînant les coups comme on avait su les lui apprendre dans un passé plus ou moins proche. N’oubliez pas, toujours un poing devant le visage pour vous protéger. Tenir sa garde. Être un mur infranchissable, rempart destructeur qui ne laisserait rien paraître. Finalement, un coup finit par lui être rendu, la surprenant doucement. Attention à votre défense. Elle hocha la tête, remontant ses poings devant son visage, tâchant de ne pas se faire reprendre à nouveau sur la chose, envoyant ses bras vers l’avant pour mieux les cogner contre les gants de protection de l’agent Miller. Et finalement, elle recula, ôtant ceux-ci, permettant à laura de se redresser, laissant tomber ses bras contre son corps en soufflant, cherchant son souffle dans l’exercice qui demandait des ressources en endurance. Un footing, ça vous dit ? Elle haussa les sourcils, surprise par une telle proposition. Prendre l’air ne nous fera pas de mal. Tirant sur les scratchs de ses gants à l’aide de ses dents, elle finit par hausser les épaules en se libérant les doigts. « Tant que vous ne tentez pas de me faire courir un marathon… Vous devez aussi savoir que je n’ai pas encore entièrement fini ma rééducation motrice ? » Ses muscles avaient fondu. L’inactivité avait fait de son corps une carcasse qui pêinait à soutenir ses propres os. Elle avait dû tout réapprendre : se lever, marcher, porter, tirer… Les petites choses du quotidien étaient des épreuves épuisantes et Laura avait passé autant de temps à se reposer, permettant à son corps de retrouver un peu de repos dans tous les efforts qu’on lui demandait. Sa fortune aidant, elle avait l’équipe la plus performante qui l’entourait et les moyens étaient déployés avec envergure pour l’aider. Cette clinique, en Alaska, avait demandé des sommes astronomiques et s’était vue pourvue d’un matériel haut de gamme, digne de celui usé dans la récupération sportive des athlètes de haut niveau. Une donation qui n’était, finalement, qu’un grain de sable dans les moyens financiers de Masrani Global et qui offrait à Richard le droit de dorer son blason, pour elle.

Jetant ses gants sur le banc, elle s’empara de la gourde pour mieux boire à nouveau, épongeant son front d’un revers de poignet avant de froncer les sourcils. « Je suis vraiment désolée mais, j’ai beau tenter de vous fixer, votre regard ne m’est pas vraiment familier… »

Je suis au courant, oui.. Je n’ai pas l’intention de vous faire courir au-delà de vos capacités actuelles. Le contraire aurait été du suicide, tout simplement. Laura ne se serait pas laissée embarquer dans quelque chose qui aurait pu lui sembler délirant, de toutes manières, ayant été plus que briefée par tous les professionnels qui l’avaient entourée. La fonte musculaire qu’elle avait subi durant tout ce temps commençait tout juste à être de l’histoire ancienne, elle ne désirait pas risquer une nouvelle immobilisation complète. Elle hocha la tête face aux mots de l’agent Miller avant de la suivre, s’éloignant de la salle d’entraînement momentanément, ses affaires avec elle. Alors qu’elle insistait sur la méconnaissance qu’elle avait des traits de l’autre jeune femme, cette dernière l’invita à la suivre d’un signe de tête et Laura comprit qu’elle n’aurait une réponse que lorsqu’elles seraient arrivées sur les pistes extérieures. Aussi frustrant que cela pouvait-il être, elle se contenta alors de garder le silence, grimpant les marches qui menaient au pont supérieur pour mieux sentir l’air marin venir caresser sa peau.

Venez. Que de mystères… Allait-elle lui annoncer qu’elle était en lien avec une famille monarchique et qu’elles s’étaient rencontrées dans une montagne de courbettes protocolaires ? Laura y songea un instant, avant de se souvenir qu’elle était la cousine de l’homme le moins distingué qui soit, bien que le charisme du responsable de sécurité et sa discrétion avaient su faire de lui un allié de choix. Laura suivit donc Ava jusqu’à la balustrade qui surplombait les pistes, liées à elles par un escalier qu’elles auraient probablement à descendre d’ici peu pour réaliser le footing annoncé. S’adossant à la barre de métal, elle interrogea l’autre Miller du regard, attendant que sa langue se délie enfin et mette fin à ce suspens qui lui semblait plus que théâtrale. Disons que mon visage ne doit pas vous rappeler un très bon moment. La jeune indienne fronça les sourcils. Vraiment ? Pourtant, elle ne se sentait pas mal depuis le début de cet entraînement et en aucun cas, les traits de la brune ne lui rappelaient un quelconque souvenir. Je faisais partie de l’équipe qui vous a sortie de cet enfer… Laura demeura stoïque, statufiée par ces quelques mots. Tout était flou, concernant ce jour-là. Les bribes de souvenirs s’étaient perdus dans la confusion de son esprit malmené, incapable semblait-il de différencier le réel de la fiction façonnée par son cerveau.

