Julian se glissa jusqu’au bord du lit. Dans la pénombre de la pièce, il se retourna lentement et observa un instant Marika qui dormait. Il n’avait pas insisté la veille pour qu’elle rentre chez elle. Depuis que la nouvelle de la résurrection de Laura avait fait surface, elle le veillait comme le lait sur le feu. A moins qu’elle ne soupçonne quelque chose.
Il avait bien conscience d’avoir été trop familier dans l’appellation de la jeune indienne et il savait pertinemment que Marika avait remarqué que quelque chose clochait.
Elle n’était pas stupide, elle ne serait pas là sinon.

La veille lorsqu’elle était rentrée de sa journée, elle l’avait trouvé plutôt calme et s’en était réjouit. Ils avaient regardé un film dans la soirée et rapidement, Julian avait annoncé vouloir se coucher. Au fond de lui, il savait que ce qu’il s’apprêtait à faire était mal. Mais il ne pouvait pas lutter contre.
Entendre Laura l’avait profondément bouleversé. Lui qui ne parvenait pas à faire son deuil depuis si longtemps, avait la sensation de revivre, en même temps que celle pour qui il s’était enfoncé dans les abysses de la dépression.
Il ne pouvait exprimer pleinement sa joie pourtant, ni même ses doutes et encore moins sa culpabilité. Marika ne comprendrait pas. Lui comprenait à peine.

Avant de se coucher, il avait fait l’effort de tailler un peu sa barbe, la réduisant à quelques millimètres histoire de ne pas passer pour un clodo. Marika n’avait rien dit, peut-être pas remarqué.
Il n’avait pas bien dormi évidemment, ressassant en boucle la conversation de la veille, tout en s’exhortant à dormir pour ne pas avoir des cernes de six pieds de long. En vain.
Et voilà, le matin était arrivé et à présent il paniquait en se demandant s’il faisait bien, si ce n’était pas une énième connerie, s’il n’était pas sur le point de tout foutre en l’air.

Il se leva sans bruit et regagna la douche dans l’espoir que l’eau chaude et vive lui remettrait les idées en place. La vérité c’est qu’il mourrait d’envie de revoir Laura mais qu’il avait peur aussi, de ce qu’elle pourrait dire ou faire. Après quatre ans, tout semblait irréel.
Il culpabilisait aussi, de retrouver celle qui était tout pour lui, dans le dos de celle qui partageait sa vie aujourd’hui. Même s’il ne possédait pas de sentiments amoureux pour Marika, il l’appréciait et il avait besoin d’elle. Et puis, elle ne méritait pas ça.
Mais il n’avait pas le choix, c’était sa seule excuse. Le lui expliquer aurait été compliqué et il ne voulait pas revenir sur le passé avec elle. C’était trop douloureux.

Il lava ses cheveux et les attacha grossièrement, puis les détacha, ne sachant plus quoi faire ni à quoi il devait ressembler. Il se brossa les dents sans quitter son image dans le miroir.
Tu te comportes comme un connard.
La honte lui fit détourner le regard et il s’habilla comme s’il allait simplement faire un footing. Il aurait préféré faire mieux mais ne souhaitait pas éveiller les soupçons.
Si Marika apprenait ce qu’il s’apprêtait à faire, elle serait blessée et il ne souhaitait pas qu’elle le soit.

Il quitta l’appartement sans manger et après avoir laissé un mot à Marika lui indiquant qu’il allait courir au jardin botanique, puis se faufila dans la rue en avance. Son estomac était noué, il se sentait lourd à l’idée de retrouver Laura mais en même temps incroyablement heureux. Ses émotions faisaient les montagnes russes. Son coeur battait trop fort et ses mains étaient moites.
Il se mit à trottiner puis à courir vraiment dans le but de s’apaiser.

Le poids sur sa poitrine pesait si lourd qu’elle avait l’impression d’en crever. Adossée contre la paroi de la douche de la salle de bain de sa chambre d’hôtel, elle haletait, gémissant à travers des sanglots aussi incontrôlables qu’incontrôlés. Respire. L’oppression était grande. Trop grande. C’était douloureux. Son corps semblait engourdi, froid. Elle tremblait comme une feuille, ne contrôlant pas les spasmes qui la dévoraient toute entière. Alors elle pleurait. Encore et encore, les larmes coulaient dans des sanglots qui lui permettaient de lâcher sa peine. Il faut recréer un climat de sécurité. N’était-ce pas ce qu’elle avait fait ? Allumant les lumières, cherchant à se mettre sous la douche ? Elle n’en avait pas eu le temps, pourtant, sa robe jonchant sur le sol à quelques pas d’elle, ses sous-vêtements demeurant sur sa peau dorée. Si cela ne suffit pas, alors il faudra suivre les consignes de votre médicamentation. Mais elle ne pouvait pas. Pas ce soir. Elle avait bu un verre. Elle devait se réveiller, demain. Demain.

La voix de Julian se refaçonna dans son esprit tourmenté. Tu seras là, demain, n’est-ce pas ? Elle tuerait, s’il le fallait, pour être là. Il le lui avait réclamé. Elle ne pouvait le décevoir. Elle ne voulait pas le décevoir. Elle avait besoin de lui. S’il avait pu la serrer dans ses bras, là, maintenant, il aurait apaisé en un instant la crise, elle le savait. Alors, elle caressa l’idée de ce corps qui venait étreindre le sien, le souffle de Julian contre elle. La méditation et la visualisation sont deux choses qui pourront vous aider. Un lieu calme. Un lieu où régnait la quiétude. Pourquoi était-ce toujours le même ? L’appartement était simple, meublé comme l’étaient les magazines, les affaires toutes rangées à leurs places. On était loin des luxueuses demeurent qui furent les siennes. L’appartement n’était pas le sien et pourtant, la vue qu’il offrait sur la plage était un rêve éveillé. Derrière la baie vitrée, elle observait la côté qu’offrait Isla Nublar. Elle aurait pu regarder tous les levers de soleil depuis cet endroit précis. Sa vision lui offrait autre chose. Julian était là, l’étreignant depuis son dos, leurs mains se retrouvant sur son ventre. Elle rayonnait d’un bonheur incandescent. Il était son tout. Elle n’avait besoin de rien d’autre que de sa présence pour finalement, retrouver l’air dans ses poumons. Alors, peu à peu, le calme que son imaginaire supplantait dans son esprit se fit également dans la salle de bain.

Prenant de profondes et longues inspirations, elle laissa l’air entrer et gonfler sa cage thoracique avant de s’en échapper dans un souffle contrôlé. Les tremblements de son corps se firent moindres. Peu à peu, elle laissa son corps se détendre, retrouver une norme plus respectable. Alors, seulement quand elle sentit qu’elle n’avait plus besoin de ce cadre parfait et utopique, elle rouvrit les paupières, cillant un instant pour mieux retrouver la clarté de la pièce. Soupirant une dernière fois, elle passa ses mains dans ses cheveux, restant un instant encore assise sur le sol, la tête posée sur les genoux. Pourquoi ? A dire vrai, elle savait pourquoi. Ce voyage avec Damian avait été prématuré, la foule entourant les deux amis étant dense, énorme, Laura baissant les yeux en permanence, agressée par ces voix, ces rires et ces cris. Elle avait fait l’effort de paraître en la compagnie du Wiesner parce qu’elle avait tout fait pour lui faire croire qu’elle était prête. Parce que ce voyage s’était basé sur de mauvaises raisons. Mais elle n’était pas prête et elle appréhendait déjà le lendemain. Ce parc serait-il si tranquille ?

Relevant sa carcasse, elle acheva de retirer ses vêtements, se jetant sous la douche brûlante pour réchauffer sa peau. Le froid lui était bien plus familier depuis qu’elle n’avait que la peau sur les os. Les quelques semaines passées n’étaient pas suffisantes pour retrouver un poids de forme, surtout quand la faim se faisait difficile. Elle tenait sur ses deux jambes, n’était-ce pas suffisant ? Laissant l’eau glisser sur sa peau, elle acheva de retrouver le calme qui lui était nécessaire.

Il n’était pas particulièrement tard, minuit venant de sonner. Mais elle était lasse, épuisée… Et pour autant incapable de dormir. Lavée et apaisée, elle se dirigea dans le grand lit moelleux de sa chambre, prenant place sous la couette. Programmant plusieurs réveils, elle finit par ne laisser que la lumière de la lampe de chevet allumée, incapable de céder à nouveau aux ténèbres. Les minutes s'écoulaient, Laura tournant et se retournant dans le lit. Pourtant, contre toute attente, elle finit par s’endormir.

Devançant toutes les heures programmées, elle avait ouvert les yeux vers 6h30, trop éveillée pour se laisser aller à une grasse mat. Alors, quittant les draps, elle se plaça devant sa valise, faisant face à un véritable dilemme depuis fort longtemps. Quoi mettre ? Une robe ? Trop habillée. Beaucoup trop, même. Un legging et un T-shirt ? Avisant l’épaisseur de ses cuisses, elle sut qu’il n’aurait d’yeux que pour cela. Tu as maigri. Elle se souvenait trop bien de ces mots-là et, cette fois-ci, le constat était tel qu’elle pouvait se les jeter elle-même à la figure. Tournant et retournant le problème vestimentaire dans sa tête, elle avait fini par adopter une tenue des plus simple : Un jean, un sweat et des tennis en toile. Qui irait penser que Laura Masrani puisse déambuler dans cet accoutrement dans les rues de Melbourne ? Soupirant en voyant son reflet, elle jouant à plusieurs reprises avec ses cheveux, finissant par les laisser faire leur vie comme bon leur semblait. Prête bien avant l’heure, elle finit par descendre dans le salon de l’hôtel, se disant que c’était la meilleure chose à faire. Quelle ne fut pas sa surprise d’y trouver Miller, déjà installé devant son petit-déjeuner, l’invitant à se joindre à lui. S’exécutant, elle lui souhaita un bon appétit et si elle était étonnée qu’il soit debout, il la dévisagea un instant de ces yeux qui voulaient dire qu’il savait ce qui la traversait, n’ajoutant rien verbalement, détournant le sujet sur des choses plus futiles. C’était peut-être le mieux, oui. Pourtant, à peine eurent-ils fini leur assiette qu’il lui fit un signe de tête, l’invitant à se lever pour mieux y aller. C’était l’heure. Ou presque. Laura était en avance. Il n’était que 8h30 quand le SUV s’arrêta à côté de la fameuse entrée indiquée par Julian.

« Bon… Je vais attendre ici… Ça ira ? » Un instant, Laura observa la porte du jardin botanique, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. « Je crois, oui. » Elle lui adressa un maigre sourire qui se voulait encourageant. Avant qu’elle ne parte, Mille fourra une casquette entre ses doigts. Au cas où. Elle hocha la tête, le remerciant, plaçant le couvre-chef sur ses longs cheveux de jais. Soupirant longuement, elle pénétra les lieux, cherchant d’abord à remplir ses objectifs de quête avant de s’attarder dans une contemplation quelconque. Laura s’exécuta, tel un bon soldat, les instructions de Julian demeurant bien ancrées dans son esprit. Et finalement, elle arriva sur ces plaines verdoyantes, doucement caressées par une lumière encore timide, et ces grands arbres desquels émanait une odeur de fraicheur diablement agréable. Elle resta un instant immobile, contemplant l’endroit. Un instant, elle crut s’être retrouvée à Jurassic World, la verdure environnante étant un paysage enchanteur qui n’avait pas de fin. Happée par cette beauté qu’elle redécouvrait, par ces lumières changeantes et par le calme que cette pièce semblait jouer sous ses yeux, elle s’assit sur un banc. Son portable entre ses doigts, elle regarda l’heure. Il ne tarderait pas. Il serait bientôt là. Et elle se sentirait enfin entière.

Julian franchit l’entrée du parc. Il ne remarqua même pas le gros SUV garé non loin dans lequel Miller attendait le retour de Laura. Toute son attention était concentrée sur elle. Il se demandait comment il réagirait en la voyant, comment elle réagirait en le voyant. Dans son esprit, tout semblait facile et naturel mais il se doutait bien que ce ne serait pas forcément le cas.
Comment se retrouver après quatre ans ? Après une mort présumée et une descente aux enfers ?
Il n’y avait pas de mode d’emploi, ni même de conseil à prendre en compte.

La veille, il s'était senti étrangement calme après son appel. Une part de lui refusait d’admettre que la discussion avait bien eu lieu. Devenait-il fou ? Ses hallucinations prenaient-elles le pas sur la réalité ?
Il avait longuement regardé son téléphone sans bouger après qu’elle eut raccroché. Cet appel avait été inespéré, comme tout droit sorti d’un rêve. Il avait encore du mal à y croire pleinement. Pourtant, le son de sa voix avait fait chanté son coeur dès qu’il l’avait entendu, ravivant les braises sous la poussière de son palpitant meurtri jusqu’à la moelle.

Avait-elle perçu son trouble ? Ses larmes ? Et surtout, son soulagement de la savoir vivante.
Il ralentit sa course, son souffle devenant de plus en plus erratique. Incapable d’inspirer correctement et d’expirer, tant ses pensées étaient tournées vers elle. Son rythme cardiaque était bien trop élevé pour le peu d’effort physique qu’il produisait alors pourquoi avait-il le sentiment que bientôt son coeur allait traverser sa cage thoracique ?
Il s’arrêta tout à fait et se pencha en avant, les mains en appui sur ses genoux. Sa tête lui tourna légèrement. Il plissa les yeux fort et se redressa en s’exhortant à respirer plus profondément.
Là, il balaya le parc d’un regard encore un peu flou par l’effort. Il y avait peu de monde, la plupart faisant comme lui, un jogging matinal.
Les arbres étaient magnifiques, comme d’habitude. Une sorte de quiétude se dégageait de cet endroit, c’est pour ça qu’il aimait venir ici. A moins que ce ne soit parce que toutes les plantes du jardin botanique lui rappelaient Isla Nublar ?

Il reprit sa marche, tranquillement, guettant au loin celle pour qui il était là. Celle pour qui il souhaitait toujours être là. Lui accorderait-elle une nouvelle chance ? Il en doutait. Pourtant elle était bien venue jusqu’ici pour le voir n’est-ce pas ?
Au loin, il aperçut une silhouette sur un banc, une casquette vissée sur la tête. Il ne voyait pas bien de là où il se trouvait mais quelque chose au fond de lui savait.
C’était elle. Il aurait pu le parier.

Il continua à avancer, réduisant la distance qui lui sembla subitement immense. Et sans s’en rendre compte, il accéléra encore et encore jusqu’à courir à nouveau.
Les émotions se disputaient en le faisant douter mais plus il se rapprochait et plus son instinct le lui soufflait. Ce ne pouvait être qu’elle.
La distance se réduisait encore tandis que son sourire s’élargissait. C’était elle ! Amaigrie mais bien vivante. Ses cheveux d’ébène même planqués sous sa casquette ne pouvaient pas mentir et il ne pensa à rien d’autre que de la serrer dans ses bras, de respirer son odeur et de lui dire à quel point il était désolé, à quel point il s’en voulait et surtout, combien elle lui avait manqué durant cette éternité.

- Julian !
L’appel sonna comme le réveil brutal d’un rêve. Il stoppa sa course et se retourna. Marika arrivait en trottinant et sans en avoir conscience, il lui lança un regard assassin. Pourquoi était-elle là ? Que voulait-elle ? Pourquoi ne le laissait-elle pas retrouver son amour perdu ?
Elle fronça les sourcils en s’approchant, ne sachant pas ce qu’il lui valait de telles foudres juste à travers l'expression de son visage.

- Tu as oublié tes clés et ton téléphone portable, annonça-t-elle en lui tendant les précieux objets. Je ne serais pas là de la journée ça aurait été dommage que tu restes coincé dehors tu ne crois pas ?
- Merci, dit-il, affable. Comment tu m’as trouvé?
Sa gorge était sèche subitement.
- Tu m’as laissé un mot idiot. Et tu viens toujours courir par ici, précisa-t-elle en haussant les épaules. C’est pas comme si c’était noir de monde en plus.

Elle balaya du regard toute la zone pour étayer son argument et tomba sur un détail.

- Attends, est-ce que ce ne serait pas…commença-t-elle en direction de Laura.

Elle tourna vers lui un visage aux yeux ronds. Elle essayait de recoller les morceaux du puzzle, il le savait. Mais elle n’était ni au courant de l’appel, ni même que Laura était à Melbourne.
Machinalement, elle agrippa le bras de Julian.
- Qu’est-ce qu’il se passe ? chuchota-t-elle subitement à court de son.
Julian soupira et glissa sa main libre dans ses cheveux pour masquer sa gêne. Il avait honte, honte de lui avoir caché tout ça, honte d’avoir été pris la main dans le sac.
Le bras qu’elle tenait était aussi crispé que sa mâchoire mais la seule chose qu’il trouva à répondre fut un bafouillage digne d'un gamin de dix ans.

Et son regard se releva pour se planter sur Laura. Que devait-il dire ou faire ? Marika l’observa un moment et lorsqu’il se tourna à nouveau vers elle, elle pinça les lèvres.
- On verra ça plus tard, j’ai du travail.
Ses yeux étaient lourds de reproches et de déception mais elle n’ajouta rien. Elle se hissa sur la pointe des pieds et embrassa le coin de sa bouche avant de repartir dans l’autre sens.

Elle observait les alentours, dévisageant certaines personnes plus que d’autres, espérant presque deviner Julian dans leur silhouette qui, jamais, n’était satisfaisante à ses yeux. Les battements de son palpitant ne parvenaient pas à ralentir, au contraire relancés quand il lui semblait le voir. Observant un instant les eucalyptus, elle prit de profondes respirations, cherchant à apaiser cet organe qui ne répondait qu’à ses émois, lui donnant l’impression de mourir à petit feu à mesure qu’il heurtait sa poitrine avec force. Elle avait beau essayer de visualiser leurs retrouvailles, Laura n’arrivait pas à trouver la bonne posture dans laquelle se plonger, oscillant entre l’envie de faire comme si de rien n’était après tout ce temps, ou bien celle de placer une distance étrange entre eux. La dernière fois qu’ils s’étaient vus… La dernière fois qu’ils s’étaient vus était certainement ce matin-là, avant que les choses ne partent dans tous les sens. Avant que le monde ne s'obscurcisse pour mieux s’effondrer.

Frissonnant un instant à cette pensée, elle replaqua son attention sur les branches de l’arbre qui passaient au-dessus de sa tête, admirant les petites feuilles vertes. Aurait-elle pu les toucher, si elle avait tendu la main ? Elle préférait s’épargner cette possible frustration, le monde étant déjà empli de toutes ces choses qui ne lui étaient plus accessibles. Damian allait se marier. Ses amis avaient oublié jusqu’à son existence, l’ayant reléguée à sa place mortuaire. Quant à Julian… Julian ! Comme un écho à son propre cerveau, Laura sursauta devant ce cri poussé par une voix féminine, court-circuit venant choquer son cœur pour mieux lui rendre un rythme convenable. Pourtant, alors même qu’elle aurait dû prendre garde à ce que les choses lui réservaient, elle s’était lancée sur ses pieds, tournant la tête vers la source de l’appellation. Et alors, elle le vit.

Il ne la regardait pas. Son visage était tourné vers cette jeune femme blonde qui accourait vers lui. Mais Laura n’avait pas besoin de voir son visage pour le reconnaître, même si l’équilibre de sa stature n’était plus le même. Cillant un instant, entrouvrant les lèvres, elle demeura incapable de ne pas dévisager ce qui se déroulait devant elle. La blonde était arrivée à la hauteur de l’ancien responsable de la sécurité d’Isla Nublar, la mine froncée voire soucieuse, Laura pouvant alors la dévisager un peu mieux. Elle était… Belle. Foutrement belle. Il aurait fallu être d’une mauvaise foi profonde pour ne pas le reconnaître. De là où elle était, Laura ne percevait pas la teneur de leur conversation, juste quelques mots. Idiot. La familiarité avec laquelle elle s’exprimait en disait long sur son éventuelle identité. Et Laura sut, à l’instant où son regard sombre croisa celui de la blonde, qu’elle ne pouvait plus se faire d’illusions sur ce que ces retrouvailles pouvaient être. Intimidée par le regard interrogateur de Marika, Laura baissa le chef croisant les bras sur sa poitrine, comme pour mieux se protéger. Elle ne voulait pas être reconnue, vue de la sorte, si frêle et fragile… Si vulnérable. Julian avait été le seul à pouvoir capter cette facette de sa personnalité et aujourd’hui… Aujourd’hui, elle réalisait péniblement que ces quatre années lui avaient volées une vie tout entière.

Les laissant à leur échange, elle s’accula au dossier du banc, attendant que l’instant passe… S’interrogeant sur sa légitimité même à rester. C’était pire que ce qu’elle pensait. Alors même qu’elle pensait agir par désir de se libérer, elle se découvrait être l’épine dans le pied d’un tiers. Et c’était détestable. Elles avaient partagé des instants précieux avec le même homme et tout ceci poussait Laura à la détester, cette blonde aux lèvres pulpeuses. Pourtant, au fond d’elle, elle savait que le problème, c’était elle. Elle n’aurait pas été retrouvée, alors Julian aurait continué à vivre paisiblement sa vie, son couple. Elle venait mettre du sel sur des plaies béantes, ravivant la douleur et la peine. Un instant, Laura pensa qu’elle aurait mieux fait de rester morte, au moins pour lui. Egoïste.

Reniflant, ravalant des larmes qui se voulaient joueuses, les rejetant avec violence, elle releva le menton, osant reposer son regard sombre sur eux alors même que la presque inconnue venait lui voler un baiser. C’était trop. Un poignard qu’elle s’enfonçait elle-même dans le cœur. Elle eut envie de fuir. De courir. De partir. Mais elle restait là, observant la blonde opérer un demi-tour, s’échapper. Allait-il lui courir après ? Le devait-il ? Certainement. Elle aurait aimé qu’on le fasse, elle. Pourtant, il sembla que la scène subisse un arrêt, un temps de pause où les différents acteurs ne savent plus véritablement ce qu’ils doivent faire. Alors, avisant ce que pourrait faire Julian, elle resta simplement là, à tenter de consoler son cœur meurtri, blessé par une réalité qu’elle se mangeait en pleine face. Quatre années… Quatre foutues années qu’elle maudissait plus encore désormais.

Julian regarda Marika partir, ses longs cheveux blonds se balançant dans son dos à mesure qu’elle s’éloignait. Il se sentait coupable vis à vis d’elle et il savait que ce soir, il devrait répondre de ses actes. Il le ferait, de toute façon il ne pouvait plus reculer. Marika poserait des questions, il avait laissé trop de doutes flotter autour de lui. C’était de sa faute, comme tout ce qui arrivait dans sa vie depuis le jour de l’incident. Tout était toujours de sa faute.

Dès qu’elle fut assez éloignée, il glissa son téléphone et ses clés dans ses poches en se sentant encore plus con. S’il ne les avait pas oubliés, elle ne serait pas venue. Il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Une erreur de plus dans sa vie déjà en parfait état d’échec.
Enfin, il se tourna vers Laura.
Un autre face à face l’attendait mais avec l’intervention de Marika, l’instant semblait perdu.