La jeune femme se tourna vers elle avant de poursuivre. C’est ma main que vous teniez et que vous ne vouliez plus lâcher dans l’ambulance… Quelle ambulance ? Pas celle de New-York, c’était certain, Damian avait été là dès qu’elle avait posé le pied sur le sol américain. Avant cela ? Quand on l’avait menée jusqu’à l’avion pour l’évacuer et la rapatrier ? Elle portait un bandeau sur les yeux qu’il fallait protéger de l’aveuglante lumière extérieure à laquelle elle n’était plus habituée. Machinalement, elle dévia son regard, le portant sur l’horizon que lui offraient les pistes en contrebas et l’océan, plus loin. « Je vois… » Son cœur battait plus fort alors qu’elle cherchait à surmonter le déni de ces images cauchemardesques. La seule qui lui revenait, pourtant, était celle de John, tendant une main vers la sienne avec douceur pour mieux l’ancrer dans une réalité qui avait tout l’air d’un rêve. Julian. C’était ce nom qu’elle avait soufflé une fois dans les bras de l’agent de sécurité, comme pour lui rappeler, déjà, sa volonté de le retrouver.

Hochant doucement la tête, elle prit une longue inspiration. « Enfin… Non, désolée, je ne vois pas vraiment… Je vous crois, évidemment, mais… Tout ça a été un chamboulement phénoménal et je dois admettre que beaucoup de choses n’existent plus dans mes souvenirs… Votre présence n’aura pas été quelque chose de mémorable… Enfin, c’est une bonne chose, dans le cas précis… » La gestion des souvenirs traumatiques pouvait déjà être pénible, inutile de les raviver quotidiennement par la présence de son entraîneuse…

L’ensemble de cette journée était flou. N’était-ce d’ailleurs qu’une journée ? Laura n’avait pas eu à replonger dans cet apocalypse depuis les longues interrogations posées par les médecins ou l’interview qu’elle avait su donner à Oprah, demeurant assez pudique sur la façon dont les choses avaient pu se passer, n’ayant pas conscience de tout elle-même. Elle se rappelait du silence, assourdissant, qui n’était entrecoupé que par son souffle douloureux émanent de sa gorge sèche. Puis, le vacarme assourdissant de ces portes qui se font dégonder, une part une, de ce passage forcé jusqu’à elle. La lumière, alors, était venue aveugler sa nuit sans fin quand tous les sons, les voix, les pas, les souffles, devenaient incroyablement irritants pour elle. Elle ne se souvenait que de Miller pour phare dans sa nuit, avait eu le sentiment qu’il ne l’avait jamais quitté, lui, à partir du moment où il l’avait prudemment enlevée dans ses bras. Aujourd’hui, elle découvrait que l’histoire n’était peut-être pas celle qu’on lui avait conté, de nouveaux personnages semblant faire son entrée. Entre sa cellule et l’avion, qu’avait-elle vécu ? Une ambulance ? Damian avait fait extrader la jeune femme dès que Miller avait posé ses mains sur elle, la mission de l’agent de sécurité étant alors de ramener Laura sur le sol Américain pour des raisons de sécurité. Avait-elle voyagé en ambulance ?