Il avait imaginé courant jusqu’à elle, criant son nom et la serrant dans ses bras. Voilà qu’ils n’étaient plus qu’à quelques mètres, une dizaine de pas peut-être et que ses jambes semblaient vissées dans le sol. Elle se tenait debout, appuyée contre le banc, raide et elle le regardait.
Ses bras croisés sur sa poitrine donnaient l’impression qu’elle aurait souhaité être n’importe où ailleurs sauf ici.
Que voyait-elle ? Il aurait donné n’importe quoi pour pouvoir avoir un aperçu de l’image qu’il renvoyait. Certainement pas quelque chose de très glorieux.

Il avait perdu de la masse, le footing lui avait donné une silhouette plus élancée. Son visage était un peu plus creusé, comme quelqu’un qui dormait mal depuis des années et qui n’avait pas goûté à la joie des bonnes choses depuis longtemps. Comment pouvait-il en être autrement ? Comment pouvait-on continuer à vivre normalement quand l’être qui comptait le plus au monde manquait ?

La visière de sa casquette camouflait un peu les yeux de Laura dans une ombre anonyme et peut-être justifiée. Il observa ses formes, autrefois généreuses, à présent presque banales. Elle se fondait dans la foule avec son jean et son t-shirt si simple.
Tout ça à cause de lui et de son incapacité à la protéger. Il accusa le choc du poignard fictif qui lui tailladait les entrailles, comme à chaque fois qu’il ressassait son échec. Serrant les dents, il se décida enfin à bouger. Il s’avança vers elle lentement, hésitant à chaque pas sur ce qu’il pourrait bien lui dire ou ce qu’il pourrait bien faire.

Avait-elle vu Marika ? Oui très certainement. Comment se sentait-elle vis à vis de ça ? Devait-il lui expliquer dans quelle situation il était ? Il ne savait plus, le contexte devenait de plus en plus incertain et soudain, la magie de la veille au téléphone se transforma en épreuve à surmonter.

Il avança encore, inclinant légèrement la tête sur le côté pour capter son regard comme il avait coutume de le faire depuis toujours. Lui ne la quittait pas des yeux, enregistrant chaque changement sur ce visage qu’il avait tant embrassé et caressé, remarquant le moindre nouveau détail dès que la lumière le lui permettait.
Lorsqu’il fut assez près d’elle tout en conservant une distance respectable pour ne pas l’embarrasser, il leva légèrement la main dans sa direction et se ravisa comme s’il risquait de se brûler ou pire, de la blesser.

Elle était là, devant lui, vivante. Et elle le regardait.

Il aurait pu se damner pour plonger dans ses iris et s’y perdre, elle pouvait bien faire de lui ce qu’elle voulait, il n’était plus apte à décider quoi que ce soit.
Il ne rêvait pas, la preuve était là, tangible, surréaliste pourtant. Sous le coup de l’émotion, il étouffa un sanglot menaçant à travers une inspiration plus forte légèrement hachée.
Et puis, au milieu de ses yeux brillants à cause des larmes qu’il ravalait, un sourire se dessina sur ses lèvres, lentement mais avec toute la force de son cœur.
Dans ce remue-ménage d’émotions, il fronça légèrement les sourcils et franchit le cap.
Une nouvelle fois, sa main se dressa et attrapa la visière de la casquette qu’il retira doucement, dévoilant la chevelure de jais de la jeune indienne et laissant ainsi la lumière du matin illuminer son visage.

- Salut, murmura-t-il parcequ’il était incapable de parler à pleine voix.
Il était effrayé à l’idée que le moment s’envole, qu’elle disparaisse à nouveau et qu’il la perde une seconde fois.
Il se sentit complètement débile d’avoir une entrée en matière si catastrophique et pourtant, il ne voyait pas quoi dire d’autre.

- Désolé, je ne sais pas par où commencer tellement c’est…c’est…tu es là, vraiment là. Tu es en vie, souffla-t-il.


Et il crut que sa carapace allait voler en éclat. Il mentait à Marika depuis trois ans, par omission souvent sans aucune difficulté. Trente seconde avec Laura et il était incapable de ne pas être honnête.

Bouge. Pars. Cours. Les ordres se succédaient dans son esprit. Qu’est-ce qu’elle faisait ? Son égoïsme allait coûter plus que quelques minutes de son temps à l’homme qui se tenait là, observant, comme l’Indienne, cette chevelure blonde s’éloigner. Et Laura en était autant attristée que désolée. Là n’était pas son but quand elle était venue. Julian sembla ranger ses affaires et, finalement, se retourna. Et Laura retint son souffle.

Combien de fois avait-elle espéré et imaginé cet instant ? Combien de fois ce fantasme avait-il pris racine dans son esprit, la plongeant dans une folie assumée où elle se consolait de sa présence fantomatique ? Dès lors que ses prunelles sombres captèrent celles, plus claires, de Julian, elle ressentit ce choc électrique qui lui ordonnait de vivre. C’était comme si le reste du monde venait de s’effacer et dans tout l’univers, il ne restait plus qu’eux. Ils étaient là, ensemble. Et c’était purement irréel.

Il n’avait rien perdu de sa superbe même si ces quatre années ne l’avaient pas réellement épargné non plus. Quatre années. Quatre putain d’années. Ils restèrent d’abord stoïques s’observant à bonne distance, comme s’ils se toisaient mutuellement après tout ce temps. Les bras croisés sur sa poitrine, elle conservait cette posture fermée car elle savait. Oh oui, elle savait que si elle s’ouvrait, elle céderait à bien plus que des retrouvailles cordiales. Et la silhouette blonde encore doucement visible au loin aurait alors toutes les raisons du monde de la haïr.

Déglutissant avec peine, elle pinça les lèvres, finissant par décrocher ses yeux de lui, ce soutien étant trop dur à supporter pour elle encore. C’était idiot, mais il lui semblait que regarder quelqu’un dans les yeux était une chose terriblement intrusive désormais. Soupirant doucement, elle ne releva les yeux vers lui que lorsqu’il entama un pas vers elle. Et soudain la panique la saisit tout entière. Que faisait-il ? Où allait-il s’arrêter ? Alors qu’elle s’interrogeait, se redressant de paire à son approche, son cerveau se faisait contradictoire, prêt à s’éloigner… Tout en en demandant plus. Lorsqu’il pencha la tête sur le côté, elle replongea quatre années plus tôt et à toutes ces fois où il avait sondé son âme, cherchant à savoir ce qu’elle pensait, la poussant à parler, elle qui était faite pour une triste solitude. A ce regard, elle ne pouvait rien refuser. A ce regard, elle était servante de tous ses souhaits.

Finalement, il s’arrêta alors que l’esprit de Laura lui commandait de poursuivre sa route, de ne s’arrêter que lorsqu’elle serait dans ses bras. Ses grands yeux noirs le regardaient, par-dessous la visière de cette casquette sombre confiée par Miller. Elle aperçut son geste, sa retenue. Elle eut voulu lui dire de ne pas hésiter, de faire d’elle ce que bon lui semblait car peu importait finalement ces gestes, son simple contact l’aurait ramenée d’entre mille morts. L’instant resta en suspens, les pupilles se retrouvant après tout ce temps. Était-ce ses yeux qui étaient brillants, ou bien les larmes qui brûlaient les siens venaient brouiller sa vision ? Incapable de respirer, elle le fixait bêtement, comme attendant que quelque chose se passe pour finalement s’animer. Ce fut lorsque le sourire apparut sur ses lèvres que son corps tremblant la força à soupirer, ses lippes s’étirant à leur tour dans un mimétisme certain, son regard glissant à nouveau car trop intimidée par la situation.

Finalement, la main se leva doucement vers sa tête, s’emparant de la visière pour mieux libérer son crâne de ce fardeau, attirant à nouveau son œil bien qu’elle doutait pouvoir soutenir encore bien longtemps ses yeux clairs. Salut. Un souffle. Un murmure qu’elle n’entendit que parce qu’elle l’avait tant espéré. Alors seulement, elle put inspirer, son sourire lui échappant de plus belle alors que le regard était de nouveau fuyant. « Salut… » Ses incisives se plantèrent machinalement dans sa lèvre inférieure alors qu’il cherchait à reprendre de plus belle, commençant par s’excuser. Par où commencer. Elle n’en avait pas la moindre idée non plus. Fallait-il réellement commencer ? Ne pouvaient-ils pas simplement rester là, comme ça, pour toujours ? Ensemble.

Tu es là, vraiment là. Tu es en vie. Elle grimaça légèrement. « J’étais morte… Mais maintenant, ça va mieux. » Haussant machinalement les épaules, une ébauche de sourire s’étirant en un coin, elle avait à nouveau fui son regard. Mieux valait désamorcer cela avec cette spontanéité acquise et quelques boutades, non, plutôt que de s’acharner sur des choses trop dures pour être évoquées ? Soupirant doucement, ses doigts tiraillant son sweat avec la gêne qui l’envahissait, elle toussota doucement. « Peut-être que… Je tombe mal ? » Avisant le sentier derrière lui, elle réalisa que la blonde s’était évaporée. Pour autant, elle avait vu cette scène et ne pouvait pas l’ignorer ou faire comme si cela n’était pas arrivé. « Tu veux que.. Qu’on… S’assoit ? Ou bien tu préfèrerais qu’on marche ? » A moins qu’il ne souhaite l’étreindre avec passion et l’embrasser avec ardeur ? A cela, elle n’était pas fermée, même si le sens de ces gestes seraient forcément entachés par quatre années de vies brisées. Sa main s’était tendue vers cette casquette qu’il tenait entre ses doigts, prête à la reprendre, stoppée en plein vol par cette proximité imminente entre leurs doigts qu’elle ne pouvait pas amorcer. Et pourtant, son épiderme était un aimant, appelé par son opposé.

“Salut” répondit-elle à son tour, comme un écho et son sourire éclaira son visage. Dieu qu’elle était belle. Malgré les années et la perte de poids, son sourire n’avait pas changé, il illuminait l’instant présent. Son cœur fit une embardée instantanément face à cette vision et il se sentit soudain incroyablement chanceux, de pouvoir la revoir.
Trop vite cependant, elle détourna le regard. Pourquoi refusait-elle de le voir ? Cela lui donnait encore plus envie de chercher ses yeux et d’accrocher ses iris dans les siens.
Elle mordit sa lèvre inférieure et il reconnut cette mimique qu’elle possédait déjà et qui se dévoilait lorsqu’elle était gênée.
Pourquoi donc l’était-elle ?
C’était comme si, une part d’elle-même refusait tout ça.

Il poursuivit pourtant, n’étant capable que d’exprimer son soulagement de la voir vivante, juste là devant lui. Était-ce vraiment la réalité ? Il aurait pu en douter tant tout lui semblait irréel.
Les paroles qu’elle prononça ensuite lui firent l’effet d’une lame, plantée en plein cœur. Ce n’était qu’une plaisanterie bien évidemment mais, ne se rendait-elle pas compte de l’état dans lequel sa mort l’avait placé ? Non bien sûr que non, elle ignorait qu’il n’avait pu tourner la page, elle ignorait qu’il avait souhaité la rejoindre dans la mort. Mieux valait qu’elle l’ignore.

Les mots le blessèrent et le sonnèrent un moment et il remercia les anti-dépresseurs. En temps normal il aurait probablement hurlé puis mis le parc à feu et à sang. L’envie irrépressible de frapper pulsait dans ses veines et il serra son poing libre, sa mâchoire se crispant tandis qu’elle détournait à nouveau le regard.

Il en profita pour respirer profondément et essayer de mettre ça de côté. Il ne devait pas gâcher leurs retrouvailles, Marika y avait déjà veillé sans le vouloir. En parlant d’elle, Laura évoqua l’idée de mal tomber tout en observant le chemin par lequel Marika était repartie.
Il eut envie de lui dire que Marika était avant tout sa thérapeute mais il se rendit compte que c’était mesquin et faux. Marika était plus que ça, il lui était redevable.

Il se contenta donc de secouer la tête lentement, refusant de donner plus de force à la présence impromptue de Marika. Il ne souhaitait pas parler d’elle, pas maintenant. Là, tout de suite, il voulait se concentrer sur Laura, sur ce qui lui était arrivé et sur ce qu’il ressentait toujours.
Aussi, lorsqu’elle proposa de marcher ou de s'asseoir, il était déterminé à aller se promener. Mais avant ça…
Il baissa la tête à son tour et remarqua la main tendue de Laura vers sa casquette. Il observa ses doigts un instant, cherchant du regard l’anneau de chair rosée qui marquait la blessure traumatisante de la jeune femme.
Cette cicatrice était une forme de lien entre eux. Elle les ramènerait toujours à ce qu’ils avaient traversé, au début de leur inclination et de ce qui y avait contribué.

Il se surprit à sourire en l’apercevant et sans réfléchir, il saisit cette main avec délicatesse, glissant ses doigts sur les siens d’abord, puis entre les siens, comme s’il pouvait les lier pour toujours.
Le contact était grisant, il ancrait ses retrouvailles dans la réalité. Peau contre peau, son retour devenait tangible et renforça l’envie de la prendre dans ses bras.
Guidant sa main jusqu’à son propre visage, il embrassa délicatement le doigt anciennement meurtri puis lui lança :

- On marche un peu.

Il amorça le début de la promenade mais ne lâcha pas cette main. Elle était le symbole de ce qu’ils avaient été, elle demeurait un lien puissant, indéfectible.
- Et si tu me racontais ? Que s’est-il passé ? demanda-t-il véritablement intrigué et inquiet.

Et comme pour l’encourager à parler sans crainte d’être à découvert, il replaça la casquette sur sa tête.

Il avait hoché la tête de gauche à droite, mettant cette jeune femme qui avait disparu aussi rapidement qu’elle était arrivée sur la touche. Elle n’aimait pas cela, en réalité. La logique dans son esprit, aussi peu rationnelle pouvait-elle être parfois, lui dictait que Julian aurait dû faire de cette blonde sa priorité, quitte à l’abandonner. D’un autre côté, si cela aurait clarifié bien des choses, elle n’allait pas le renvoyer sous ce prétexte, devinant son désir d’être là, tout comme l’était le sien. Essayant de s’ancrer un peu plus dans l’instant, elle avait proposé un retour sur le banc, ou bien une petite marche, même si cette dernière réclamait ce couvre-chef. Miller avait bien fait, car même sans qu’il ne soit bondé, les gens allaient et venaient dans ce parc.

Le geste en suspens, le regard posé sur cette casquette tenue par cette main, elle retint son souffle. Sa main appelait la sienne et pourtant, elle se retenait. Pourtant, elle ne pouvait céder à cette tentation sans se noyer dans ce passé qui se faisait tourbillon violent dans lequel elle plongeait, encore et encore. Elle perçut dans sa vision périphérique qu’il avait suivi son regard, que les yeux de Julian s’était également posé sur ses doigts. S’humectant les lèvres, elle s’apprêtait à lui demander le couvre-chef, tout simplement. Mais il lui coupa l’herbe sous le pied.

L’autre main de Julian s’était approchée de la sienne qu’elle n’avait pas eu le temps de reculer. Alors le contact se fit. La chaleur de sa peau vint rencontrer la sienne, Laura soufflant longuement alors qu’il refermait ses doigts, emprisonnant les siens dans une cage qu’elle ne refusait pas, bien au contraire. En un instant, il lui fit oublier ces quatre années passées, cette impression de ne plus appartenir à ce monde. En un instant, il lui rendit sa juste place, là, à ses côtés. En un instant, il ne fit que raviver le feu brûlant qui l’avait consumée sur Isla Nublar et qu’elle avait cru laisser mourir depuis son retour d’entre les morts. Ses yeux sombres, doucement, se relevèrent vers lui qu’elle osait regarder. Enfin, elle respirait.

Il porta sa main à ses lèvres, les déposant sur sa peau. Elle crut sentir la vie revenir en elle avec une violence telle qu’elle en ouvrit la bouche, incapable de produire le moindre son. Les aimants s’attiraient à nouveau et elle sentit son corps être doucement attiré par le sien. Elle le voulait. Pour elle. Tout entier. Laura n’avait eu besoin que de cela pour se rappeler que dans la noirceur des ténèbres qui furent les siens, il avait été sa lumière. Et le papillon qu’elle était voulait toujours plus approcher de ses rayons brûlants, quitte à s’en brûler les ailes. Le reste du monde n’avait plus la moindre importance alors que son univers reprenait vie, Julian en son centre.

On marche un peu. Evidemment. Elle l’aurait parié, à vrai dire. Comment aurait-il pu simplement rester assis là, lui qui frappait encore et encore des objets pour mieux évacuer ses frustrations ? Elle lui rendit son sourire, hochant simplement la tête, ses doigts venant finalement rendre cette étreinte alors qu’elle lui emboîtait le pas. C’était ça, la vie qu’ils auraient dû avoir. Se promener, main dans la main, en parlant de leur avenir tout en observant le paysage. Et bordel, qu’est-ce que ça aurait pu lui suffire. Elle n’avait pas besoin de villa luxueuse, de mets gastronomiques, d’une garde-robe gargantuesque. Non, elle n’avait besoin que de lui, même si cela voulait dire tout perdre. N’avait-elle pas déjà tout perdu ?

Et si tu me racontais ? Que s’est-il passé ? Elle frissonna malgré elle, ses doigts se crispant légèrement dans sa main alors qu’il replaçait l’objet sur sa tête, sa main libre venant l’ajuster pour éviter que sa tignasse épaisse ne la gêne. Alors c’était comme ça qu’il fallait le lui dire ? C’était là qu’elle lui racontait les horreurs de ces quatre dernières années ? Elle n’en avait pas la moindre envie, sentant son regard inquisiteur posé sur elle. Et pourtant… Pourtant, c’était Julian. Elle lui en avait tellement dit par le passé. Ils avaient affronté les tempêtes, ensemble, et en avait créé d’autres, ensemble. « C’est… Compliqué. » Oui, ça l’était. Terriblement même. Ce qu’elle avait vécu lui appartenait. La presse à scandale, Richard… Tous n’avaient qu’une vague idée de l’étendue de ce que sa captivité avait entraîné, déformant les faits, nourrissant une histoire pour en faire une fable. Souriant doucement, elle releva le regard vers lui. « C’est presque bizarre, en fait… Tu es le premier à me demander ça sans… Essayer de deviner avec des questions horribles. » C’était pour cette raison qu’on la gardait dans du papier bulle, dans une sphère des plus sécurisées. C’était peut-être la première fois depuis qu’on l’avait retrouvée qu’elle pouvait déambuler sans sentir deux yeux protecteurs sur sa nuque. A moins que Miller… Non. Il avait promis de rester à l’écart.

Soupirant doucement, elle arrêta de marcher un instant, retenant Julian à ses côtés, le regardant avec profondeur, son sourire s’étant alors effacé. « Une prison dorée, hors du temps. C’est plus ou moins ce qu’il s’est passé pendant… Je ne saurais même pas te dire. Et puis, tu me connais… Je me suis crue plus maligne alors ils ont changé les règles. » Elle se tortilla légèrement sur place, son corps se rappelant la décharge électrique encaissée quand elle avait bien tenté de s’échapper, puis la noirceur qui l’enveloppait. « Pour le reste… Je ne sais plus vraiment, en fait. » Et ce n’était pas un mensonge. Elle avait des flashs et des blancs, des éléments dans son existence ravivant quelques traumatismes qui encourageaient les crises de panique. Les fantômes qu’elle avait laissé entrer dans ce complexe étaient toujours présents dans son esprit, certains s’étant tapis au fond de son cerveau. Machinalement, elle vint poser son autre main sur celle de Julian qui était enfermée dans la sienne. « J’ai laissé… Des cauchemars se glisser dans mon esprit, là-bas. Et tu sais, si tout le monde pensait que j’étais morte, moi je… Je pensais… Enfin, je veux dire, je ne crois pas aux fantômes mais… Miller avait tout l’air d’un spectre quand il est apparu. » Il était censé être mort, non ? Et l’homme qui se tenait face à elle ressemblait bien trop à un rêve. Pourtant, là, sous sa paume, elle sentait sa peau et sa chaleur.

Au moment précis ou Julian posa la question, il sentit les doigts de Laura se crisper sur les siens. Il renforça sa présence en les pressant légèrement. Il était là et ne la laisserait pas tomber. C’était ce qu’il essayait de lui dire à travers ce geste. Mais il aurait tout aussi bien compris qu'elle refuse tout simplement de lui expliquer la raison de son absence et de sa mort présumée.

Par quoi était-elle passée ? Qu’avait-elle traversé ? Seule ?

Il avait posé la question parce que la curiosité le démangeait et plus encore, parce que l'inquiétude le rongeait. Évidemment il aurait pu simplement se réjouir de la retrouver, cependant, Julian voulait plus. Il souhaitait la retrouver toute entière avec ses blessures qu’elles soient mentales ou physiques.
Le laisserait-elle entrer à nouveau dans son univers après cette faute impardonnable ? Se tiendrait-elle sur ses gardes vis-à -vis de lui ? Mettrait-elle une distance entre son esprit et le sien ?

S’il était véritablement honnête, il se souvenait des disputes et des incompréhensions dans leur couple. Quel couple n’en avait pas ? L’amour apportait sa joie et ses tumultes n’est-ce pas ?
Marika lui apparut avec violence. Ils ne s’étaient jamais disputés en un an et même s’il n’y avait nul amour entre eux, il ne pouvait pas non plus faire comme s’il vivait seul.

Chassant ses pensées de culpabilité, il se concentra sur Laura et suspendu à ses lèvres, il attendit qu’elle lui explique enfin.

C’est compliqué.
Il ne s’était pas attendu à ce que ce soit simple. Elle s’était faite kidnapper et son ravisseur était mort peu de temps après. Rien n’aurait pu être simple suite à ce scénario.
Le fait qu’il ait lui-même été coupé du monde n’aidait pas et peut-être aurait-il dû suivre la presse mais il s’y refusait. Il avait coupé les ponts avec tout ce qui touchait de près où de loin à Laura Masrani et à Jurrassic world. C’était…trop dur.
Aujourd’hui il le regrettait presque, peut-être aurait-il su alors…

Il persistait à la regarder, marchant toujours lentement, ignorant les passants et les joggers.
Elle lui sourit faiblement et lui indiqua qu’il était le premier à lui poser la question sans y ajouter d’atrocité.
Vraiment ?
Comment l’avait-on interrogée ? Son ignorance le consumait à petit feu cependant, il ne voulait pas la brusquer. Aussi, il rongeait son frein et se contenta de froncer doucement les sourcils.
Elle émit l’idée d’une cage dorée et il comprit qu’elle était séquestrée. Puis les règles avaient changé. Une petite voix lui souffla que Laura avait tout tenté et avait été sanctionnée.
C’était bien la jeune femme courageuse qu’il connaissait. Ce même courage l’avait maintenu en vie.
Elle avait oublié le reste et il s’interrogea sur la possibilité d’un traumatisme amnésique. Là encore, il ne posa aucune question.
Elle posa sa main libre sur la sienne, l'emprisonnant entre ses doigts fins.
Puis, elle parla de cauchemars et de fantômes, cela n’avait aucun sens à ses yeux car il lui manquait tout le contexte mais à son tour, il posa sa main libre sur la sienne, comme s’il pouvait l’apaiser ou l’aider à en dire plus. Il voulait la voir libre de tout ça et bien qu’il se rende compte qu’il n’en avait pas le pouvoir, il voulait au moins essayer de l’aider.