Ava la tira de ses pensées en soulignant qu’elle n’avait pas à s’excuser, une main venant se poser sur l’avant-bras de Laura qui réprima un frisson. Les contacts physiques non maîtrisés demeuraient quelque chose qui lui était encore étrange pour autant, elle ne la repoussa pas. John voulait que j’attende avant de vous en parler… « Il espérait certainement qu’une partie de moi recouvre la mémoire… » Une chose qui, en partie, pourrait se faire prochainement, peut-être, Laura étant attendue à la fin du mois d’août à un rendez-vous qu’elle n’aspirait finalement que peu mener. Elle soupira doucement, préférant, elle-aussi, que la jeune brune à ses côtés puisse avoir fait ce choix. il tient beaucoup à vous en tous cas… Et rien que pour ça, vous avez tout mon respect. Elle rit, bien malgré elle, hochant la tête à son tour, promenant ses doigts sur la rambarde métallique. « Et pourtant, je suis certaine qu’il a certainement envisagé de m’étrangler et m’enterrer sur Isla Nublar, à une époque… Je crois qu’on peut dire qu’il existait entre nous un mépris mutuel… » Il avait été assigné à sa sécurité personnelle, après l’attentat à l’encontre de Jurassic World mené par une bande de terroristes. Un chien de garde qui la veillait de bien trop près et qu’elle n’avait pas souhaité dans son sillage. Pour autant, à force de temps et d’aventures, l’homme avait fini par trouver une place dans le cœur de la milliardaire et, quand elle fut enlevée ce jour-là, le regard désolé qu’ils s’étaient échangé en disait long sur l’avancée de leur relation. Il était un mentor, si ce n’était plus, Laura ayant toujours eu grande peine à placer la bonne distance dans ses relations car n’ayant connu que bien peu de monde. « Moi aussi, je tiens à lui… Et je suis plus que reconnaissante de ce qu’il a fait pour moi. »

Je voulais que vous le sachiez, je ne voulais rien vous cacher. A vous de voir si vous voulez qu’on continue les entraînements ensemble ou pas. Laura releva les sourcils, reposant ses prunelles sombres sur la brune à ses côtés avec surprise. « Je ne vois pas ce que cela peut changer… Et si vous pensez à ce que le docteur Lane pourrait bien en dire, j’crois que j’ai envie de m’assoir sur son avis, pour une fois… » Elle leva les yeux au ciel, observant les nuages qui menaçaient au-dessus de sa tête. « Pour aujourd’hui… Ce sera sûrement suffisant. Mais demain est un autre jour et je n’ai aucun problème à ce que vous vous occupiez de ça. »

Pourquoi est-ce que je ne suis même pas étonnée… A dire vrai, n’importe qui connaissant John Miller et Laura Masrani aurait pu certifier sans peur de se tromper que tous deux aient pu avoir une véritable relation tendue de prime abord. Les deux individus n’avaient que bien peu de choses en commun et les prémisses de leurs interactions avaient été plus tendues qu’elles ne le seraient jamais. Après tout, la jeune femme n’avait pas volonté de se voir attribuer un chien de garde et Miller avait ce don d’exécuter les ordres donnés par ses supérieurs à la perfection, quand bien même la jeune femme pouvait le traiter comme un moins que rien. Et finalement, avec le temps, les maux s’étaient apaisés et Laura avait pu laisser tomber les barrières qui s’étaient levées machinalement entre eux. Mieux encore : le fait que son ancien garde du corps ait pu deviner la relation qu’elle entretenait avec Julian avait poussé Laura à l’accepter dans son entourage. Jamais elle n’aurait pu imaginer, à l’époque, l’étendue du chemin parcouru et le lien qu’ils auraient l’un envers l’autre encore.

Finalement, cette rencontre avec l’autre Miller n’avait pas été si terrible et Laura s’était attendue à toute autre chose quand l’homme l’avait avertie sur la possibilité qu’elles puissent s’être entrevues par le passé. De savoir qu’Ava ait été là ce jour si important dans la vie de l’Indienne ne changeait rien. Tout était diffus, flou pour la PDG et elle ne pouvait pas associer l’image de son entraîneuse attitrée à ce cauchemar qu’elle avait traversé. En revanche, l’autre jeune femme aurait des facilités à comprendre certaines choses et ce n’était peut-être pas un mal. Elle avait entrevu l’enfer de Laura et rares étaient ceux qui pouvait prétendre pouvoir le dire. Je continuerais de vous apprendre des petits trucs tant que vous en éprouverez le besoin. Laura eut un léger sourire, hochant la tête pour montrer que l’idée lui était plaisante. Puis, la brune lui tendit une main avant de lui proposer un nouveau rendez-vous, s’engageant dans une régularité. Laura lâcha un léger rire, serrant pourtant cette main. « J’espère simplement ne pas trop dérouiller au réveil… » Car tout ce qu’elle risquait, dans cette aventure, c’était bien un sacré nombre de courbatures. Saluant poliment Ava et la remerciant, elle finit par reprendre ses affaires et tourner les talons, s’en retournant à ses quartiers pour mieux appréhender la suite de la journée.