Le nom de Miller arriva sur le tableau et il fut pris d’une frustration énorme qui enfla dans sa culpabilité. L’ensemble forma une boule en travers de sa gorge, une boule douloureuse qu’il se força à avaler. S’il avait écouté Miller dès le départ…alors il aurait été à ses côtés pour la retrouver et la situation aurait été bien différente.

Une nouvelle erreur de sa part qui se concluait par des conséquences désastreuses pour elle. Comme toujours.

Avalant sa salive, il se redressa lentement puis détourna le regard tant son infamie le rongeait.
Un moment, il observa le paysage droit devant lui, incapable de la regarder dans les yeux à nouveau. Il se serait frappé s’il le pouvait et il comprit alors, pourquoi Marika lui avait confisqué les sacs de frappe, pourquoi elle n’avait rien laissé en évidence de suffisamment dangereux pour lui, pourquoi elle ne le laissait plus sortir dans les bars. Dans cet état, elle ne connaissait que trop bien sa capacité à s’auto-saboter, à se mettre volontairement en danger, pour se punir. Elle l’avait vu de ses yeux, deux fois.

dégoûté par lui-même, il retira sa main et la glissa dans ses cheveux pour dégager son visage et surtout, pour tenter de se donner une contenance.

- C’est Miller qui t’a trouvé, finit-il par dire. A-t-on arrêté tes ravisseurs ? Est-ce qu’on sait pourquoi ils ont fait ça ?

La honte le poursuivrait jusqu’à la fin. Il ignorait tout de l’histoire, tout ce qu’on en avait dit. Et c’était peut-être mieux finalement, d’apprendre la vérité de sa bouche à elle que par des enfoirés de journalistes qui auraient déformé les propos pour les rendre encore plus spectaculaires.

La main manquante à ce puzzle vint s’ajouter sur la sienne. Le quatre mains était d’une perfection absolue, rassurant plus encore Laura qui s’épanchait sur quelques confidences, osant enfin affronter ses yeux clairs, la tentation de lui céder étant toujours là mais canalisée par ces gestes. Elle n’aurait pas fait face à cette blonde, quelques minutes plus tôt, elle aurait plongé dans ses bras sans réfléchir en pleurant à chaude larmes en lui demandant encore et encore de ne plus jamais la quitter. Elle se moquait, finalement, qu’il n’ait pas été là quand on l’avait retrouvée. Elle voulait juste que, maintenant qu’ils étaient à nouveau réunis, plus rien ne puisse les séparer. Mais la blonde aux sourcils froncés était là, la regardant avec un jugement qui empêchait fondamentalement Laura de céder à ses désirs les plus profonds.

Le regard de Julian s’échappa alors quand elle évoqua Miller. Elle ne sut réellement pourquoi, mais elle fronça doucement les sourcils, s’inquiétant de le voir dévier son regard d’elle pour la première fois alors qu’elle sentait son insistance encore quelques secondes auparavant. Il reprit l’une de ses mains, la passant dans ses cheveux longs. Elle avait toujours aimé quand il portait ces longues mèches, contraint de les couper par soucis médicaux à cause d’une mission qui avait mal tourné. Elle ne s’en souvenait que trop bien, redécouvrant l’homme qu’elle aimait, prête à lui ouvrir son cœur alors qu’il semblait être passé sous un rouleau compresseur. Ça avait été le début de tout. La suite de leur avenir. Elle avait pris soin de lui. Elle l’avait veillé toute une nuit, puis ils s’étaient retrouvés. Miller avait alors fini par relier les derniers morceaux de son puzzle. Cette coupe courte avait marqué la suite de leur relation.

Elle eut envie de venir jouer avec ces mèches châtains, elle aussi. De venir effleurer ses cheveux de ses doigts pour mieux les redécouvrir. Quatre années. Les avait-il seulement coupés une fois, depuis ? C’est Miller qui t’as trouvé. Elle hocha la tête un instant, avant que ne vienne le nouveau flot de questions. Ses ravisseurs. Pourquoi. Prenant une profonde inspiration, elle réprima un nouveau frisson. « Théoriquement… Ce sont les agents du FBI qui m’ont trouvée les premiers. Miller était dans une autre équipe et a été appelé pour… Pour que j’évite certainement de me débattre à tous va. » Elle était dans un état second. Elle ne semblait plus capable de faire la différence entre bon et mauvais. Même Miller avait dû s’armer de prudence face à elle, et de patience. Et quand enfin elle l’eut reconnu, elle s’était laissée tomber dans la quiétude de l’instant. « Il a essayé de m’expliquer comment ils ont eu vent de cette nouvelle piste mais je t’avoue que je n’ai pas tout compris. Je sais que Damian est impliqué, que c’est lui qui a bataillé pour que les choses se passent mais pour le reste… J’en sais rien. » Haussant les épaules, elle baissa à nouveau le regard. Quant aux autres questions. « Je n’ai pas accès aux rapports de l’enquête. Mais je crois qu’il n’y avait que moi sur les lieux. Quant au pourquoi… Banks a voulu trop en faire. Je crois que… Je ne sais pas pourquoi ils m’ont gardé en vie, en réalité. A leur place, j’aurais… Eliminé le problème à la base. »

Il se doutait bien que cela la mettrait mal à l’aise mais il était dévoré par la curiosité de comprendre pourquoi tout s’était enchaîné de la sorte. Pourquoi Banks avait été retrouvé mort alors qu’elle avait disparu ? Par moment il s’était surpris à penser qu’elle l’avait peut-être tué et il ignorait alors s’il devait en être effrayé ou fier.
Il était persuadé qu’elle s’était défendue, débattue et il espérait que son corps n’en ait pas trop souffert. Son regard se posa sur ce dernier, à la recherche d’un élément nouveau, d’une marque ou d’une cicatrice quelconque. En dehors de sa minceur, il ne vit rien mais il n’avait pas accès à tout et elle aurait bien été capable de lui cacher ce genre d’information.

Le FBI avait été sur le coup, il se souvint que Miller lui avait parlé d’agence gouvernementale. Il n’y avait pas cru, enfin, ce n’était pas tout à fait vrai. Il avait cru en leur présence, pas forcément en leur réussite. A ses yeux, elle était morte. Les derniers mots de Banks le lui avaient laissé penser.

Son souffle se raréfia lorsqu’elle mentionna l’idée de se débattre face à ses sauveteurs. Elle devait être sacrément déboussolée pour en arriver là. Toutefois, il ne pouvait que l’imaginer, Laura évitait les détails et il finit par se faire une raison tout en imaginant le pire. Était-elle attachée ? L'avaient-ils frappée ? Droguée ? Touchée ?
Toutes ses pensées le mettaient dans une rage folle et il se borna à inspire, respirer pour calmer le feu qui déjà commençait à le consumer.

Malgré les médicaments, malgré ce qu’il savait déjà, la colère courait dans ses veines, associée à son propre mal-être.
La mention de Wiesner lui mit un nouveau coup, Damian, le bon samaritain, l’ami précieux avait soulevé des montages pour elle !
Il avait réussi. C’était forcément plus facile avec tout ce pognon et un nom célèbre, songea-t-il avec mesquinerie. Lui n’avait pas autant de fortune, il n’avait pas de nom. Les ombres devaient rester invisibles et laisser la place à la lumière. Et puis, bien vite, il sentit l’aigreur dans son estomac, celle de la lâcheté et de l’échec.

Laura haussa les épaules, il serra les dents sentant la situation lui échapper. Ses exercices de respiration auraient du prendre plus d’ampleur mais il ne voulait pas montrer à Laura cette faiblesse. Il ne pouvait pas simplement se concentrer sur une expiration complète devant elle, comme ça. Elle aurait trouvé ça trop bizarre. Il souffra donc en silence, sentant l’air s’engouffrer avec difficulté et lorsqu’elle évoqua l’idée qu’elle aurait dû mourir, il explosa.

- Ne dit pas ça ! gronda-t-il.

Et le jogger qui passa non loin à ce moment là les regarda avant de ralentir sa course. Percevait-il une jeune femme en danger ?

- Putain ! S’emporta-t-il en donnant un coup de pied dans une pauvre branche morte gisant sur le sol.

C’était ridicule mais il avait besoin d’extérioriser cette colère et il n’avait rien à frapper.
Il se détourna d’elle, offrant son visage au ciel pour mieux respirer, posant ses mains sur ses hanches pour mieux s’ancrer dans la réalité.
Là, il respira profondément plusieurs fois et se rendit compte de la violence qu’il venait de lui montrer.

- Je suis désolé, finit-il par dire sans oser la regarder. Je ne voulais pas crier. Tu n’es pas responsable de tout ça.
Sa voix s’amenuisait à mesure qu’il parlait.

Non, tu n’es pas responsable. C’est moi.

Ne dis pas ça. Il avait lâché ses mains, son corps en tension ressemblant davantage à une bombe sur le point de libérer l’ensemble de son pouvoir destructeur. Et elle ne comprenait pas. Le grondement de sa voix lui avait glacé le sang, pourtant, ses yeux sombres se posant sur lui avec ce sentiment de terreur qui ne la quittait plus vraiment depuis qu’elle avait été placée entre ces quatre murs qui la condamnaient à l’obscurité. Allait-il la frapper ? Non. Bien sûr que non. C’était Julian et quand bien même il avait parfois besoin d’extérioriser toute cette rage par les coups, ils ne s’en prendraient jamais à elle, pas même si elle était à l’origine d’une offensive contre lui. Il encaisserait, la laisserait faire, quitte à se venger ensuite sur un sac ou des coussins. Cela, elle l’en savait capable.

Alors, rageusement, il asséna un coup de pied à une branche malheureuse qui n’avait pour seule faute que de se trouver sur sa route. Putain. A nouveau, elle frissonna, s’écartant d’un pas, lui laissant l’espace nécessaire pour exploser. Laura essayait de comprendre ce qui avait pu mettre le feu aux poudres. Elle avait évoqué Miller, le FBI, Damian… Et elle avait évoqué sa mort qui n’avait pas pris place, de façon incompréhensible. Était-ce cela ? Elle savait ce que Julian avait cru durant tout ce temps, Miller lui expliquant son absence de façon édulcorée. Elle ignorait tout ce qu’il s’était passé cependant, entre eux.

L’observant, doucement craintive, animal blessé qui avait le sentiment d’avoir réveillé un loup, elle déglutit avec force. « Julian… ? » Ses mains tremblaient, elle le savait. Et si ses mains commençaient à trembler… Le reste ne tarderait pas alors que son corps lui transmettait des signaux qui annonçait la levée d’une crise. Respire. Elle ne pouvait pas. Pas là. Pas maintenant. Pas au milieu de ce parc où la foule ne tarderait pas à se créer. Respire, bordel. Inspire. Expire. Recommence. Instinctivement, ses bras s’étaient recroisés sur sa poitrine. Elle n’avait pas perçu, encore, les regards qui s’étaient posés sur eux, curieux, interrogatifs.

Il lui fallut un instant pour se reprendre, pour laisser cette vague de rage redescendre. Je suis désolé. Je ne voulais pas crier. Tu n’es pas responsable de tout ça. Les tremblements remontaient le long de ses bras à mesure que le temps passait. « Julian, je… » « Hey… Tout va bien ? » Surprise, elle tourna la tête vers ce jogger inattendu qui s’avançait vers eux, visiblement en train de se méprendre sur les intentions de Julian… Ou sur l’ensemble de la situation. Ses yeux s’écarquillaient alors qu’elle le regardait, ouvrant la bouche. Merde. Elle donnait l’impression de quoi, là ? D’être un agneau blessé, c’est ça, que le loup allait dévorait ? Cillant rapidement, avisant l’inconnu, puis Julian, puis l’inconnu à nouveau, elle finit par laisser un sourire se plaquer sur ses lèvres. « Parfaitement. Merci. » Il sembla l’observer avec plus d’attention, comme décryptant le fond de ses pensées. Alors, Laura s’en était retournée à Julian, ses mains s’emparant de son bras, s’accrochant à lui comme à une bouée de sauvetage.

Il fallait donner le change mais, fort heureusement pour eux, l’homme ne chercha pas plus loin, adressant un léger geste de main en guise d’excuses au couple étonnant qu’ils formaient tous deux. Continuant de se ventiler avec effort, elle chercha son regard. « Je ne l’ai pas dit parce que c’est ce que je voulais, Julian… » Elle avait fini par désirer la mort, affligée par l’idée de finir ses jours dans une boîte. Mais ce n’était venu que dans la dernière année. Et elle n’en avait alors eu ni la force, ni les ressources. « Je ne comprends pas encore leurs motivations de me garder de la sorte… Combien de temps cela aurait-il encore pu durer, je n’en ai pas la moindre idée. Ce… Ce sont les seuls responsables, Julian. Eux. Banks. Et il nous manque encore trop de pièces à ce puzzle pour comprendre ce que ça veut dire. »

Soupirant, elle avait légèrement desserré ses doigts encore tremblants. Ils trembleraient certainement jusqu’à l’explosion de son être se perdant dans l’angoisse, bien qu’elle ne puisse en estimer le moment. « Est-ce qu’on peut… Changer de sujet ? » Elle laissa ses yeux retomber sur le sol, soupirant doucement. « Je n’ai pas envie que tu… Que tu sois en colère. » Et puis… N’avait-il pas aussi nécessité de répondre à des questions ?

Derrière lui, elle prononça son prénom et il ferma les yeux aussi fort qu’il le put. Incapable de la regarder en face, il refoula autant que possible les derniers soubresauts de colère persistante.
Son corps n’était que vibrations, ondes entrechoquées qui perturbaient sa raison.
Hurler n’était pas la solution à ses maux, s’en prendre à elle encore moins.

Il s’en voulu malgré la demande de pardon et craignait à présent sa réaction. Si elle décidait de partir…Essaierait-il de la rattraper ? Son cœur le voudrait sans aucun doute mais sa raison ? Ne serait-elle pas plus en sécurité sans lui puisqu’il n’arrivait à rien pour la protéger.

La voix d’un homme l'interpella et il se retourna vivement. De quoi est-ce qu’il se mêlait celui-là ?
Il sentit la colère battre ses veines pour mieux le pousser à rétorquer et à l’envoyer chier.
Laura régla le problème bien mieux que lui cependant, elle sourit et assura à l’inopportun que tout allait bien.
Julian serra les dents en comprenant que l’autre avait cru à une agression.
Décidément, il râtait vraiment tout.
Peut-être valait-il mieux mettre un terme à tout ça avant qu’il ne prononce des paroles insensées, qu’il regretterait jusqu’à la fin de sa vie. Oui, ce serait sûrement mieux.

C'est alors que Laura s’accrocha à son bras, elle tremblait et respirait fort mais elle ne le quittait pas des yeux et il fut forcé de faire de même.
Il était désolé, sincèrement désolée de la mettre dans une telle situation.
Elle le rassura, lui assurant qu’elle n’avait pas appelé sa mort de ses vœux puis mis un point final à cette conversation.
Ainsi il apprit qu’elle ignorait tout de ses ravisseurs, qu’il lui manquait des éléments pour découvrir la vérité. Le FBI était-il encore sur le coup ? Laura était-elle protégée ?

Ce sont les seuls responsables Julian. Eux. et Banks.
Ses lèvres affichèrent un vague sourire désabusé, presque sarcastique. Elle se trompait, il y avait un autre responsable à sa détresse et à quatre années de sa vie volée.
Lui.
Julian Blake. Responsable de la sécurité qui avait failli à sa mission.

A présent, elle avait desserré ses doigts autour de lui et avait demandé à changer de sujet, mais elle tremblait toujours, il le sentait. Il ferait comme elle le voudrait et tairait donc ses questions.

Je ne veux pas que tu sois en colère.

Il fronça les sourcils. Pourquoi cherchait-elle à épargner ses émotions ? Pourquoi souhaitait-elle qu’il puisse se sentir bien ? Cela n’avait pas de sens.

- Je ne peux pas ne pas être en colère Laura. Mais je peux…faire l’effort de ne pas l’être face à toi. Je ne voulais pas t’effrayer, c’est juste que…que...

Les mots se bousculaient mais rien ne sortait. Il la regarda encore et le temps sembla s’arrêter une fraction de seconde. La peur traversait encore ses pupilles et il se sentit subitement submergé par le besoin de prendre soin d’elle. Là, maintenant, tout de suite. La force d’attraction devenait impossible à combattre. Alors sans réfléchir, il enlaça ses épaules et la serra contre lui, posant la ligne de sa mâchoire sur le haut de la casquette. Il se fichait bien de la décoiffer, il voulait juste la sentir là et calmer les tremblements. Il voulait lui apporter toute la chaleur dont il disposait.

- Pardonne moi, murmura-t-il avec une ferveur inconsidérée.
Ce pardon représentait bien plus que ces simples cris, il y avait une dimension supérieure en cet instant, une dimension plus profonde liée à tout ce que lui-même ne se pardonnait pas et qu’il ne se pardonnerait probablement jamais.

Il ferma les yeux suffisamment fort pour ravaler l’humidité qui menaçait de s’inviter et écouta le cœur de Laura battre contre lui symbole de sa vie bien présente. Il se concentra sur son souffle et ressentit son corps se soulever entre ses bras, balayant presque ces quatre années de douleur et d’incertitude.

Respire. Il fallait que quelque chose change dans leurs retrouvailles. A choisir, elle aurait préféré qu’ils puissent parcourir le parc joyeusement, tout sourire. Mais comment cela aurait-il pu être ? Comment, après tout ce qu’ils avaient vécu, pouvait-elle encore songer à cela ? Elle aimerait que tout soit comme avant, oui. Elle aimerait pouvoir retourner sur cette île et reprendre les choses là où elle les avait laissées. Quel beau rêve cela pourrait-il être…

Les yeux rivés à terre, elle n’espérait plus que le voir s’apaiser et les conversations partir vers d’autres sujets plus légers. Y en avait-il seulement, de la légèreté dans les échanges à venir ? Elle lui parlerait du mariage de Damian… Mais cela l’agacerait. Et puis, au fond, ce mariage, elle n’avait qu’à demi envie d’y aller, se sentant si seule au milieu de tous ces gens qui, pourtant, avaient un jour côtoyé son monde. Alors elle tenterait de lui parler de l’Australie et de ce choix de vie… ? Mais la blonde aux yeux inquisiteurs reviendrait sur le plateau, quoiqu’il arrive. Et Laura savait que, cette partie-là, elle ne pourrait la supporter sans avoir envie de s’achever… Ils tournaient en rond. Peut-être tout ceci n’était que voué l’échec ? Peut-être n’avaient-ils aucun futur ensemble, contrairement à ce qu’elle avait toujours rêvé.

Je ne peux pas ne pas être en colère. Elle planta ses incisives dans sa lèvres inférieure, déglutissant avec peine, son corps commençant à suffoquer de plus belle, l’étau se resserrant autour de son être. Faire l’effort de ne pas l’être face à toi. Comme avant. Comme lorsqu’il frappait avec rage ce foutu sac à s’en abîmer les mains, provoquant en elle un sentiment d’impuissance certain. Elle aurait tant aimé être capable de panser toutes ses plaies par sa simple présence. Elle avait cru être celle qui possédait ce pouvoir sur lui et pourtant… Elle avait tort. Intérieurement, alors, elle pria pour que cette Marika puisse lui offrir ce qu’elle était incapable de lui donner.

Les mots ne trouvaient plus de sortie dans sa bouche. Il ne savait plus comment dire les choses. Alors elle releva les yeux vers lui, essayant de lire dans ses prunelles tout ce qu’il ne parvenait pas à dire. Et la connexion se fit. Plus forte que ses principes. Plus forte que tout. Là, dans le creux de ses yeux, elle se vit si vulnérable, si fragile… Et pourtant si bien. Il ne prévint pas, ses mains s’agitant alors pour que leurs corps se retrouvent enfin. Machinalement, Laura s’était blottie contre lui, l’un de ses bras se frayant dans son dos pour nouer également cette étreinte, pour lui montrer comme elle l’acceptait. Sa tête retrouva la place qui était la sienne, contre son torse, ses doigts tiraillant sur son T-Shirt alors qu’il lui semblait être à nouveau possible de respirer.

Pardonne-moi. Les mots achevèrent de l’ébranler, les larmes venant brûler ses yeux pour mieux glisser sur ses joues. Fermant les paupières, elle sentit l’angoisse quitter son ventre, l’imaginant sortir d’elle dans le nouveau soupir de contentement qu’elle poussa. C’était comme lorsqu’elle faisait ses visualisations. Julian l’encerclait de ses bras, la protégeant contre le reste du monde. Mais cette fois-ci, son esprit n’avait pas à faire l’effort de l’imaginer, puisque c’était vrai.

Elle ignorait ce qu’il souhaitait se faire pardonner. Cette colère ? Son absence lors de la mission ? D’avoir cru qu’elle était morte ? De ne pas avoir su empêcher tout ça ? De ne pas l’avoir attendue pendant toutes ces années ? Et de quoi le blâmait-elle, sur tout ceci ? De rien. Rien n’était de sa faute. Elle avait déverrouillé cette porte. Elle avait échoué dans les négociations. Elle avait échoué dans son échappée. Et elle ne pouvait décidément pas l’empêcher d’avoir vécu durant ces quatre années. « Tu es tout pardonné, Julian… Ne me lâche pas, je t’en prie. » Car s’il ouvrait son étreinte, elle avait peur de s’envoler tant elle se sentait soudainement légère. Et pourtant, elle n’était plus celle à qui étaient destinés ces bras. Alors elle souffla. « Juste une minute, s’il te plaît. » Inspirant profondément, elle redécouvrit mille sensations. L’odeur de son corps, sa corpulence qui lui semblait avoir bien changé, maintenant qu’elle y songeait… Ce menton, posé sur sa tête. Soupirant à nouveau, elle resta blottie contre lui ses muscles se décrispant un à un. Elle aurait pu tout lui raconter, ainsi. Elle aurait pu lui décrire ce qu’elle avait en mémoire, mais savait aussi que les choses ne seraient pas les mêmes si elle le faisait. Alors, elle se contenta de garder le silence et de graver l’instant dans sa mémoire pour s’en nourrir dès qu’elle en aurait besoin.

Laura contre lui, l’univers semblait reprendre sa place. Tout lui apparut subitement si simple et à la fois terriblement compliqué. Les corps se souvenaient de la chaleur, du contact, de l’alchimie qu’ils avaient connu. C’était puissant et dangereux.
Terriblement dangereux. N’était-ce pas à cause de cette alchimie qu’il avait failli à sa mission ?
Pourtant lorsqu’il sentit la façon dont elle tiraillait son t-shirt, cela réveilla quelque chose en lui. Une envie latente, un besoin primaire et délicat. L’envie d’être touché, le besoin d’être comblé.
Les yeux clos, son corps tout entier frissonna à ce simple contact, ranimant son être tout entier comme s’il revenait d’entre les morts.
C’était Laura la présumée décédée mais il n’était pas loin de l’être lui aussi. Parce que sa mort avait entraîné la sienne et l’espace d’un court instant il crut que sa résurrection le réanimerait lui aussi. L’espoir se dévoilait telle une flamme vacillante et fragile.

Son souffle s’était apaisé, sa colère s’était tapie non loin, domptée. Il lui sembla que Laura ne tremblait plus. La chaleur de l’étreinte se diffusant lentement entre eux, ravivant les souvenirs du passé. Il pouvait les voir, dans sa mémoire, ensemble, heureux quand bien même tout le monde ignorait leur lien. Il s’en fichait, il n’avait besoin de personne pour exister tant qu’il existait pour elle. Leur secret faisait parti de tout ce qu’ils partageaient.
Tu es tout pardonné Julian.

Son souffle se coupa et il tenta de retenir ses larmes face à cette phrase salvatrice, en vain. Une évadée traça son chemin lentement le long de sa joue, s’arrêtant à la barrière de sa barbe de trois jours.
Elle ne pouvait le voir mais ces paroles avaient le pouvoir de le soigner, même s’il n’y croyait qu’à moitié. Oh une part de lui souhaitait boire ses mots sans retenu mais une autre plus fourbe savait qu’elle parlait sans savoir.
Elle le supplia de ne pas la lâcher et pour toute réponse il renforça son étreinte. Il aurait pu la garder pour l’éternité juste ainsi, même s’ils devenaient la risée du parc.

Oui, il n’aurait échangé sa place pour rien au monde, là, à respirer l’odeur de ses cheveux à travers le tissu de sa casquette, à ressentir l’espace qu’elle comblait entre ses bras, à deviner la douceur de sa peau.

Juste une minute demanda-t-elle encore. Et il s’executa, incapable de lui refuser quoique ce soit.

Ils restèrent là, debout l’un contre l’autre, le temps qu’il fallut pour les apaiser. Les passants les regardaient intrigués, certains chuchotant, d’autres gloussant face aux émotions qui se dégageaient de la scène. Il s’en fichait, totalement coupé du monde, ce dernier se réduisant à celle qu’il tenait dans ses bras.
Le temps passa et l’instant du prendre fin.
Le souffle de Laura s’était apaisé et sans oser la quitter, il demanda

- Tu veux prendre un café ? Il y a un kiosque un peu plus loin.

Il ouvrit les yeux et s’il fut d’abord attiré par le balancement léger des branches d'eucalyptus, il remarqua les regards et se rendit compte qu’ils s'étaient arrêtés en plein milieu du chemin.

- Tout le monde nous regarde, murmura-t-il à la fois amusé mais quelque peu gêné.

Et ce n’était certainement pas une bonne chose pour une jeune femme qui souhaitait garder l’anonymat. Cependant, il ne voulait pas la brusquer et la laissa prendre la décision de se détacher, supportant les regards sans broncher.

Une minute pour l’éternité. Elle avait ressenti son étreinte se faire plus forte alors qu’elle le suppliait de ne pas la laisser partir, respirant à nouveau, sanglotant silencieusement et dans un calme olympien alors qu’elle restait contre lui. La chaleur qui émanait de lui vint réchauffer sa carcasse maigre. Laura aurait aimé pouvoir s’enfuir avec lui, se soustraire au reste du monde ainsi, dans ses bras.

Tu veux prendre un café ? Toutes les propositions du monde n’auraient su lui faire lâcher prise. D’ailleurs, Julian s’était enquit de la chose auprès d’elle, incapable pour autant de desserrer son étreinte, parlant simplement pour meubler le long silence qui s’était installé après tout ceci. La tempête s’était montrée, orage grondant pour se faire remarquer et pourtant, les éclairs n’avaient su fendre leur ciel, appelé à l’accalmie par ce geste qu’il avait initié, par ces mots d’une profondeur infinie. Ils étaient destinés à cela, c’était tout.

Tout le monde nous regarde. Ouvrant doucement les yeux, elle jeta un œil à la situation, murmurant tout de même quelques mots. « On s’en fiche. Ils ne savent pas ce que tout ça veut dire. » C’était vrai. Ils ne pouvaient pas mesurer l’importance de ce geste, de ces retrouvailles, le besoin mutuel de s’étreindre. Elle agissait comme une enfant car, au-delà de son âge, Laura était encore une enfant quelque part au fond d’elle. Reniflant doucement, elle finit par se détacher doucement de lui, utilisant sa main libre pour venir frotter ses joues, la tête baissée pour qu’il n’ait pas à assister à ce triste spectacle. Se raclant la gorge, elle finit par soupirer. « Je ne bois toujours pas de café… C’est même déconseillé vu que j’ai… Un sommeil agité. » Des insomnies à répétitions, des terreurs nocturnes… Il n’y avait pas une nuit de tranquillité. On cherchait plutôt à trouver un moyen de l’apaiser durablement, mais rien ne fonctionnait. Les cris finissaient toujours par secouer l’aile de la clinique dans laquelle elle avait été placée, alertant le personnel soignant, réveillant les autres convalescents.

Relevant ses yeux rougis vers lui, elle lui offrit un léger sourire. « Et de mémoire… L’Anglais que tu es m’avait fait tout un laïus sur l’English Breakfast… » Dans cet arbre, loin de tout. Elle avait été égoïste, pour changer, il avait réclamé sa part de la boisson aux plantes, lui rappelant ce qu’était le partage. Ils avaient alors su échanger sur cette boisson et sur celle adaptée au petit déjeuner. Quelques mois plus tard, Laura s’était retrouvée dans son appartement, après une nuit douce à partager ses draps, et Julian avait su lui offrir la boisson évoquée alors que l’aurore se montrait.

Machinalement, la main longea son avant-bras pour retrouver ses doigts, les encerclant à nouveau des siens. « Et si les Australiens ont renoncé au thé… Eh bien je me contenterai d’un lait chaud ou d’un chocolat. » Mieux valait se remettre en marche, ne pas laisser aux curieux l’occasion de la reconnaître et de donner aux journalistes du grain à moudre sur son compte. Mais, d’un autre côté… Qui s’attendrait à voir Laura Masrani en Australie alors qu’elle était supposée se trouver dans une clinique en Alaska ? Le cœur allégé, la folie de l’étreinte étant encore présente dans son esprit, elle finit par retourner la recherche d’informations. « D’ailleurs… L’Australie ? je pensais que tu serais plutôt retourné en Angleterre… » Était-ce à cause de… Marika ? A cette pensée, elle resserra un peu plus ses doigts, craignant ce qu'il pourrait bien dire.

Julian sentit que Laura s’était à peine dégagée, juste pour observer à son tour les curieux qui les regardaient. Sa réaction le fit sourire. Elle s’en fichait, lui pas vraiment. Qu’adviendrait-il d’eux si des gens la reconnaissaient ? Prenaient des photos ? Julian ne voulait pas faire la une de la presse et encore moins des tabloïds. Il les avait en horreur.
Elle avait raison sur le deuxième point en revanche. Ils ignoraient ce que leurs retrouvailles voulaient dire. Oui, nul ne savait à quel point cette embrassade sonnait comme une résurrection pour eux deux et à quel point ils en avaient besoin, tous les deux.

Lorsqu’elle se détacha, il eut le sentiment que le vide qu’elle avait laissé durant ces quatre années reprenait place. Il aurait voulu ne jamais avoir à la lâcher mais les choses avaient changé. Plus rien ne serait comme avant, il le savait. Même aujourd’hui, même s’il se sentait vibrant de la retrouver, elle n’était probablement plus la Laura de 2019. Lui-même n’était plus le Julian de cette époque.
C’était un peu triste de ne vivre que dans le passé. Et c’est ce qu’il faisait depuis quatre ans. A présent qu’elle était là, il voulait…il voulait avancer.
Cette réalité le frappa soudain. Ce que Marika essayait de mettre en place depuis trois ans venait de se produire avec une simplicité déconcertante par la simple présence de l'Indienne.

Le son léger d’un reniflement le ramena à Laura. Elle pleurait ?
Toute son attitude indiquait qu’elle souhaitait cacher son visage et il la laissa faire. Son comportement l’avait déjà ébranlée quelques minutes plus tôt, il ne voulait pas réitérer.
Pour la première fois depuis…quatre ans, il souhaitait prendre des précautions pour s’assurer d’être délicat.
Elle lui annonça ne pas boire de café et énonça un problème de sommeil agité. Il eut envie de lui dire que ses nuits n’étaient pas de tout repos non plus mais se retint. Elle n’avait pas besoin de le savoir. Il lui arrivait de cauchemarder, de la voir morte gisant à ses pieds. Combien de fois avait-il rêvé qu’il essayait de la sauver ? Toutes ses illusions se soldaient toujours par la même fin. Laura mourrait et il la contemplait, impuissant.

Lorsqu’il ne cauchemardait pas, il restait incapable de dormir, le regard rivé sur le plafond à ressasser sa vie. Ces introspections étaient les pires. Il s’en relevait toujours difficilement, convaincu qu’il ne méritait pas de respirer. La remontée était longue et prenait des jours entiers.
Il chassa ses idées sombres pour se concentrer sur elle. Elle avait les yeux rougis mais un sourire était affiché sur ses lèvres.
Ce dernier trouva un écho certain sur son visage lorsqu’elle mentionna ses origines anglaises et sur le cours qu’il lui avait offert dont le sujet (très sérieux) était le thé du matin.

Et si les Australiens ont renoncé au thé… Eh bien je me contenterai d’un lait chaud ou d’un chocolat.

A nouveau il sourit alors qu’elle glissait ses doigts dans les siens.

- Ils auraient mieux fait d’y renoncer crois moi. C’est une catastrophe. Je fais venir mon thé directement depuis Londres.

Ils se remirent en marche et bientôt l’immense lac se dévoila sous leurs yeux. Les rives étaient recouvertes d’herbe verte et de grands arbres bordaient le chemin. C’était bucolique à souhait, apaisant aussi.

Julian ne parlait pas, savourant ce moment d’accalmie après la tempête, évitant scrupuleusement de remettre de l’huile sur le feu. Laura le fit à sa place. Elle avait raison, il aurait dû retourner en Angleterre et allait devoir le lui expliquer. Il porta son regard loin devant eux pour éviter de la regarder et se lança.

- C’est ce que j’avais prévu de faire. Enfin, c’est plus compliqué que ça mais oui, je comptais rester à Londres.

Avant ça je voulais m’engager et noyer mon chagrin dans des missions humanitaires avec des ONG mais on m’a recalé. Il ne pouvait pas lui évoquer cette période sombre. C’était trop dur, trop douloureux et surtout trop honteux.

- Mais figure toi que mon géniteur que je n’ai jamais connu m’a laissé un cadeau sur son lit de mort. J’ai donc découvert que j’avais un demi-frère riche qui me déteste et un immeuble à mon nom ici à Melbourne. Me voilà donc rentier. Incroyable pas vrai ?

Il eut un petit sourire gêné. Rentier, c’était tout sauf lui. Cet argent, il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait en faire. Alors, il en donnait une partie à des associations diverses parce qu'il n’avait pas besoin de tout ça pour vivre. En réalité, l’appartement qu’il avait récupéré dans l’immeuble était déjà équipé et meublé. Ses effets personnels tenaient dans une valise. Il n’était attaché à rien ici. En dehors de Marika. Serait-elle suffisante pour le contraindre à demeurer en Australie ? Il n’en avait pas la moindre idée, encore moins maintenant que Laura avait ressuscité.

C’était étrange. Elle n’avait que trop peu côtoyé Julian en dehors d’Isla Nublar et voilà qu’ils se tenaient par la main et qu’ils se promenaient comme un jeune couple, à travers le jardin botanique. La seule fois où ils s’étaient retrouvés ensemble, loin de l’océan pacifique, c’était lors de cette soirée hors du temps passée à Londres. Cette surprise qu’il lui avait fait avait été un rayon de soleil dans sa sombre existence. Les souvenirs revenaient, peu à peu, se faisant une place parmi les différentes hallucinations qu’elle avait pu avoir pendant sa séquestration. Laura peinait à retrouver ce qui s’était réellement passé et ce que son esprit avait façonné pour la protéger. Malheureusement, ce n’était pas comme si quelqu’un pouvait l’aider à ce niveau, seule face à son histoire passée, Miller pour seul phare dans sa nuit afin de l’aider à retrouver la piste de cet homme qui aidait son cœur à battre plus fortement, plus confortablement.

Elle se laissa aller à un rire quand il souligna que les Australiens n’étaient pas de bons sommeliers quand il s’agissait de thé. Le faire venir de Londres devait être onéreux… Finalement, en marchant, ils se retrouvèrent face à cette grande étendue d’eau qu’elle contempla longuement, le soleil et ses rayons matinaux se reflétant sur l’onde calme et paisible du lac. Pourtant, trop de choses demeuraient encore sous silence. Sa vie à lui. Cette femme. A quel point tout ceci pouvait être sérieux… Laura n’avait besoin que de quelques réponses, après quoi, elle saurait tirer les conclusions nécessaires pour connaître sa place à ses côtés.

C’est ce que j’avait prévu de faire. Haussant les sourcils, elle le regarda, intriguée. Qu’est-ce qui avait bien plus contrarier ses plans… ? Était-ce… Elle ? Son cœur se serra un instant à la simple idée qu’il ait pu tout quitter pour une femme qui n’était pas elle. Préférant garder les yeux rivés sur le paysage plutôt que d’affronter son regard à cet instant, elle finit par écarquiller les yeux, le regardant comme s’il venait de sortir la plus grande blague de l’histoire. Me voilà donc rentier. « Que… Quoi ? » Elle le dévisagea un moment, alignant les pensées dans son esprit. Cela faisait plusieurs informations dans son cerveau déjà en ébullition. Premièrement… Son père n’était donc pas mort. Enfin. Maintenant, il l’était, mais à l’époque… Et mieux encore, il avait un demi-frère… Avec qui les relations semblaient tendues. Deuxièmement, Julian était devenu un héritier. Quelqu’un qui possédait donc des biens, un patrimoine… Quelqu’un qui pouvait mieux la comprendre ? « C’est pas incroyable, c’est… Complètement délirant. » Pas plus délirant que d'être retenu contre son gré dans un bunker, à la réflexion. Elle cilla, s’humectant les lèvres pour essayer de développer un peu plus ses pensées. « Attends mais… Tu as un frère ? Et… Ta famille était riche ? Tu aurais le nom de famille de ton père ? » Oh, pitié, faites qu’elle ne connaisse pas son frère, d’une manière ou d’une autre. Ce serait terriblement gênant, ça, non ? « Propriétaire… Rentier… Wow, si je m’étais attendue à ça… J’imagine que tu as déjà quelques conseillers pour t’aider dans la gestion de tout ça et que je ne te serais même pas utile… » Essayait-elle de retrouver une place dans sa vie via ces quelques mots ? Rien de moins sûr. En revanche, elle réalisa une chose. Une chose qui la fit rire, peu à peu. « Merde… Julian, à l’heure actuelle, ça fait de toi… Le plus riche de nous deux. J’ai bien peur que tu sois en charge de l’achat des boissons. » Reprenant son souffle et son calme après une hilarité libératrice, elle finit par hausser les épaules. « Le plus dur, quand on ressuscite… C’est de l’expliquer aux banques. » Et aux institutions officielles, plus globalement...

La surprise devait être grande pour Laura. C’était complètement compréhensible. Lui-même n’avait pas cru les paroles de ce Jared Walker lorsqu’il l’avait rencontré. Il faut dire qu’il était plutôt mal tombé. Julian sortait de Jurrassic World depuis peu avec l’idée fixe d’avoir tout perdu. Il venait de rentrer dans son appartement à Londres, récupérer ses maigres affaires puis décoller pour l’armée ou la prochaine mission humanitaire sur un terrain plus que risqué.
Il ne voulait plus vivre mais n’avait pas le courage d’en finir par lui-même.

Alors Jared lui avait montré les papiers et toute sa mauvaise volonté. Visiblement il n’était pas enchanté d’apprendre qu’il avait un demi-frère depuis tout ce temps, ni même que leur père avait menti jusqu’à la fin de sa vie. Sa femme n’était a courant de rien, il avait convaincu son fils sur son lit de mort de retrouver cet enfant illégitime. Et Jared l’avait fait.
Pas pour son père, et encore moins pour lui mais pour épargner sa mère qui ne méritait pas de se prendre une telle bombe dans la gueule.
Julian avait promis de ne pas interférer dans la vie des Walker. D’une part il n’avait pas que ça à faire et de deux, il n’en avait rien à foutre.
Au début, il avait même envisagé de refuser tout ça mais Jared lui avait clairement mentionné que s’il refusait, les notaires feraient un recours auprès de la veuve Walker. Julian s’était incliné, avait récupéré les papiers de l’immeuble et avait fermé sa gueule.
Depuis, il n’avait plus aucune nouvelle et ça lui convenait très bien.

- Un demi-frère, la reprit-il. Un petit con qui me déteste, forcément, je suis l’enfant illégitime, l’enfant de la honte !

Il faisait des emphases exprès car il s’en foutait royalement. Cet immeuble aurait pu servir bien plus tôt, lorsque sa propre mère, seule et abandonnée, avait dû élever son fils sans l’aide de personne. Où était le géniteur à ce moment-là ? Trop occupé dans sa vraie vie de famille en Australie.

- Disons que j’ai passé un accord avec mon demi-frère pour disparaître afin de ne pas éprouver maman Walker qui ignore tout.


Il haussa les épaules. Elle parlait de frère, de famille, de père mais pour lui, ces gens n’étaient rien. Des noms sur des bouts de papier. Sa famille, c’était sa mère et elle était décédée.
Quatre années plus tôt, il avait espéré que Laura et lui deviennent leur propre famille. Après tout, il n’avait besoin de rien d’autre. Laura, lui. Et un mégalodon éventuellement.
Ou, Laura lui suffisait.
Aujourd’hui, tout avait changé mais quand il la regardait comme il était entrain de le faire, il avait du mal à imaginer sa vie sans elle.
C’était comme si, Laura était le fil conducteur de son existence. Son fil d’Ariane à lui. Sans elle, il était perdu dans un labyrinthe sans fin et sans saveur.

Elle s’emballait tellement à l’idée qu’il soit rentier ou propriétaire ou même riche qu’il se sentit la nécessité de remettre les choses en place.

- On parle d’un immeuble Laura, pas d’un empire, se surprit-il à rire.

Elle était mignonne lorsqu’elle faisait montre d’autant d’enthousiasme et carrément belle lorsqu’elle riait aux éclats juste comme elle le faisait à ce moment précis.
Ses yeux pétillaient et l’espace d’un instant, il eut l’illusion que s’il n’y avait pas eu ces incidents, c’est ainsi qu’ils vivraient aujourd’hui.
Libres de se promener main dans la main, en riant et en profitant l’un de l’autre, en Australie ou ailleurs, peu lui importait.

- Je suppose oui. Comment ça se passe concrètement ? Qu’advient-il de Masrani Global ? Après ta…disparition (putain que c’était dur de le dire), Richer Wiesner a pris le relais. Il a licencié tout le monde je crois mais je ne sais pas exactement dans quelles mesures. J’avais déjà démissionné.

Il déglutit en souvenir de ces moments pénibles. Cette fois-ci, elle n’avait pas été là pour l’empêcher de le faire.

Demi-frère. Il la reprit rapidement, insistant sur cette subtilité qui en disait tout aussi long sur la possible relation qu’il avait alors créé avec cet autre homme que l’insulte qui suivi. Je suis l’enfant illégitime. Elle ne voyait pas cela comme ça, elle. Les lèvres doucement pincées, elle détaillait son expression alors qu’il se délestait de ces mots, faisant certainement une révélation plus grande encore que son propre retour d’entre les morts. Bordel, mais qu’est-ce qui ne s’était pas passé, ces quatre dernières années ? Damian avait trouvé une fille des plus sympathiques et ayant les pieds sur terre, Julian se découvrait une famille… Et puis quoi ? Miller était devenu papa et attendait le bon moment pour faire cette révélation ? Elle envisageait de le passer au détecteur de mensonge sous interrogatoire pour de bon.

C’est plus compliqué que ça, en réalité. Le contraire aurait été étonnant, en réalité. Elle-même se cachait derrière ces phrases sans aucun sens qui n’étaient là que pour dissimuler d’autres secrets. Soupirant doucement, elle accusa la chose, visualisant soudainement l’autre Julian, celui qu’il était devenu après tout ce temps. Pour la première fois, ce fut comme si elle ne le reconnaissait plus, comme cela s’était également fait avec Damian. Il s’agissait bien de ces mêmes hommes qui avaient croisé sa route, quatre années plus tôt, mais leur évolution sans elle avait créé quelque chose qu’elle ne parvenait pas encore à cerner. Seule cette main dans la sienne lui permettait de croire encore à la réalité de ce qu’ils avaient pu vivre. Walker. Un nom finalement trop répandu pour qu’elle puisse l’identifier à quelqu’un en particulier bien qu’il sonnait étrangement familier à son oreille, sans qu’elle ne puisse en comprendre le pourquoi.

On parle d’un immeuble, Laura. Il riait, se moquant doucement d’elle qui plissa naturellement les yeux pour mieux le regarder avec intensité. « Rome ne s’est pas faite en un jour… Il faut bien commencer quelque part même si… Te connaissant, je doute que l’ambition n’aille si loin. » Julian n’avait rien d’un bureaucrate, d’un homme qui s’enrichissait sur le dos de centaines d’autres qui travaillaient à créer du profit pour lui. Déjà là, le statut de rentier sonnait comme une insulte dans sa bouche. Travaillait-il ? Evidemment, non ? Julian ne pouvait pas rester inactif, c’était insensé…

Alors oui, il était finalement mieux loti financièrement qu’elle, à cette seconde. Comment ça se passe concrètement ? Un long soupir accueillit ses questions, le regard de Laura se promenant sur le lac qu’ils commençaient à contourner dans leur promenade. « Dans mon malheur, ma chance est d’avoir cette histoire entière qui a été médiatisée. Je ne suis pas encore au courant de tout, en réalité, je n’ai pas encore croisé Richard. » On le disait trop occupé par la gestion de toute cette situation et elle pouvait le comprendre et, pourtant, d’un autre côté, elle avait le sentiment qu’il l’évitait soigneusement. « Il était mon héritier administratif en ce qui concerne Masrani Global. Donc à ma disparition, il a assuré la gérance et présidé au conseil d’administration. Et puis, quand on m’a déclarée… Morte, eh bien… C’est tout simplement devenu son entreprise. Finalement, ça fait moins d’un an mais les démarches administratives, tu t’en doutes, prennent du temps, y compris quand il faut faire marche arrière. Surtout quand il faut prouver qui je suis et rappeler à l’administration américaine que je ne suis, en fait, pas encore partie rejoindre mon père. » Et c’était d’une pénibilité grandissante, de devoir justifier de sa propre existence, de sa propre survie. Parfois, elle avait le sentiment qu’on lui reprochait presque d’être revenue. Heureusement, elle était merveilleusement entourée et d’autres étaient en charge de tout ça. « Déjà, je suis officiellement revenue d’entre les morts. C’est aussi pour ça que je n’ai pas pu venir plus tôt : je n’avais plus de passeport, aussi bête cela puisse paraître. » Elle sourit en coin, lui adressant un regard de biais. Bon, elle avait dû également prendre le temps de savoir où il se trouvait mais, le pensant à Londres, les démarches avaient été lancées.

« Je t’avoue que… Je n’avais pas les détails sur le reste. J’espère voir Richard prochainement pour discuter de la continuité des choses prochainement… Au mariage, certainement. » Elle hocha les épaules, comme si c’était une évidence, ne pensant pas un seul instant que Julian ne puisse comprendre de quoi elle parlait. Une question la taraudait, pourtant, après ses dires. « Tu as… Démissionné ? » L’avait-il fait à cause de ce qu’il s’était passé ?